27 : Jeu de dupes

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– Une augmentation ? s'écria Charlie.

– Vous n'allez pas vous plaindre de recevoir plus d'argent, répliqua Diane avec virulence en battant des ailes au-dessus d'elle.

La nymphette personnelle de Mme Gloucester n'était pas beaucoup plus aimable avec la travestie depuis sa première arrivée dans la boutique de sa patronne. Cette légère animosité était vaguement réciproque, puisque Charlie avait rapidement fini par se sentir exaspérée par le sarcasme constant de la nymphette, plus agressive à ses yeux que Tybalt. Le jeune homme n'était pas en capacité physique (d'après Arthur) de mâcher un peu ses mots, et ses rares élans de sympathie sincères ne venaient que des fois où Charlie se mettait à cuisiner avec Henri.

Mais au moins, lui ne semblait pas la mépriser ouvertement, ni la prendre pour une imbécile à chaque parole. Ce que Diane se permettait de faire systématiquement.

C'était d'ailleurs pour ça que Charlie avait à peine prêté attention aux paroles de la petite fée lorsque celle-ci avait voleté jusqu'à son établi, alors que la couturière s'acharnait à broder un motif complexe qui commençait à lui sortir par les yeux à force de le reproduire.

Donc entendre qu'elle allait être augmentée, entre deux remarques presque sournoises, avait été davantage une surprise qu'une bonne nouvelle sur l'instant, récoltant encore une réplique de la part de la nymphette dont elle se serait bien passée.

– Je ne m'en plaindrai pas, assura la travestie en lâchant son aiguille. Par contre, j'aimerai en connaître la raison. Est-ce une augmentation annuelle, une prime qui ne dure que pour ce mois-ci, ou bien est-ce que j'ai fait une performance exceptionnelle sans m'en rendre compte ?

– Ne soyez pas trop orgueilleux sur vos petits talents, tous les employés vont être un peu augmentés. Tout le monde gagne un peu plus, pour chaque année d'ancienneté ici.

– Ça sera très efficace pour que je reste, admit la jeune femme.

Elle savait que depuis son arrivée au royaume, sa situation financière avait été bien plus stable que tout le reste de sa vie dans son monde. C'était aussi plaisant qu'un peu effrayant de constater que le petit confort que l'argent lui avait procuré ici suffisait à lui faire oublier tout ce qu'il lui manquait de son monde.

Même si avoir un frigo ou un four aurait été plus pratique pour son quotidien paisible.

– Vous n'êtes pas un indispensable, persiffla la nymphette.

– Je ne me serai pas permis de le croire, avec de si gentils compliments.

Charlie adressa un sourire moqueur à la petite fée, reprenant son travail de broderie comme si de rien n'était, voulant couper court à cette discussion foncièrement pénible. Elle était soulagée que le lendemain se déroule son jour de repos, puisqu'elle aurait le loisir de retrouver à nouveau les Estaffes, avec qui elle pourrait jouer aux échecs. Elle leur avait parlé de ce jeu quelques temps plus tôt, et avait fabriqué une petite planche peinte en noir et blanc pour représenter les cases, ainsi que de simples jetons avec des lettres pour symboliser les pièces, n'étant pas en capacité de les sculpter.

Diane finit par s'éloigner d'elle, sans doute pour aller papoter avec d'autres couturières, lorsqu'un homme entra, aussitôt accueilli par Mme Gloucester qui le questionna sur ce qu'il cherchait.

– En réalité... Je cherche un emploi.

Tous les membres de la boutique relevèrent discrètement la tête de leurs ouvrages, intrigués par cette demande franche et sans détour. Même Charlie n'avait pas été aussi directe, proposant ses services, sans forcément espérer avoir une place dans cet endroit, quand bien même son talent lui avait permis d'en obtenir une.

Les secrets des uns font le malheur des autresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant