Wattpitrerie

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Le pire, loin d'être certain, n'advient jamais, en certaines occurrences. En dépit de ce qu'elle avait cru, Coumba jouissait d'une bonne étoile, sans l'avoir aperçue derrière la grisaille des bourrasques de l'adolescence.

Ses années de collège, médiocres, ne l'empêchèrent en rien d'accéder au lycée, sans redoublement de classe, trop dispendieux pour le budget de l'État.

Seconde, première, terminale se sont disposées en forme de podium pour l'adolescente, la marche ultime lui assurant l'accès aux études supérieures. Il fallait sans doute y voir les résultats bénéfiques de l'effet Pygmalion, dès lors que certains professeurs, à l'instar de M. Leguillon, avaient pu discerner chez leur disciple des ressources intellectuelles peu communes. Toujours aussi désespérante en disciplines scientifiques, la jeune fille avait, en revanche, atteint et dépassé le qualificatif d'excellence en lettres, philosophie, histoire, géopolitique et pratiquait plusieurs langues.

Sciences Po Paris lui ouvrit ses portes, au titre du contingent d'élèves provenant d'établissements scolaires des zones d'éducation prioritaire. Avec ses talents oratoires soutenus par sa subtilité innée, sa compréhension du monde et du demi-monde forgée par son expérience humaine tôt acquise, Coumba fit la conquête de ses formateurs, tout au long du bachelor et du master. Diplômée de la prestigieuse École de journalisme de l'IEP, la suite s'inscrivait d'elle-même : « réseauter », « réseauter » et encore « réseauter ». Se faufiler pour rejoindre ceux qui comptent, sourire quand il le faut, s'afficher comme ouverte et libre, alors même que l'on entre dans le corset du courtisan, Coumba acceptait tout. Invitée et utilisée, la métisse servait et comblait ses maîtres, trop heureux de mettre en avant la diversité qu'elle représentait. Serait-elle non binaire, hors genre, LGBT+, bisexuelle ? Les questions envahissaient le microcosme parisien et médiatique, y croissaient à mesure qu'elle s'y ménageait une place, de plus en plus visible.

Enfin, Coumba vivait. Elle prenait pied dans l'existence qui commençait. Qu'avait-elle connu auparavant ? Au fond, rien.

Elle avait jeté sa liseuse Wattpad, premier collecteur mondial d'égoût drainant les déchets écrits. Léo, d'une certaine façon, l'avait aidée à grandir et à s'élever au sommet. Elle y pensait, quelquefois. Consciente que son développement personnel l'éloignait du petit cévenol, elle assumait sa nouvelle vie conquérante, audacieuse, ambitieuse.

Gagnante, consultée, multipliant les apparitions sur les plateaux des media, saturant les réseaux sociaux de ses interventions ciselées, approchée par les responsables politiques, Coumba « la croûte » avait réussi.

Elle méprisait, à son tour, ces abrutis décérébrés accrochés à leur téléphone, partageant des « stories » insipides et buvant jusqu'à la lie chacun des « post » des influenceurs à la crétinerie insondable. La jeune femme se réjouissait de manipuler tout cela à son profit, sans se méprendre sur les moyens et les fins. Elle méditait, souvent. Certaine que l'idiotie, favorisée par Wattpad et les autres réseaux, bénéficiait à l'intelligence de ceux qui s'en servaient, comme elle, pour mieux façonner les unités humaines basiques, interchangeables, modélisées.

Le monde s'offrait.

À bientôt, LéoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant