Un lion, jamais loin

451 5 0
                                    

Chargée de son sac empli des desserts tout frais sortis de la cuisine, Coumba arpente les allées de l'hôpital, sachant maintenant où trouver la chambre 123 de l'aile M réservée au service d'oncologie pédiatrique. Elle croise des visiteurs portant des paquets cadeaux, accompagnés parfois d'enfants qui courent et chahutent bruyamment dans les couloirs, autorisés pour les fêtes de fin d'année à venir voir leurs frères ou sœurs hospitalisés. Ce remue-ménage, d'ordinaire proscrit, améliore l'ambiance, beaucoup plus efficacement que les décorations artificielles.

Coumba s'arrête devant la porte de chambre de Léo, puis frappe. Cette fois, elle entend immédiatement une voix l'inviter à entrer. Le petit garçon n'a pas son casque, il ne s'y serait pas risqué. En revanche, son sourire et ses yeux disent son attente et sa joie. Coumba a tenu sa promesse. Leur étreinte, forte de longues minutes, se passe de mots. Le premier bonheur, c'est de se voir, scruter un visage, contempler un ami, dans un silence parfait pour cet instant.

Le sac de Coumba, dont le plastique se froisse, se charge d'arrêter là les effusions et d'ouvrir le temps du deuxième acte.

- Tiens, qu'est-ce que tu transportes avec toi ? Ca a l'air d'être lourd. Tu peux poser ça au pied du lit, si ça t'encombre, propose Léo.

- Sûrement pas, c'est pour toi ! Ce sac contient des douceurs du Sénégal, du thiakry et des beignets que ma mère, qui s'appelle Fatoumata, a préparés tout spécialement. Tu veux goûter ? Na rees ak diam ! Ca veut dire « bon appétit et digère bien » en wolof, une langue du Sénégal.

- Du thiak... quoi ?

Coumba éclate de rire devant l'air surpris de son jeune ami. Léo, raïol des Cévennes, ignore tout de ce dessert, bien sûr, jusqu'au nom de cette spécialité. Léo s'amuse aussi de son ignorance, mais se montre très intéressé lorsque Coumba lui sert une portion bien fraîche de thiakry, au goût délicatement lacté, sucré et à la texture onctueuse procurée par la semoule de mil. Pas plus que le thiakry, les beignets ne saliront les draps du lit, ni le sol de la chambre. Pas une miette ne reste après le partage effectué entre les deux gourmands. Le ventre plein, le goûter pris avant l'heure, Léo remercie Coumba et la charge d'embrasser sa mère pour lui. Le Sénégal prend corps, tout d'un coup, sans formule au figuré, plongeant le petit garçon dans l'envie de voyager, de partir, d'aller au loin.

Coumba lui propose, en attendant le grand départ en Afrique, de reprendre l'histoire de Boleslav de Cavignac. Un voyage par le rêve, en somme, avant d'envisager le tour du monde lorsqu'il sera sorti de cette chambre d'hôpital.

- Il faudra arrêter d'avoir toujours raison, Coumba ! C'est une mauvaise habitude que tu prends. Mais je suis d'accord avec toi. C'est un peu tôt pour le Sénégal, retournons ensemble voir notre Seigneur des Humbles. Alors, comment aider le lion ? Parce qu'il va lui porter secours, hein ? Il ne va pas le tuer ?

- Pour le savoir, il faut me laisser raconter, mon cher Léo, lui fait observer Coumba, poussant son avantage de maîtresse conteuse.

- Tu marques un point, allez vas-y, je me tais.

Coumba reprend sa narration en souriant au petit garçon, ravi.

- Boleslav de Cavignac a d'abord l'idée de se mettre à la place du lion traqué. Si l'animal a su s'extraire de sa cage, il possède sans doute un instinct de survie, voire une intelligence particulière. Or, la meute des villageois, en dépit de quelques individus dispersés, se concentre dans un secteur. Avec son ouïe fine et son odorat, le fauve cherche sans doute à placer de la distance entre eux et lui. Boleslav se dirige ainsi à l'opposé des poursuivants de l'animal, non sans avoir pris le temps d'allumer un feu de paille, dégageant beaucoup de fumée et visible de loin.

À bientôt, LéoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant