Vivianne sac à main

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Si Laurie voyait à quel point Alexandre me fait me mettre dans tous mes états, elle piquerai  une crise de colère. Elle déteste la faiblesse et la mienne en particulier. Même si elle n'est pas là, je peux entendre les « allez Vi ressaisis toi purée ! » ou alors « Il ne mérite pas tes larmes ! ». Elle a raison de toute façon. D'une certaine manière, sa dureté me donnait de la force mais, maintenant qu'elle me ghoste royalement, je me sens plus faible que jamais.

Je n'ai plus d'amies.

Plus d'amies pour me dire que c'est ridicule de pleurer pour un mec, de souffrir pour lui. Plus d'amies pour ne pas comprendre ce que je ressens et me faire me trouver anormale. Plus d'amies pour me juger en pensant que ça ne va pas me toucher, en pensant que plus tard dans la nuit, je ne vais pas pleurer toutes les larmes de mon corps.

Plus d'amies.

Plus d'amies pour me réconforter. Plus d'amies pour me donner envie de chialer tellement je les aime fort. Plus d'amies pour faire un carnage toutes ensemble en faisant des gâteau, pour passer des weekends sur le bateau de Laurie et pour ensuite se tartiner de Biafine les jours qui suivent. Ces week-ends heureux que nous avons passé, je les regrette tellement. Les rendez-vous parc avec un énorme pique-nique, les séances de révisions dehors en compagnie du mistral, les raclettes...

Lilou le soleil, toujours prête pour détendre l'atmosphère.

Laurie l'impétueuse, celle qui parlait pour nous toutes.

Léane la sérieuse, que l'on ne voyait presque jamais en dehors des cours tant son emploi du temps était chargé.

Lana la chanteuse, plus talentueuse que nous toutes réunies, nous l'admirions.

Elle me manquent. J'ai tout perdu et c'est ma faute.

Comme toujours.

Je suis plongée dans le noir complet, aussi bien dans ma chambre de dans ma tête. De la haine à l'amour, il n'y a qu'un pas dit-on. Je pense que l'inverse peut également fonctionner. Je les déteste de me faire sentir aussi mal. Je les déteste de me manquer autan.

C'est drôle, je n'ai plus rien à quoi me raccrocher.

Plus rien.

Couche ta peine sur mes pages.

Je vais faire comment moi? C'est comme pratiquer l'escalade sans prises, on ne peut même pas décoller un orteil du sol.

Soudain, j'entends un bruit de choc dans le salon. Un, puis deux, puis trois, puis quatre. On toque à la porte. Furieusement. Je sais déjà de qui il s'agit.

Les martèlements continuent, toujours plus violents.

Ne pas paniquer, maman vas aller ouvrir, elle va gérer la situation. Mais maman dort. Pas le choix, c'est à moi d'être prise dans la tornade. Les jambes tremblantes et à l'aveuglette, je me redresse dans mon lit, tâtonne, exécute quelque pas vers l'interrupteur, allume la pièce : ouvre la porte de ma chambre. Je traverse le salon, fantomatique, j'ai peur à vrai dire. J'ai envie de me cacher sous mes draps. Mais je sais que Robert ne lâchera pas l'affaire, si je ne lui ouvres pas, il finira par péter un plomb. Il n'a jamais été violent avec moi, il était même affectueux, essayant d'avoir une relation à peu près normale avec moi. Au fond, je le sais, il m'aimais vraiment, je reste sa fille tout de même. Malheureusement, ce n'est pas réciproque, il m'a fait subir tellement de choses que je suis incapable de ressentir une once d'amitié à son égard. Cette fois, ci, après ce que je lui ai dit, je doutes que ça ne soit la même chose.

Alors, dans une profonde inspiration, je fais tourner le loquet de la porte d'entrée, puis la poignée. 

Boum, clac scritchhh, scritchhh.

C'est Robert qui ouvre violemment la porte et qui s'essuie les pieds sur le tapis de l'entrée.

Froush, arg.

C'est toujours lui qui cette fois, me saisit par la manche et m'entraine dans la cuisine, sans un mot, ma peur ponctuée par les uniques grognements qui sortent de sa bouche.

Je suis pétrifiée, me laissant me trimballer comme un vulgaire bagage. Vivianne le sac à main. Celle à qui on fait traverser le salon sans aucune précautions en serrant beaucoup trop fort la hanse, qui est en vérité son bras. Autour de moi tout se mélange. Le temps se distord et se courbe, ne laissant à mes yeux que de sombres traces floues pour me repérer. Mes oreilles sifflent, mes sens se brouillent. La gorge nouée, prise dans ce torrent de rage et de douleur contenue, je ne parviens même pas à produire un son. Une scène d'une telle brutalité ne devrait pas être aussi silencieuse, c'est la première chose à quoi je pense. Enfin, ce jusqu'à que mon gros orteil heure la fameuse table basse, m'électrisant la jambe dans une lancinante douleur : Je couine. Mais Robert s'en fout, il me balance sur une chaise, le bois foncé claque contre mon coccyx, j'ai mal. Le silence se rompt brutalement.

Maintenant que je sais où je suis (plus précisément dans la cuisine, une pièce carrelée du sol au plafond et ont les meubles ont l'air de sortir tout droit d'Ikea), plus rien ne me retiens de crier. Alors je hurles comme jamais je ne l'avais fait, je me libères de tout poids, m'arrachant les cordes vocales au passage. Mon corps en pyjama se vide de son air dans un affligeant :

-LACHE MOI !!!!

-Petite peste...

Mon bourreau prononce ces mots comme s'il avait devant lui la chose la plus écœurante du monde. Il rapproche son visage dégueulasse du mien et son haleine alcoolisée me rentre dans les narines, j'ai envie de vomir.

-Tu ne veux pas comprendre hein... Quand j'essaye de vous expliquer à toi et à Corine, ça compte pour du beurre pas vrai ? Il chuchote presque, ses yeux perçants plantés dans les miens. Si je suis venu, c'était pour parler à ta mère figure toi... mais maintenant que tu est là, c'est à toi que je vais dire quelque trucs.

-Tais-toi...

Adaptant ma voix à son ton faussement doux, je continue, tremblante :

-Jusqu'à présent, tout ce que tu nous a dit, c'étaient des mensonges. Alors fermes-la.

-Tu sais, je ne suis pas le seul fautif ici.

Il m'ignore. Ordure.

***

-Tu crois que quand j'ai surpris ta mère avec un certain « Martin » ça ne m'a pas fait mal ? Laisser passer ça c'est dur, figure-toi. Et puis, quand j'ai vu les dizaines de lettres d'amour de « Lucas », puis de « Barnabé »... et les textos de « Léonard », selon toi, j'ai pas pleuré peut-être ? Et puis, tu aimerai voir la personne dont tu es amoureuse au bras d'un certain « Charli », Charli l'ancien voisin du dessus putain !

Alors là, je ne comprends plus rien. Le cerveaux sur off, j'essaye de saisir les bribe de phrases qui me parviennent et de les assembler dans un texte cohérent.

-Alors, pourquoi tu fais cette tête ? Y'a dix ans, elle se gênait pas ta mère pour fricoter avec tous les gars du quartier, il faut dire qu'elle se sentais seule la pauvre ! Rugit-il, perdant d'un coup tout le semblant de sang-froid qu'il s'était efforcé de garder. Et pis toi t'était petite, c'est normal que t'y comprenne rien mais bon sang, c'est évident non ? D'ailleurs, quand j'étais venu vous annoncer une grande nouvelle, bah t'a vu tout juste Vivianne : je me marie. Et cette fois à une femme bien qui ne me fera pas des coups bas. Contrairement à ce que tu penses, je n'ai jamais vraiment trompé ta mère, Vivianne. C'est vrai, je partais ! Mais c'était pour aller vois celle qui sera bientôt ma femme. Celle qui à l'époque n'était qu'une amie à laquelle je pouvais me confier ! Il faut que tu comprenne, Corine t'a raconté des salades, t'a manipulé pour que je ne puisse plus recevoir l'amour de la personne à qui je tenais le plus.

Je ne sais plus si c'est moi qui regarde le vide ou si c'est le vide qui me fixe. A vrai dire, je ne sais plus rien. Toute ce à quoi je me raccrochais depuis des années vient de s'effondrer.

-Mais purée... décidemment, t'est comme elle hein... t'est comme ta mère... je me suis trompé je pense... La déception se mêle à ses paroles et ses yeux brillent. J'ai cru que... j'ai cru que tu pourrais aimer ton père, découvrir la vérité par toi-même, ne pas être obsédée par les mensonges de Corine mais... Mais t'est juste incapable... Il tire une chaise et s'assoit en face moi. Incapable... voilà ce que tu es Vivianne.

Je gerbe.

ON VEUT TOUS VIVRE T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant