Impostor

34.

Quelques mois plus tard...

Playa caracol, Cancún, Mexique
                         06h53 p.m

Je cogitais.

Je n'avais pas bougé de là depuis un bon moment. J'abritais sous un grand palmier, assise dans le sable chaud d'été, fin et bienfaisant. Je faisais face à la mer où j'essayais de me mirer, bien qu'éloignée d'elle avant de replonger dans le petit carnet rose qui n'était pas mien mais qui le devenait peu à peu. Je l'ouvris et sur la première page, il y avait ces inscriptions:

« Ce journal intime appartient à ASHA »

Effectivement. C'était à elle. Je tourne la page suivante, le cœur serré et une boule à la gorge. Et je commence à méditer intérieurement ses écrits.

« Hier, j'me suis embrouillée avec Vero. Et devine quoi cher journal? Je lui ai foutu la honte de sa vie mais tellement. En vrai, j'y étais allée un peu fort en lui tirant les cheveux mais elle le méritait de toute façon. (...) »
C'était du Asha tout craché, souris-je légèrement avant qu'une larme ne roule sur ma joue droite.
Je continuais à feuilleter. Je m'arrêtai brusquement sur une page, laquelle retint mon attention par ce début de phrase:

« Je crois que j'aime quelqu'un. »

Le contenu de la page était le suivant:

« Dire que j'ai toujours cru que l'amour n'existait pas. Je sais pas, cher journal mais comment ça s'explique qu'une seule personne puisse nous faire autant d'effet au point où nous changions pour elle? 'Fin être prêt à tout pour cette personne. Même si parfois cette personne t'est inaccessible mais que tu gardes espoir de l'avoir un jour.

C'est drôle comme je deviens barge en parlant de ça. J'avoue, je ne fais pas non plus d'effort pour l'obtenir. C'est carrément fatiguant et j'ai la flemme de me faire recaler. Du coup, on va dire que j'abandonne. Pas de l'aimer mais de te parler (si on peut dire ça rahhhh). Ce dont je suis sûre, je l'aimerai pour toujours.
Bonne nuit cher journal!! »

Mes larmes coulèrent de plus belle et mes lèvres se crispèrent de tristesse. Une goutte de liquide lacrymal déborde de mon œil gauche, puis ce fut au tour de l'œil droit d'en éjecter le sien. Des kyrielles de larmes s'affalèrent sur les pages tachées d'encre du carnet. Je le refermai aussitôt, au risque de l'abîmer définitivement.

J'avais mal. Très mal. Pourquoi je n'arrivais jamais à aller au delà des dix premières pages? Pourquoi diable pleurais-je constamment pour une personne qui avait été égoïste en me quittant? Même si j'aurais aimé lui dire une dernière fois à quel point elle comptait pour moi, à quel point j'aurais voulu l'aimer autant qu'elle m'aimait. Juste lui dire qu'elle était la seule personne qui m'avait redonné une raison de vivre par son sourire, ses blagues, sa personnalité et surtout sa bienveillance qu'elle essayait de dissimuler derrière une carapace rigide.

J'aimerais juste l'avoir devant moi et la prendre une dernière fois dans mes bras. Si seulement le ciel pouvait m'offrir cette grâce...

Je jetai le journal, non loin de moi dans le sable. Je plaçai mes écouteurs et mis de la musique, Amorfoda de Bad Bunny. Je portai ma tête à mes genoux et je replongerai dans la dépression.

La brise côtière m'affectait et pourtant, je n'avais pas la force de me lever. Jerry m'avait emmenée ici à Cancún pour prendre l'air et me changer les idées. Depuis la mort d'Asha, je n'arrivais plus à dormir et je ressentais constamment cet étrange sentiment au fond de moi, ce sentiment de culpabilité et de trahison. Je la revoyais, encore, ce jour où elle avait perdu goût à la vie. Ce fameux jour où elle était venue me rendre visite à l'appartement.

Je me remémorais ces soirées lointaines que nous avions l'habitude d'organiser en douce dans notre chambre, la 69, là où tout nous était permis. Sauf que je n'avais pas vraiment conscience du fait qu'Asha les faisait pour moi, pour me prouver qu'après la mort, la vie continuait et que sa limite dépendait de moi, elle, nous.

Je ressaisis à nouveau le carnet, l'ouvris et commençai à défiler les pages.

« Aujourd'hui, j'me suis tapée le masseur Johnny. Il avait une de ces queues. »

« Devine qui s'est encore tirée d'affaire? C'est bien moi, cher journal. En fait, je t'explique... »

« J'ai découvert un truc tu vas halluciner non mais de ouf mon p'tit journal. J'ai surpris Charly en plein sex call avec un mec qu'il a rencontré sur Tinder. Je l'ai harcelé pour qu'il me le présente. Hahaha (rire sournois) »

Je souriais, même si ma vision recommençait à se brouiller de larmes. Qu'elle était conne! me dis-je. Je continuais à feuilleter le carnet lorsque je sentis une grosse bouffée de chaleur m'envahir. C'était une couverture. Je sus en même temps qui c'était.
- Jerry! fis-je d'une petite voix. J'veux être seule s'il te plaît.
- Tiens! lança-t-il.
Je tournai la tête et tombai sur l'homme vêtu d'une tenue bohème noire, me tendant un bout de papier. Je le saisis après l'avoir fixé plus d'une quinzaine de secondes et après avoir déposé avec soin le journal intime d'Asha sur mes cuisses. Jerry ramena ses mains à ses poches et restait silencieux. Il me fit un signe de tête m'indiquant d'ouvrir le papier qui s'est avéré en fin de compte être une carte en remarquant mon hésitation. Je me décidai à l'ouvrir afin de prendre connaissance du contenu. Il était écrit sur la première face interne:
Carte au trésor.
Je jetai un coup d'œil absent à Jerry puis me remis à lire:

Nom de la partie : Asha's dream.
Niveau de difficulté: Aucun

Je passai à l'autre facette interne de la carte de couleur kaki , poursuivant ma lecture. Mais je fus un peu surprise de constater qu'il y avait un semblant de carte. Une petite croix dessinait un chemin jusqu'à un endroit. Des semblants de lignes courbes en zigzag. Mine de rien, je ne peinai pas à reconnaître les éternelles vagues de la mer.

Mais...

Je restais perplexe face à cette image. Devrais-je aller me noyer dans la mer? Ou juste devrais-je aller surfer? Je n'avais pas de réponse à ma question et à vrai dire pas du tout compris le principe du jeu.
Je baladai ensuite mes yeux sur la carte, laquelle finit par me dévoiler quelques écritures minuscules fines au revers.

Règle du jeu: Entrer dans la dernière ligne droite.

Ça voulait dire quoi? Entrer dans la dernière ligne droite.

Je n'étais pas disposée à comprendre et mon cerveau ne m'était pas d'une grande aide.
Je relevai donc la tête en direction de Jerry et lui demandai, perdue et presqu'en larmes.
- Ça veut dire quoi tout ça?
- Suis-moi! se raidit-il.
- On va où?
- Quelque part, lança-t-il avant de me tourner le dos et de partir.
   Je me décidai finalement à le suivre, essuyant au passage mes larmes. J'attrapai alors mes affaires et empruntai ses pas...