Impostor

35.

       Nous roulions dans la voiture depuis un bon moment. La nuit s'était déjà abattue sur la somptueuse ville de Cancún. Et nous, nous étions devenus comme des inconnus ou comme un couple divorcé qui n'arrivait pas à rétablir la communication mutuelle. Je gardais mes yeux sur la route et ne demandais rien de plus que de devenir amnésique. Je voulais oublier tout ce qui se passait actuellement et tout ce qui s'était passé dans ma vie - si on pouvait la qualifier de la sorte. Même si je dirais que c'est un enfer. Et de toute façon, perdre la mémoire n'a jamais tué quelqu'un.

Je passai mon bras droit par dessus bord la voiture, une Mustang décapotable rouge et gardais ma main à l'intérieur, inclinant ma flexion sur la carrosserie froide du véhicule. L'habitacle semblait hostile. Beaucoup trop. Le vent décoiffait mes cheveux qui avaient pris un sacré coup de pousse depuis mes aventures avec Salvatore. Mi-longs, ils formaient un brushing qui trônait sur ma tête depuis bientôt deux semaines. Je devais songer à les recouper, juste comme avant. Je m'adorais énormément avec ce carré plongeant. Il me rappelait à quel point j'avais pu être heureuse il y a quelques mois de cela ne serait-ce qu'en l'intervalle d'une journée. Et, j'y repensais encore à cette foutue nuit, brièvement mais les souvenirs restaient intacts. Aussi, je tentais 'fin j'essayais de mon mieux de ne pas pleurer à nouveau.

Je jetai un coup d'œil à Jerry qui paraissait bien trop absorbé par la route. Il avait l'air préoccupé et surtout à fleur de peau. J'apercevais depuis le côté passager sa veine se dessiner sur sa tempe; le tour couronné d'une mâchoire contractée. Ça se voyait qu'il y avait un problème.
- Jerry, ça va? demandai-je, inquiète.
- Toi ça va? me retourna-t-il froidement, sans répondre à ma question.
- Oui, ça va déjà beaucoup mieux que tout à l'heure.

Faux! Je mentais ouvertement. J'avais une terrible envie de me suicider à l'instant mais tout ce que je savais faire le mieux, c'était de faire semblant d'aller bien. J'étais très forte à ce jeu qui n'en était pourtant pas un.
- Quelque chose te tracasse? repris-je en le fixant davantage.

Il n'avança aucun mot. Il était toujours concentré sur la route. Peut-être ne voulait-il pas en parler. Je me tus et replongeai dans le paysage nocturne qui s'étendait autour de moi. J'avais les yeux pleins de tristesse et en même temps remplis d'une euphorie incertaine. J'avais lu dans un bouquin que deux sentiments pouvaient coexister en une personne sans que l'un ne prenne le dessus sur l'autre. Et je ne savais pas que cela m'arriverait un jour. Je me sentais...

Bien.

Un énorme camion passa à côté de nous et klaxonna pour une raison qui m'échappe. Le bruit agaçant du véhicule poids-lourd me sortit de mon état de symbiose sentimentale.
- Espèce de gros con, fulminai-je tout bas.

Soudain, la voix de Jerry me parvint.
- Elle avait été diagnostiquée du SIDA quelques semaines avant sa mort.

Je lui fis face, les yeux grands écarquillés et complètement perplexe.
- Charly m'a tout dit. Ton amie avait refusé de suivre un traitement. Elle ne voulait pas s'opposer à son destin.

Une colère venait de surgir de nulle part. Elle s'était emparée de moi. De quel droit Asha avait-elle pu refuser ce traitement? De quel droit avait-elle pu se laisser faire? De quel droit avait-elle pu penser qu'à elle seule? Elle ne s'était pas demandée ce que Raquel et moi vivrions après sa mort aussi lâche qu'elle soit. Si elle savait que sa fin était proche, pourquoi ne m'avait-elle rien dit ce jour là ? Pourquoi avait-elle été obligée de se suicider?  Pourquoi diable ?
Une larme s'annonçait dans mon œil gauche puis c'était bientôt la mer sur mon visage.
- Elle ne méritait pas de mourir de cette sorte, rétorquai-je, furieuse.
- Je sais.
- Elle n'avait pas le droit, fis-je en sanglotant. Elle n'avait pas du tout le droit de partir de cette manière.