Cette fille

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Trop de monde, trop de bruit, trop d'alcool, trop de tout. La musique est à fond et mon cœur sursaute et se retourne à chaque note de basse. Je suis ballottée de part en part dans cette mer lumineuse d'adolescents en furie qui s'agitent dans une cohue pas possible.

Ma montre indique minuit et Laurie a disparu de mon champ de vision. Je traverse les serviettes colorées posées à même le sol tandis que Lana est appuyée sur mon épaule, titubante et manquant de me faire tomber tous les trois mètres. Je n'en crois pas mes yeux, moi, faire la babysitter de mes amies lorsqu'elles sont bourrées alors que je pourrais juste être chez moi et regarder un film bien niais, entourée de ma collection de peluches Winny l'Ourson: je perds décidément mon temps dans ces fêtes minables. Le pire dans tout ça, c'est de devoir supporter les faux gloussements des filles lorsqu'elles sont en compagnie de personnes dont elles ne se souviendront même plus le lendemain. A croire qu'elles aiment ça, les histoires d'amour d'un soir, une passion de quelques heures qui s'éteint au fil des cachets d'aspirine et des tasses de café ingérées.

De toute façon, je savais que je n'aurais pas dû laisser Laurie boire autant.

Dire que ce que je croyais être un mignon petit pique-nique entre potes s'est avéré être une fête bien arrosée. Jamais plus je ne me ferai encore avoir de la sorte. Laurie m'a bien prise pour une quiche et maintenant c'est moi qui dois assumer les conséquences de ses actes.

00:30

Je ne vois toujours pas la trace de mon amie et je commence à m'inquiéter sérieusement. Elle et sa tignasse rousse auront vite fait de charmer tous les mecs de France et ça ne m'étonnera pas qu'elle finisse par se barrer avec l'un d'eux pour réapparaître le lendemain, voulant déjà se marier avec l'heureux élu. Elle à toujours été comme ça Laurie, à s'envoler au moindre coup de vent, à la moindre distraction puis à revenir, comme un boomerang, nous jurant que plus jamais elle ne nous quittera. Malgré le fait qu'elle est atrocement agaçante quand elle fait ça, je l'aime quand même de tout mon cœur. Je la connais depuis la crèche et elle n'aura jamais fini de m'épater avec sa joie de vivre, sa confiance en elle mêlée d'une humilité presque inhumaine et la façon dont elle envisage la vie: comme un énorme parc d'attraction qui ne demande qu'à être visité. Selon moi, la vie n'est qu'une succession d'orages séparés par de rares jours de soleil, qui finissent toujours par s'en aller, laissant de nouveau place à la langueur du train-train quotidien. Elle n'est qu'une grande épreuve à relever, une épreuve dont on sort meurtri à tout jamais. En tout cas, c'est ce que je me dis quand je vois le visage de ma mère qui, à seulement trente-cinq ans, possède deux fossés sous les yeux: fruit de son travail acharné et des nombreuses larmes qu'elle a du verser au long de sa vie qui pourtant, est loin de s'être terminée. De toute façon, tomber enceinte à vingt ans d'un homme qui vous trompera tous les soirs pour au bout du compte vous abandonner dix ans plus tard n'est pas la meilleure des histoires. Parfois, quand je me concentre bien, je peux entendre son cœur brisé faire "clong clong" dans sa maigre poitrine lorsqu'elle marche. Ma pauvre maman en aura vécu, des choses.

***

01:15

J'ai cherché absolument partout, j'ai arpenté des dizaines de fois le petit parc dans lequel se déroule pique-nique, je l'ai appelée sans discontinuer pendant une demie heure: silence radio de la part de Laurie. Les larmes me montent aux yeux et la panique me gagne. D'habitude, quand elle s'éclipse au beau milieu d'une fête, elle prend toujours la peine de nous envoyer un petit message, pour ne pas que, mes amies et moi ne nous inquiétons. Mais là, rien du tout. Je commence à imaginer tous les pires scénarios possibles, à présent certaine qu'elle ne se trouve plus dans les environs. Kidnappée, écrasée sous les roues d'une voiture, en fugue, perdue sur une autoroute paumée et j'en passe.

Les corps qui dansent autour de moi me donnent le tournis, pourtant je n'ai pas touché à une goutte de bière.

Des cheveux roux.

LAURIE !!!

Je me mets à courir furieusement, partagée entre le soulagement et la colère noire. Mes pieds frappent furieusement le sol quand soudain, un choc me fait tomber à la renverse. Le sol se dérobe sous mes baskets et je me vois chuter au ralenti, comme spectatrice de ma magnifique gamelle. Je vois le sol et mon crâne s'entrechoquer quand d'un coup, tout redevient rapide. Une main essaye de me rattraper dans ma chute. Trop tard. Aïe.

Je suis par terre et en l'espace d'un battement de cils j'entrevois une dizaine de personnes autour de moi, qui prononcent maladroitement mon nom. Je n'arrive pas à ouvrir la bouche. J'ai honte. Tout à coup je sens une main me tirer par le poignet. Je suis debout. En quelque secondes, celle-ci m'entraîne vers un endroit reculé du parc où la fête se déroule.

- Héhoooo ? Ça va ? C'est une voix chaude et douce qui prononce ces paroles d'un ton légèrement agacé.

J'ai honte et je reste là, à observer la terre ocre qui tapisse le sol. Je ne veux pas relever le regard tant j'ai peur de découvrir la tête que doit faire la fille qui maintenant me secoue doucement par l'épaule. Elle doit croire que je suis folle.

-T'est muette ? Regarde moi au moins.

Pas le choix, je lève les yeux.

Devant moi se tient une fille d'une beauté et d'une présence incroyable. Vêtue d'une robe blanche et fluide qui lui arrive jusqu'au bas des chevilles, on aurait dit une elfe. Ses longs cheveux blonds et brillants aux reflets roux lui descendent jusqu'à la taille, et dans ses yeux verts pâles se reflète la lumière orangée du feu de camp. Ses traits fins et sa peau légèrement bronzée sont parfaits et sur son beau visage angélique sont dispersées quelques taches de rousseur, comme des étoiles posées au hasard. De plus, autour de son cou sont pendus une infinité de breloques toutes plus originales les unes des autres et des paillettes couvrent ses fines clavicules mises en valeur par le décolleté plongeant de sa robe. Elle dégage une atmosphère à la fois énergisante et relaxante, comme si sa confiance apparente pouvait déteindre sur les autres. En conclusion c'est de loin la plus belle fille que j'ai vue de toute ma vie.

ON VEUT TOUS VIVRE T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant