CHAPITRE 37

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Balthazar revérifia pour la énième fois la mise en place qu'il avait mise sur la table de la salle à manger : il redressa une paire de fourchettes, nettoya une tache invisible sur un verre et lissa un petit pli qui s'était formé sur la nappe immaculée. Puis il s'éloigna de quelques pas et observa d'un œil critique le résultat de son travail.

Il n'avait jamais été du genre particulièrement obsessionnel, mais l'organisation de cette soirée l'avait plongé dans la paranoïa la plus totale.

Bien sûr, il était ravi à l'idée de pouvoir enfin embrasser à nouveau sa petite Alice, mais c'était le seul sentiment pur et sans ombre qu'il ressentait à cet instant.

Pour le reste, dans sa tête, dans son ventre et dans son cœur, une bataille acharnée se livrait entre une série d'émotions contradictoires : la joie de cette rencontre tant attendue sur laquelle, en secret, Balthazar avait commencé à fantasmer dès le moment où Hélène avait souri à la photo de sa petite princesse ; l'anxiété que quelque chose puisse mal se passer avant, pendant ou après cette rencontre ; et surtout la terreur de ne pas avoir assez de temps, assez d'arguments ou assez de courage pour la convaincre de rester.

Et le fait qu'Hélène n'ait pas répondu à son téléphone depuis plusieurs heures ne l'aidait certainement pas à garder son calme.

Dès son retour de l'IML, il lui avait envoyé quelques SMS, l'un pour l'informer qu'Alice devait arriver vers 21 heures, l'autre, quelques minutes plus tard, pour lui dire combien il était heureux qu'elle ait accepté de venir à la fête et de rencontrer sa petite fille. 

Les deux messages étaient suivis de la redoutable "le deux coches bleues", c'est-à-dire: Hélène avait vu le message, mais n'y avait pas répondu.

À partir de ce moment-là, Raphaël a fait de l'hyperventilation.

Incapable de rester assis, il avait commencé à se déplacer sans cesse dans toute la maison, réorganisant et réarrangeant les meubles, nettoyant les taches invisibles sur les vitres et entrant et sortant de la cuisine si souvent que finalement Olivia, qui s'était présentée chez lui sous prétexte de l'aider à cuisiner, il lui avait interdit d'entrer et l'avait envoyé mettre la table.

Et ainsi, il avait fini par aligner des fourchettes et plier des serviettes pour contenir l'anxiété qui le rongeait vivant.

Il envisageait sérieusement de faire du harakiri avec un couteau à dessert, lorsque le son indubitable d'un "message reçu" lui remonta instantanément le moral.

Il saisit rapidement le téléphone qu'il gardait dans la poche de son pantalon et sourit à la photo de profil d'une femme blonde, qui portait une fleur jaune dans les cheveux et regardait la mer.

La première fois qu'il avait posé les yeux sur cette photo, c'était quelques mois plus tôt, pour être précis, lors d'une de ses habituelles et solitaires nuits d'insomnie. Après une journée particulièrement difficile à cause de Maya et des rencontres avec les assistantes sociales, Raphaël avait attendu qu'Olivia et Alice s'endorment, puis s'était levé du lit et s'était mis à déambuler dans la maison, saisi par un sentiment de nostalgie inattendu. Pensivement, il avait regardé par la fenêtre et s'était mis à faire défiler l'historique de ses chats. Il avait d'abord pensé écrire à Camille, puis, impulsivement, il avait cliqué sur le numéro d'Hélène.

Il avait relu les derniers messages qu'ils s'étaient envoyés avant le jour de ses horribles noces et qu'il avait jalousement conservés, puis il avait agrandi la photo de son profil et était resté contempler l'image de sa belle capitaine. Hélène avait l'air si sereine au bord de la mer, que Balthazar ne pouvait s'empêcher de penser à quel point ils avaient été heureux ensemble sur cette plage de Bretagne et combien il aurait aimé pouvoir être là avec elle à ce moment-là. Soudain, le désir de pouvoir entendre à nouveau sa voix était si fort que Raphaël était sur le point de lancer l'appel. Puis Alice s'était mise à pleurer, Olivia s'était levée pour aller la consoler et il était revenu brusquement à la réalité de sa nouvelle vie.

REINE DE COEURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant