Soutien scolaire

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Vers 20 heures, Inaya s'annonce dans l'entrée de l'appartement, d'humeur égale, tranquille, feignant d'ignorer son retour tardif au domicile. Pour Coumba, sa sœur ressemble à une mer indéfiniment étale, qui ne connaîtrait jamais ni tempête, ni vague scélérate. Le monde tourne autour d'elle ; Inaya en profite sans se poser de questions.

— Te voilà, ma fille, constate Fatoumata, sans chercher à esquisser la moindre réflexion sur le respect des horaires.

— Bonsoir, maman, tout va bien ?

Prenant soin de ne surtout pas attendre la réponse maternelle, Inaya s'emploie à saturer la conversation en détaillant ses occupations du jour.

— La journée a été longue au lycée, les épreuves du bac blanc s'enchaînent en ce moment, mais pour l'instant, je m'en sors super bien. J'ai déjà eu les résultats en maths, avec un 16, 5 et en physique, 18 carrément. J'attends les sciences et vie de la terre, mais ça devrait passer, même si je suppose que le score sera moins élevé. Mais bon, ça ne fait pas partie de mes spécialités, c'est moins important.

Avec habileté, Inaya développe ses excellentes évaluations, contournant le sujet de son emploi du temps élastique l'amenant à rentrer à la maison à une heure difficilement justifiable dès lors que les cours cessent à 18 h 00, au plus tard.

Fatoumata, sans être dupe, félicite sa fille et s'abstient de solliciter des explications quant au sujet qui fâche. Inaya s'approche à grands pas de sa majorité et ne manque pas de clairvoyance, ni d'ambition. Elle va son chemin avec une pleine conscience de ses intérêts et cela la garantit de conduire sa vie personnelle avec prudence. Dès lors, pourquoi entrer en querelle sur ce qu'elle fait après les cours, sur l'éventuelle présence d'un petit copain, puisqu'il s'agit bien de cela ? Fatoumata gère beaucoup, au quotidien, en l'absence de son époux. Même en se démultipliant, elle trouve la limite du possible entre son travail, la tenue du foyer et l'accompagnement des filles. Dans l'immédiat, l'évidence et l'urgence commandent qu'elle veille sur Coumba, fragile. D'un tempérament différent, Inaya s'en sort mieux seule, en autonomie, quitte à vivre de manière quelque peu autocentrée.

— Coumba m'a aidée à préparer le dîner, observe néanmoins Fatoumata, en sorte qu'Inaya comprenne qu'elle-même, en rentrant tardivement, met les pieds sous la table sans se soucier des tâches domestiques, ni des contraintes des autres membres de la famille.

Le repas, léger, offre à Inaya un moment d'expression supplémentaire, abreuvant sa mère et sa sœur de ses exploits scolaires tout en effectuant des pronostics sur la suite, sur les choix à opérer sur Parcoursup. Fatoumata relance la conversation, discutant des orientations en études supérieures et s'inquiétant, tout à la fois, des projets de scolarité privée en école d'ingénieur, très coûteuse. Coumba reste en-dehors. Éloignée de ces préoccupations, le dîner ne l'inspire pas davantage. Nouée, ses pensées ne s'écartent pas de la perspective de la journée du lendemain, du retour au collège, avec sa mère à ses côtés. Les bavardages d'Inaya ne l'irritent même pas. Tout cela est comme un négatif de photographie où tout apparaît inversé : sa sœur réussit, elle sombre. Finalement, pense Coumba pour elle-même, tout demeure parfait, la cohérence se maintient. Dans cette famille comme dans le monde, il faut des nuls et des exceptions pour conserver le grand équilibre.

Se levant de table, Inaya prétexte des révisions de dernière minute, immenses et inattendues, pour le dernier jour avant les vacances. Coumba et Fatoumata se chargeront de desservir avant de s'atteler à la vaisselle. Coumba ignorait que la lecture des cours nécessitait l'usage intensif du smartphone. Inaya ment mal, mais son statut de grande fille lui épargne bien des questionnements parentaux.

L'heure continue sa progression, inexorable. Coumba apprécie que sa mère lui parle plus longtemps et plus attentivement, en cette soirée particulière. Pourtant, ses paroles douces n'effacent pas l'angoisse, n'apportent aucun remède à cette envie singulière et folle d'arrêter l'instant pour que demain n'advienne pas. Coumba ressent l'appel continu de l'immobilité, se sent traversée par la tentation de sortir de la colonne en marche, de faire enfin ce fameux pas de côté, libérateur, pour rester figée, insensible, hors de tout. Submergée par la crue de ses pensées, Coumba perçoit tout à la fois l'effrayante noyade et le sourd désir de n'être plus, de n'avoir jamais existé, ce souhait d'effacement qui réparerait l'erreur originelle de son absurde vie.

À bientôt, LéoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant