Lettre en vol

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Forts de leur secret, Coumba et Léo s'approprient chaque minute restante. Les rendez-vous, quotidiens, pris la veille au moment où il faut bien se quitter, ne sauraient ne pas être honorés. Pour faire enrager Coumba, Léo ne manque jamais de plaisanter en faisant valoir que son éventuelle absence, au motif de sa disparition impromptue, n'engagerait pas sa responsabilité. En silence, son amie se borne à hausser les épaules. Selon les jours, Léo, fatigué autant que désolé, met fin à l'entrevue de manière prématurée. Coumba cède alors la place aux soignants, appelés à tenter de soulager la douleur de Léo, implacable ennemie qui gagne du terrain et ronge sa vie.

Le 29 décembre, Coumba rejoint la chambre de Léo à l'hôpital, à l'horaire convenu. Les rituels habituels de l'aile M l'attendent, avec leur sempiternel bruit de chaussures de soignants, de chariots poussés, de cris parfois provenant de jeunes malades appelant à l'aide. Se rendant sourde et presqu'aveugle par nécessité de se protéger elle-même de cette atmosphère dominée par la détresse, Coumba avance, les yeux fixés sur l'image de Léo qui l'attend.

Ce jour-là, Léo patiente, redressé dans son lit, une enveloppe ordinaire posée sur le drap qui le recouvre. Il accueille son amie, réclame la bise fraîche, lui raconte, comme d'habitude, les derniers potins de la veille au soir et du matin écoulés, les bonnes et les mauvaises nouvelles.

En échange, Coumba lui transmet les amitiés de ses parents, évoque les petites histoires familiales, les dernières frasques d'Inaya qui a oublié de rentrer lors d'une soirée avec ses amis et surtout le départ de son père dont les congés ont pris fin. Léo écoute, donne son avis, interroge Coumba sur l'ambiance familiale et lui suggère quelques solutions pour se maintenir en-dehors des conflits et éviter toute attitude clastique.

Coumba s'amuse souvent de ces conseils dispensés par un enfant de huit ans, qui se révèlent cependant pleins de sagesse et d'à-propos. Mais ce jour-là, son attention ne peut se distraire de l'enveloppe sur le lit, obsédant objet, inhabituel, revêtu de l'écriture de Léo. Même tournée à l'envers par rapport à elle, Coumba parvient à lire la mention portée sur le recto : « Pour le professeur ». S'agit-il du professeur Ben Khalif, responsable du service d'oncologie pédiatrique, auquel Léo voudrait confier par écrit quelques importantes informations ? se questionne Coumba, interloquée. N'y tenant plus, elle sollicite sans détour des éclaircissements sur la nature du pli, tout en demandant à Léo de bien vouloir l'excuser pour sa curiosité excessive.

Léo sourit, ses yeux s'éclairent. Prenant l'enveloppe, il l'envoie, comme un avion de papier, en direction de son amie. « Voyageurs en partance pour la Saskatchewan, bouclez-vos ceintures, c'est le commandant Léo Agulhon qui vous parle ! ». Coumba rattrape l'objet volant alors qu'il se dirige droit sur elle.

- C'est pour toi, l'avion ! l'informe Léo. Mais, attention, poursuit-il, tu ne disposes pas des droits requis pour l'ouvrir ! Observe bien qu'il est indiqué « Pour le professeur » et non pas « Pour Coumba ». En fait, je te demande de la transmettre à ton prof de français, lorsque tu auras repris le chemin du collège. C'est lui qui décidera du sort de ce courrier. J'espère qu'il acceptera de le lire...

- Qu'est-ce que tu veux lui raconter à celui-là ? lui rétorque Coumba, un peu contrariée à l'idée de communiquer cette missive à M. Leguillon, qui l'a tant déçue lors de l'entretien chez Madame la principale Moussie.

- Fais ce que je te demande sans trop te poser de questions. Je connais ton ressentiment à l'égard de ton prof. Mais ne reste pas dans une attitude figée, ça ne te mènera à rien. Tente de comprendre ce qu'il a fait pour toi, d'imaginer ce qu'il peut encore t'apporter et réfléchis bien aux limites que lui impose sa place au collège, prof au milieu d'autres enseignants, eux-mêmes encadrés par une hiérarchie. Quoi qu'il en soit, par amitié pour moi, donne lui mon petit mot. Mais tu ne lui remettras que lorsque j'aurai fermé les yeux.

À bientôt, LéoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant