Haut potentiel

649 7 0
                                    

— Coumba, merci d'être restée, ce que j'ai à te dire est important et confidentiel, annonce M. Leguillon en s'assurant que les autres élèves sont effectivement sortis.

— Je vous en prie, Monsieur, c'est normal.

— Une première chose, d'abord, avant de parler du petit garçon que tu vas rencontrer bientôt à l'hôpital. Tu sais, à la dernière réunion parents-profs, j'ai vu ta mère et je lui ai suggéré de prendre rendez-vous pour toi auprès d'un neuropsychologue pour passer quelques tests. Est-ce que tu veux bien me dire si tu es allée en voir un ? Si cela te gêne ou si tu ne souhaites pas me répondre là-dessus, il n'y a évidemment aucun problème. Je comprends très bien que cela concerne ta vie privée.

— Oh, ça ne me gêne pas du tout d'en parler avec vous. Il y a un mois, j'ai passé des tests de quotient intellectuel, j'ai discuté avec ce neuropsychologue dont je ne me rappelle même plus le nom. Les questions se suivaient, interminables, et j'ai eu droit à des exercices de logique, de français, de dessin et j'en passe. Bref, trois longues heures au total chez ce monsieur qui prenait des notes. Et puis, il y a quinze jours, ma mère m'a montré les conclusions des tests, alignées sur trente pages ! Pour résumer, il paraît que je suis « haut potentiel intellectuel ». Ca signifierait, en fait, que je ne fonctionne pas comme les autres, que j'ai du mal dans la motricité fine notamment en géométrie et que ma relation à autrui peut se compliquer en raison de mon mode de pensée, différent des autres... Vous savez, monsieur, je crois que ce sont des arnaques, tout ça. Vous voyez bien que je suis nulle au collège et que tout le monde le dit. C'est vrai en plus, je ne vais pas me mentir à moi-même.

— Parfois, tu dis n'importe quoi, Coumba, c'est bien là ton problème. Tu n'as pas toujours raison dans ce que tu affirmes et le neuropsychologue n'a aucun intérêt à constater ton haut potentiel plutôt que de conclure autrement si tel n'était pas le cas. Tu as des difficultés en certaines matières, c'est la réalité mais tu oublies de dire que tu excelles en français. Je vais te faire une petite confidence : quand je corrige les écrits, je garde toujours ta copie tout en dessous de la pile. Tu sais pourquoi ? Hé bien, c'est pour me remonter le moral, rien de moins ! Je suis certain de lire des lignes intéressantes, créatives, reflétant ta culture. Ton monde est celui des livres et ça se respire. Pour un prof de français comme moi, tu ne peux pas savoir à quel point c'est réconfortant. Réfléchis à ça, Coumba. Tu as un grand potentiel, ne le gâche pas. Je crois en toi et je me moque bien que tu refuses d'admettre tes qualités et tes dons. C'est exactement pour cela que je t'ai confié la visite de Léo, ce pauvre gamin.

— Je ne sais pas quoi vous dire, Monsieur. Mais on ne devait pas vraiment parler de moi, plutôt de Léo, non ?

— Tu as raison, l'heure tourne et tu veux sans doute rentrer chez toi... Léo est très gravement malade, mais je ne peux pas te dire ce qu'il a pour des raisons de secret médical. Les médecins, avec lesquels j'ai préparé l'action de lecture, m'ont prévenu que son cas est particulièrement préoccupant. Il peut être très fatigué, pas vraiment à l'écoute, comme absent à certains moments de la journée. J'ai donc pensé à toi parce que je connais ton sens de l'empathie, ta délicatesse. Tu sauras t'adapter à lui et à son état, le moment venu. Tu es très mature, Coumba et tu connais la signification du mot « souffrance », je le sais aussi... Pour ce qui concerne la lecture, j'ai pensé qu'à huit ans, Léo pourrait aimer une histoire d'aventure, genre « Les trois mousquetaires » mais forcément en version très allégée. Tu connais « Les trois mousquetaires » d'Alexandre Dumas ?

— Oui, Monsieur, j'ai lu le livre. Mais il faudra vraiment simplifier. Je suppose que le temps de rencontre sera limité, non ?

— Absolument. Au maximum quarante-cinq minutes, voire moins si l'enfant montre des signes de fatigue ou de manque d'intérêt. L'action vire à l'échec si elle devient contre-productive et ennuie les gamins au lieu de les divertir, tu comprends ? Ton rôle sera donc délicat, il faudra jauger et adapter ta prestation selon l'envie et l'état de Léo. Tu es toujours partante ?

— Je crois, Monsieur, si vous pensez que... balbutie Coumba pour toute réponse.

— Si je pense que tu es à la hauteur, c'est ça ? reprend M. Leguillon.

Le prof tapote l'épaule de Coumba, en guise de réponse. Il sourit en lui ouvrant la porte de la classe et en lui disant au revoir. Coumba prend congé poliment. Elle tient son sac à dos avec la lanière en bandoulière et ramasse son fichu sac de sport. Tout est léger, pourtant, même ce matériel qu'elle déteste. La pensée de Coumba se fixe l'instant d'après sur Léo, malgré elle. Une image du petit garçon s'imprime dans sa cervelle tourmentée sans qu'elle puisse empêcher le phénomène. Le neuropsychologue a expliqué ce particularisme en appelant ça, « la pensée en arborescence », propre aux hauts potentiels intellectuels. Disait-il vrai ? Peu importe, Coumba pense maintenant à Léo et se sent coupable de se sentir mieux après son entrevue avec M. Leguillon.

Coumba est compliquée malgré elle, hypersensible, pense à toute vitesse, ressent plus, plus vite, plus fort que les autres. Elle n'y peut rien et ce n'est ni une bénédiction, ni une calamité. C'est son lot.

À bientôt, LéoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant