Lexa - Chapitre 12

27 2 19
                                    


Lexa

Jamais je n'aurai pensé revenir en ce lieu de désolation, que je venais de peine de quitter. L'averse avait étouffé le feu, seul le mélange de vapeur et de fumée légère s'évaporait encore vers le ciel voilé.

Notre chalet ne résidait plus qu'en une structure de bois carbonisée, menaçant de s'écrouler à tout moment, encore maintenu par ses dernières fondations pérennes. Les souvenirs partagés avaient été emportés par les flammes destructrices de l'incendie, et les cendres se disséminèrent à travers les hurlements sempiternels du vent.

La rage passée, je ne regrettais pas mon geste, puisqu'ainsi, personne ne pourrait s'introduire dans notre intimité, dans notre vie anéantie. Je ne voulais rien leur laisser, pas la moindre chose même insignifiante.

Ce spectacle me peinait, pourtant le plus dur restait à venir, Léoviel ne pourrait les retenir bien longtemps, combien de temps avais-je pour camoufler ce tableau désastreux ?

Je débutai par l'apparence de la maison, avant que les flammes ne la dévorent. Par un jeu de lumière mystique, je dessinais dans l'air du bout des doigts, les contours que je parviens à imaginer les yeux fermés. Lieu, objet ou être vivant, la magie de Charme entre les mains d'un expert, permettait de tout récréer à l'identique, quelques instants, en se servant de notre énergie vitale. Entre les miennes, elle ne serait guère plus utile qu'un panneau affichant l'existence de notre maison, un leurre éphémère. Mes premières tentatives furent un échec cuisant, comme en témoignaient les petites décharges électriques secouant mes membres à chaque abandon. Un liquide rougeoyant et visqueux s'échappa de mon nez alors que j'exécutai une nouvelle fois ce sort complexe et énergivore. Soudain, ma tête fut prise d'un vertige, happée par un tourbillon m'aspirant la moindre force, jusqu'à me faire perdre l'équilibre. Je contemplai mon œuvre achevée qui aurait nécessité quelques secondes et le quart de mon énergie à ma mère. Néanmoins, cela suffirait peut-être à les convaincre de rebrousser chemin. Je renonçai à restaurer l'intérieur de notre maison au profit de la réalisation du second, espérant qu'ils ne souhaitent pas y entrer.

Je m'approchai de l'emplacement de sa tombe, à l'orée du bois, recouverte en partie par les feuilles automnales arrachées par la tempête. Le bouquet de fleurs séchées s'était envolé vers d'autres régions, rejoignant nos souvenirs poussiéreux. La réminiscence de ma mère était altérée par un fort sentiment d'injustice et de colère, et renforcée par sa vision cadavérique, entourée par ces êtres immondes se réjouissant de notre malheur. Un pincement au cœur m'obligea à vomir la bile fulgurante à sa seule évocation. Les yeux humides, j'inspirai difficilement l'air boisé en observant l'horizon. Serais-je un jour capable de penser à elle, sans être prise d'un nouvel élan de dégout et de culpabilité ?

— Que dois-je faire Maman ?

Mon plan n'avait pas eu le temps de murir dans mon esprit, mais demeurait la seule idée pour gagner du temps, avant de fuir avec Léoviel pour une vie meilleure.

Des échos de voix et de sabots battants, la terre retentissait déjà à travers la clairière. Les premiers villageois à cheval, les fameux conservateurs que je pouvais enfin nommer, apparurent au-delà de la prairie, menée par Monsieur Fitch. Mon corps se raidit à sa vue, je m'armais de volonté pour rejoindre le porche de la maison en conservant mon calme illusoire.

J'inspirai profondément, matérialisant dans mon esprit ma mère et tous les détails qui pourraient me trahir si je les oubliais. Je me remémorais le son de sa voix, ses expressions du visage et son langage soutenu et poli. Sa manière de ne jamais blesser autrui ni d'envenimer une situation. Je ne pouvais balayer son image de mon esprit en reniant cette névrose m'emplissant les poumons. Non, je devais subir de plein fouet toutes ses émotions enfouies, pour mieux appréhender une nouvelle réalité qui leur sera présentée. Comme si les heures les plus sombres de notre vie n'eurent jamais existé.

L'ombre d'un loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant