Collège René Poistuc

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« Aujourd'hui doit être la journée sans larmes » décrète Coumba, au premier son inutile du réveil, dont elle avait depuis longtemps devancé l'alarme de six heures trente.

« On organise bien le jour international de la femme, celui de l'habitat ou de la gastronomie, la fête des grands-mères ou je ne sais quoi d'autre. J'ai une évaluation en sport ce matin et en maths cet après-midi et ce sera sans pleurs, pas même une humidité qui brouille les yeux. Quoi qu'il arrive, quoi que fassent les profs et ces crétins de ma classe, personne ne verra rien. » se dit-elle, forçant sa détermination.

Pourtant, la nuit a été morcelée par les spasmes intestinaux, les éveils répétés en sueur, les pensées obsédantes qui nourrissent des rêves dont même les déformations révèlent une forme de lucidité. Du visage haineux de Mme Branie, la prof de maths dont la bouche tordue projette en couinements suraigus l'accusation de tricherie jusqu'au concours de la meute unie des élèves cherchant la moquerie la plus blessante lors de sa grotesque prestation à l'épreuve de montée sur le mur d'escalade, tout y était. Coumba s'y voyait déjà, cible unique, sans secours à espérer.

Après avoir été si peu à l'aise en sixième et en cinquième au collège René Poistuc de Nîmes, la classe de quatrième s'impose pour elle en lieu définitif de souffrance et d'isolement.

« Leur refuser le spectacle de mes larmes » se jure-t-elle, encore une fois.

Mais dans la salle de bains, sous le bruit couvrant de la douche, ses sanglots rejoignent le flot tiède, en acompte secret versé pour la douleur du jour.

Sa main coupe l'arrivée de l'eau. Le petit-déjeuner l'attend, sa mère aussi. Elle l'entend.

- Tu en fais encore une de ces têtes, ce matin ! Qu'est-ce qu'il y a donc, aujourd'hui ? C'est quoi le problème du jour ? questionne Fatoumata, la mère de Coumba, occupée à préparer la table du petit-déjeuner. Moi, à ton âge, j'étais au Sénégal, je n'avais même pas l'idée de me plaindre, j'allais travailler et il valait mieux que je file droit. Je n'avais pas le temps de me créer des histoires, il fallait aussi que je m'occupe des plus petits et...

- Bonjour, maman, l'interrompt Coumba. Il y a que je suis une mauvaise fille et que j'ai des parents formidables, la chance d'aller à l'école et de me préparer un avenir. Heureusement que ma très chère sœur Inaya vous comble, elle. Sans doute est-elle déjà sur le chemin du lycée, elle, si sérieuse et volontaire, la fée unique de la maison.

- Et maintenant, de la jalousie ! Coumba, tu devrais réfléchir avant de parler mal. Allez, dépêche-toi de déjeuner, tu vas finir par m'énerver. Il faudra qu'on cause avec ton père quand il sera rentré de déplacement. Tiens, justement, pense un peu à lui, plutôt que de jouer à la malheureuse. A cette heure, il roule je ne sais où, avec son camion, sans doute depuis des heures et des heures. Pauvre Toussaint qui travaille comme une brute ! Tout ça pour te payer tes études, tes vêtements et tout le reste. Tu ne manques de rien et...

- Tu as raison, maman. De quoi je me plains, finalement ? Ma vie respire le bonheur, depuis ma naissance. Entourée, choyée, non seulement par mes parents mais aussi par ma grande sœur, parfait modèle à suivre, l'excès de joie déborde à tous points de vue mon existence. Nous avons un magnifique carrelage en faux marbre à reflets dans la cuisine, très tendance, un poste de télé à écran plat, payé à crédit, installé sur une splendide table basse en verre, et un abonnement premium à NotLuc avec la télécommande. Je ne suis que la tache au milieu de ce décor de rêve, ma pauvre maman. Le cauchemar de mes parents dans leur projet idéal. Mais à tout problème, une solution se présente, toujours. Et, par exemple, si je me balançais du balcon à moitié fermé, façon véranda, celui qui nous fait presque une pièce de plus, au moins un rangement bien abrité ? Hop là, bon débarras, plus de Coumba et des fins de mois moins difficiles, ça pourrait vous tenter, non ?

- Assez, assez, assez ! Tu es folle, Coumba ! Ne dis plus un mot ou tu reçois une gifle ! Tu nous feras mourir, ton père et moi, sanglote la mère, fuyant la cuisine pour ne plus voir sa fille.

À bientôt, LéoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant