Pur.

94 17 31
                                    

Depuis le « pique-nique », chaque jour se ressemble atrocement. Heures après heures, jours après jours, je pense en boucle à Cassandre. Comment se fait- il qu'elle occupe autant de place dans ma tête ?

Quand vient l'heure de me mettre dans mes draps, le défilé monotone des secondes me rattrape et l'insomnie m'enserre de ses bras glacés. Est-il possible que lors de la fête j'ai été tellement heureuse que je ne pourrais plus jamais l'être ? Je donnerai tout pour ressentir au moins une demi-seconde ce délicieux sentiment d'euphorie. Ressentir la chaleur du feu de bois et la douceur de la guimauve brûlante dans ma bouche.

Ce soir, le sommeil ne viendra pas non plus. Alors comme à chaque fois, je me repasse sans cesse la plus belle soirée de ma vie. Si seulement il pouvait y avoir une suite dans cette histoire.

Une suite...

Ma chambre, plongée dans la pénombre qui menace de m'engloutir d'un moment à un autre, me paraît plus inquiétante que jamais. Dans mon épaisse couette, je sens mes orteils frémir, comme traversés par une onde d'énergie et d'angoisse. Ma gorge se serre et mes yeux se remplissent d'eau salée. Je suis incapable de retenir mes larmes qui coulent sans un bruit sur mes joues creuses. Ne rien ressentir de particulier: seulement du vide, un vide qui me désespère, qui me donne envie de mourir. Les gouttes qui maintenant laissent des traînées mouillées dans le creux de mon cou se déposent avec douceur sur mon oreiller dans un silence presque irréaliste. Je regarde le clair-obscur, sans aucune expression sur mon visage tiré par la fatigue, les poings refermés sur mes draps à fleurs.

Il ne se passe rien, comme d'habitude. Je suis lassée, lassée de mon absence de vie constante: comme si passer de l'autre côté ne changerait rien à ma situation actuelle. Un néant infini ne peut être comblé.

Soudain je sens comme une force inconnue me faire tendre la main, poser les pieds sur le sol glacé de ma chambre et tâtonner la surface de mon bureau à la recherche d'un quelconque bout de papier sur lequel je pourrais écrire. Je ne suis plus maîtresse de mon corps. L'ivresse de la nuit a pris possession de moi. Les idées toujours confuses, j'ouvre un petit cahier attrapé à la hâte et cherche à l'aveuglette un stylo en état de marche.

C'est magique.

Les mots s'inscrivent sur les feuilles rêches à la vitesse de la lumière.

Ce fut ainsi près d'une heure. Mon calepin était raturé, noirci par l'encre de mon stylo. J'avais recommencé quatre fois et le résultat me paraissait assez satisfaisant. Les phrases inscrites sur les pages me semblaient évidentes, comme si j'avais attendu quinze ans de mon existence avant de trouver cet ultime secret. La chose qui me ferait enfin ressentir quelque chose de vrai,

de pur.

« Cassie avait 15 ans et sa vie était parfaite, si parfaite que pour les autres, elle ne pouvait pas être réelle. Cette fille était l'incarnation même de la beauté, du bonheur et du talent et son existence semblait issue d'un compte de fée tant elle était utopique, trop belle pour être vraie. C'est vrai, tout lui souriait: elle était une excellente élève, douée de nature qui n'avait besoin que de très peu étudier, tout le monde l'aimait et l'enviait, et par-dessus tout, elle possédait une aura pétillante qui faisait briller tout ce qu'elle touchait. Tous les jours, avec son prince charmant, un jeune homme dont la beauté presque exaspérante faisait tourner toutes les têtes, elle vivait une comédie romantique bourrée de scènes de déclarations émouvantes. Elle possédait tout et ne s'en rendait même pas compte.

Chaque seconde de sa vie était un pur délice et n'importe qui aurait tant aimé vivre ne serait ce qu'un dixième de ce qu'elle vivait. Malheureusement tout le monde n'était pas doté de cette chance.

Le matin, cassie se levait déjà belle et pimpante, son petit déjeuner semblait être une story Instagram et pas une fois son réveil ne sonnait en retard. Ses parents, soudés et aimants lui achetaient autant d'habits qu'elle désirait et son armoire était remplie de belles choses qu'aucuns ne détenait. En cinq minutes top chronos, elle lavait son corps parfait, superposant divers produits à l'odeur envoutante sur sa fine peau couleur caramel. Au lycée, tout le monde l'adorait pour ses notes excellentes, sa beauté, et ses exploits sportifs. Chaque jour, on redoublait d'efforts pour lui plaire. Elle était inaccessible, intouchable, insensible au langues de vipères qui, rarement, osaient mal parler d'elle. De toute façon, elles-mêmes ne savaient pas quoi dire tant Cassie n'avait rien à se reprocher, faisant preuve de diplomatie, d'humilité, de gentillesse et d'un humour exceptionnel."

Écrire était la solution.

ON VEUT TOUS VIVRE T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant