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Je divaguais dans la grande concession telle une âme errante. Je ne savais que faire pour passer le temps. J'allai donc me servir un verre de limonade dans le frigo, à croire que je n'avais jamais vu auparavant un si géant et performant appareil. Lorsque je sortis de la pièce, je tombai raide sur Simon qui manqua de m'effrayer.
- Oh merde! Ne refais plus jamais ça Simon! criai-je, affolée.
- Désolée madame, euh Kara. C'était pas du tout mon intention de te faire peur.
- Allez, c'est pas grave. T'as besoin de quelque chose? demandai-je avant de prendre une gorgée de ma boisson.
- Mon parrain a demandé à ce que je vous enfin te fasse visiter le coin. Chaque année, de grandes festivités ont lieu ici et attirent énormément de touristes.  Je sais pas si ça te tente.
- Fallait commencer par là, dis-je en bondissant vers la commode disposée non loin où je posai mon verre.
Je repris sous le regard amusé de Simon:
- Donne moi une seconde et j'me change. Puis on y va.
Cela dit, j'accourus instantanément en direction des larges escaliers qui s'élevaient en ronde, offrant au bout de quelques mètres deux chemins opposés. J'eus comme une brise cognitive qui me traversa l'esprit. Je ralentis, m'arrêtai avant de me retourner, m'adressant à Simon en ces termes:
- Et tu saurais pas où il est en ce moment?
- Sûrement entrain de régler des affaires. Mon parrain est un homme assez occupé tu sais.
J'aquiescai juste, affichant un sourire peu convaincu. Simon rajouta:
- Allez, du nerf! Noël nous attend!
      Je ne pus que sourire à sa réplique avant de me hâter vers ma chambre. Elle était très spacieuse et tout était en blanc, parfois doré. La porte d'entrée était en face d'un vaste baie vitrée, laquelle donnait accès à un balcon transparent où la mer me paraissait proche et bruyante. Je me déshabillai sans plus attendre avant d'enfiler une robe rouge ombrée. Je clos mon habillement par des espadrilles à brides assortis à ma robe puis je peaufinai mon maquillage. J'arrangeai ma coiffure. Je me parfume et me voilà fin prête...

Lorsque j'atteignis la pièce principale de la villa, j'aperçus automatiquement Simon. Il s'était retourné au bruit de mes pas. Il vêtait à présent une chemise pêche aux manches écourtées, un short noir très large et ne chaussait plus que de simples claquettes. Il m'aborda très vite:
- Je comprends maintenant pourquoi mon parrain m'a dit de rester à plus d'un mètre de toi.
- Il a vraiment dit ça ? demandai-je en descendant les quelques marches restantes.
- Surtout ne t'approche pas s'il te plaît. Tu risques de me créer des ennuis, fit-il en reculant.
- Non mais tu déconnes ou quoi Simon? ris-je sarcastiquement. Allez, viens! Je mords pas moi. En plus, il dira rien. Je t'autorise à t'approcher de moi.
- Euh j'veux pas d'emb...
- Alors c'est réglé, dis-je décidée à ne pas le laisser finir sa phrase.
          J'enroulai mon bras autour du sien et je m'écris:
- J'adore Noël!
- Pas besoin de crier autant tu sais. Un peu j'me serais cru dans un film d'horreur.
- Vas-y ferme-la et avance...

*
Nous nous baladions de stands en stands. Je savourais goulûment mes empanadas au porc. C'était tout bonnement succulent.
- Huuuummm, j'explose littéralement d'émotions. C'est une dinguerie ces empanadas.
- Attends de goûter à mes arepas au bœuf, c'est clairement une tuerie.
- Fais voir! m'exclamai-je en lui arrachant son snack.
- Eh, la politesse tu connais? demanda-t-il d'un air offensé.
- C'est vachement bon, pus-je souffler la bouche à moitié-pleine.
- C'est d'ailleurs c'que je disais mais à l'avenir demande avant de prendre, repris Simon.
- Désolée, j'm'étais laissée emportée par le moment.
- T'en fais pas, c'est déjà oublié.
- Tu sais Simon, ça fait longtemps que je ne me suis pas amusée de la sorte. Enfin, je le dis pour de vrai. Merci d'avoir accepté de m'emmener découvrir la ville.
- C'est moi qui devrait plutôt m'excuser pour ma grossièreté.
       Je le regardai et lui lançai un sourire chaleureux. Il me le rendit doublement.
- T'as une fois goûté des punchs? me demanda-t-il au hasard.
- Non. C'est quoi?
- Suis-moi, fit-il en m'attrapant par le poignet.
     Je me laissai faire et le suivis dans sa course effrénée. Nous slalomions parmi l'immense foule de visiteurs venue découvrir le marché de Noel. Au bout d'un moment, nous nous arrêtâmes devant un stand où un vieux couple siégeait. On pouvait les entendre crier : Ponche Navideño! Ponche Navideño! Delicioso ponche navideño! Simon les aborda.
- Buenas noches señor y señora Barillas. ¡Feliz Navidad! ( Bonsoir Mr et Mme Barillas. Joyeux Noël! )
- A ti también mi pequeño Simón ( À toi aussi mon p'tit Simon ), répliqua Monsieur Barillas.
- ¿A quién nos traes de vuelta, hija mía? ¿Tu novia? ( Qui nous ramènes-tu là mon enfant? Ta petite amie? ) demanda Mme Barillas. Ah los jóvenes de hoy. No pierdes el tiempo. En nuestra época ni siquiera se nos permitía sonreír a una persona del sexo opuesto. Nuestros padres nos ataron y torturaron. ( Ah les jeunes d'aujourd'hui. Vous ne perdez pas du temps. Nous dans notre temps, on n'avait même pas le droit de sourire à une personne du sexe opposé. Nos parents nous ligotaient et nous torturaient ) , rajouta-t-elle.
- Vamos Milagros, vas a aburrir a nuestros invitados. ¿Qué quieres mi pequeño? Elige tu bebida. Es la casa la que cumple. ( Allez Milagros, tu vas ennuyer nos invités. Que veux-tu mon p'tit? Choisis ta boisson. C'est la maison qui offre ) , continua le vieil homme à la barbe blanche.
- ¡Holà! ( Salut! ) , fis-je timidement, un large sourire scotché aux lèvres.
- - Sólo por sus hermosos ojos, le ofrezco todo lo que desee, señorita ( Juste pour vos beaux yeux, je vous offre tout ce que vous voulez mademoiselle ) , répondit Mme Barillas.
-¡Kara! Mi nombre es Kara. ¡Encantado de conocerla señora! ( Kara! Je m'appelle Kara. Enchantée madame! ) finis-je en lui tendant la main.
       Elle me la serra vigoureusement.
- ¡Yo tambien, queries ! ( Moi de même ma belle! )
      Je la vis se pencher vers l'oreille de son époux et l'entendis lui souffler:
- ¡Mira cariño, ella me estrechó la mano! ( Regarde chéri, elle m'a serré la main! )
       Sa réaction m'amusa quelque peu. J'admirais la complicité qu'elle avait avec son époux. De sa chevelure grisonnant de vieux jours, son visage asséché offrait une vive rigueur à ses sourcils. Ses yeux étaient d'un bleu céleste, pur et innocent. Et que dire de sa tenue traditionnelle qui mettait en avant ses origines amérindiennes. Quant à Mr Barillas, il vêtait une simple chemise à carreaux brune qui dessinait son ventre rond et sûrement bourré de graisse. Son visage oval donnait lieu à des yeux noirs profonds et des lèvres déshydratées par la vieillesse. De petites tâches rousses lui parsemèrent le visage et à constater sa manière de parler, il devait avoir une dentition des plus creuses. Sa tête affichait une calvitie très marquée mais quelques mèches de cheveux roux-jaunâtres lui recouvraient encore le crâne. Ils étaient tout bonnement de charmants personnages.

Simon reprit:
- ¡Vamos a hablar en inglés! La señorita Kara no está muy familiarizada con el idioma local. ( Parlons anglais! Mlle Kara n'est pas vraiment habituée à la langue locale. )
- Ah bon? C'est incroyable! lança Mme Barillas.
- Tu veux prendre quoi comme punch? me demanda Simon. Il y a des punchs aux amandes, aux canneberges. On a aussi le punch traditionnel et bien d'autres boissons.
- Vas-y fais ton choix ma fille, lâcha Mr Barillas.
- Va pour le punch traditionnel.
- Bon choix! remarqua Mr Barillas. Et toi Simon?
- Euh... Comme d'habitude, répondit-il.
- Un punch aux amandes et à la menthe poivrée parsemé de quelques noix de cajou concassées, fit Mme Barillas.
- Je comprends que tu aimes cela, débuta le vieil homme en s'affairant à ses pots en céramique aux motifs exotiques, mais il faut bien tester de nouvelles saveurs Simon.
Il s'appuya un instant sur le comptoir en bois de son stand, fixant Simon d'un air taquin avant de continuer:
- C'est pourquoi je te sers un punch traditionnel cette année.
- Oh... Bah merci!
- Alors ma fille, tu es l'une de ces touristes qui vient visiter notre ville pendant les fêtes de fin d'année? s'enquit Mme Barillas.
     Je m'apprêtais à répondre lorsque Simon prit la parole.
- En réalité, il vaudrait mieux ne pas entrer dans ce sujet.
     Je ne dis plus rien et me contentai de saisir le pot que Mr Barillas me tendait.
- Un punch traditionnel pour la jolie demoiselle. Et un second pour mon bon p'tit Simon, fit-il en lui remettant sa boisson.
- Merci Mr Barillas, fîmes Simon et moi en chœur.
- Allez, savourez.
       Je pris une gorgée et me rendit compte d'à quel point le punch était tonique et à la fois excellent.
- J'adore vraiment. Y a pas à dire cette boisson est magique.
- J'te l'avais dit, se vanta Simon.
- J'imagine bien ma petite, lança Mme Barillas. Ça m'a fait ce même effet la première fois où j'ai posé les yeux sur mon tendre époux.
- Milagros, ne la ramènes pas celle là veux-tu?
        Ils continuaient à se chamailler lorsque Simon leur fit savoir qu'il se faisait tard et que nous devrions nous en aller. Nous les quittions sur de vives au revoir. Nous n'eûmes point le temps d'assister aux posadas mais le spectacle des feux d'artifices ne nous échappa pas depuis le quai. Finalement, la journée se terminait en beauté, enfin avant que nous ne rentrions au domaine.

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