ON VEUT TOUS VIVRE T1

Raconte moi tout

Sa cuisine a une légère odeur de renfermé et le sourire lumineux de Cassandre détonne dans l'appartement vétuste. En effet, celui-ci n'est qu'un T2 à la décoration vieillotte et à la propreté douteuse, qui pourtant respire la bonne humeur et la convivialité. Assise sur un canapé dont les ressorts me font mal dans le bas du dos, j''inspecte le paquet de Pepito devant moi. Les biscuits ont l'air d'avoir au moins un demi-siècle. Je ne sais même pas comment je me suis retrouvée là, dans cet étrange salon aux murs couverts de croquis et d'aquarelles mal faites, et dont les rideaux d'un blanc sale couvrent entièrement les fenêtres en bois dévorées par les mites.

Tout s'est passé si vite.

Trop vite.

Pour commencer, Cassandre m'a présenté à tous ses camarades de classe et j'ai appris qu'elle fréquentait le collège juste à côté du mien. Nous avons longuement discuté, oubliant au fil des mots prononcés l'étrange incident qui nous avait réunis. Plus tard dans la soirée, je m'amusais comme une petite folle avec tout ces gens plus parfait les uns que les autres. Je suis sûre de ne jamais avoir mangé autant de guimauves grillées et bu de virgin mojito de toute ma vie. Nous avons dansé, chanté, nous avons ri comme jamais je ne me l'étais permis, tout en ayant conscience que nous n'étions que des parfaits inconnus les uns par rapport aux autres. En y repensant, c'est ce qui faisait toute la magie de cette soirée, la certitude d'une nouvelle amitié, d'un nouveau départ. Pendant des heures, je laissais la musique pénétrer par toutes les pores de ma peau. Cette délicieuse mélodie grattée sur les cordes de la guitare d'une amie de Cassandre, prénommée Anne. J'essayais de capturer le plus d'odeurs, de sons, de goûts et d'images possibles de cette soirée.

Pourvu que ça ne se finisse jamais.

Je me trouvais enfin à ma place.

Partout, des rires fusaient, et, pour la première fois depuis longtemps, je me sentais folle de joie.

Je me souviens en particulier du petit ami de Cassandre: un grand brun passionné de photographie et d'accordéon. Ils semblaient si bien s'entendre, toute la soirée, ils dansaient tendrement, se chuchotaient des mots doux et s'embrassaient. Je ne pensais pas que la relation parfaite pouvait exister, à présent j'en ai la preuve devant moi: je me trouve face à une exception.

Soirée parfaite,

Gens parfaits,

Couple parfait,

Jalousie.

-Raconte-moi tout. Je veux tout savoir de toi !

Vers trois heures du matin, je m'endormis sur un plaid déposé sur l'herbe fraîche et coupante. Lorsque je me réveillai, il était quatre heures et Cassandre me proposa d'aller au Starbucks prendre un petit déjeuner (un petit déjeuner à quatre heures du matin ?!).

-Vi ?

Nous sommes ensuite allés chez elle (chez elle ?! ) avec notre commande pour manger au calme.

-Vi tu m'écoute ? Sa voix haut perchée me rappelle à l'ordre avec un petit rire, amusée de ma rêverie.
-Oui... Je suis désolée, je pensais à hier. C'était tellement... Parfait... Je murmure, encore plongée dans souvenirs de la veille, émerveillée de ce qui vient de m'arriver.
-Eh ben ! Ça se voit que c'est le premier « pique-nique » de ta vie !
-C'est une pote qui m'a convaincue d'y aller. Au début, je pensais que ce ne serait qu'un gentil déjeuner entre amis... enfin je ne pensais pas que ce serait un « pique-nique » entre amis quoi ! N'empêche que je me suis bien amusée ! C'est fou, j'ai l'impression qu'avec elle, je peux être moi même, ne plus avoir peur de la réaction de mon interlocuteur à chaque phrase que je prononce.
-Laurie c'était la fille que tu cherchais non? Me questionne-t-elle, un sourcil froncé.

Le prénom de mon amie me ramène à la réalité. Celle qui m'a lâchement abandonnée pour une de ces conquêtes. Après m'être fait un sang d'encre pour elle, je commence à lui en vouloir. Elle n'aurait pas dû faire ça, ou du moins elle aurait pu me prévenir avant de se barrer en me laissant paniquer au milieu d'une foule d'inconnus. Heureusement que Cassandre, ma salvatrice, passa le reste de la nuit en ma compagnie, m'arrachant ainsi aux tranchantes griffes de la solitude. Je me sens trahie par celle qui devrait être ma meilleure amie. Comment se fait-il qu'une personne que je ne connais pas arrive à me faire sentir plus inclue dans son groupe que la fille avec qui je suis amie depuis ma tendre enfance et qui elle, lorsqu'elle s'en vas précipitamment, ne jette même pas un regard dans ma direction?

-Je... oui c'est elle. Je sers la mâchoire, une colère de plus en plus importante bout dans ma poitrine.
-Tu sais quoi Vi...
-Oui ?
-J'ai vraiment l'impression que tu m'idéalise. Je ne suis pas parfaite moi non plus, tu sais ça? Elle inspire calmement, comme si elle s'apprêtait à dire quelque chose de très important. Ne parle pas de ton amie comme si elle était une traîtresse, comme si mes amis étaient dix fois mieux ok? Tu ne les connais pas. Son regard qui, à présent est sombre, se plante dans mes yeux, m'arrachant un sursaut de surprise. Tout ce qu'ils t'ont montré, tout ce qu'on t'a montré, ce n'était qu'un déguisement. Elle marque une pause. C'est la règle; quand t'es en société, fais croire que t'et quelqu'un d'incroyable, juste pour se sentir aimé le temps d'une veillée...
-Je...Je regarde mes pieds, honteuse de m'être fait reprendre ainsi, comme un enfant. Comment cette fille peut-elle lire dans mes pensées ? Pourtant, vous avez l'air si... soudés...
-Dans ce monde, rien ne compte plus que l'apparence. Elle sourit doucement. Laisse moi te donner un conseil Vi, profite de ce que tu as déjà au lieu de convoiter la perfection, ce ne sera qu'une énorme perte de temps. Tout ce dont tu as besoin est devant tes yeux. Son souffle de sagesse se glisse dans mes oreilles et caresse mon tympan, laissant mon être s'imprégner de ces paroles.

Bzzzzzzzz! Bzzzzzzz !

Son téléphone se mit à vibrer furieusement. Elle décrocha et me signala qu'il était temps qu'elle aille rejoindre ses parents pour un événement familial.

Il est temps pour moi de partir.