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[Kara]

J'avais pris une douche froide. J'espérais qu'avec elle, mes pensées bouillonnantes y passeraient. Mais rien n'y fit. J'avais toujours ce même degré d'envie d'étrangler et Lauren, et Salvatore. Lorsque je sortis enfin du magasin qui me servait de garde-robe, je fus tétanisée par ce que je vis. Mon cœur rata un bon, un autre et encore un autre. C'était devenu mon pain quotidien donc, je ne m'inquiétais pas trop. Il finissait toujours par reprendre son rôle mécanique et vital.
Une rose noire était posée sur le matelas, mon matelas. Je m'approchai, sur la défensive et les sourcils froncés. Je réalisai que je m'étais trompée sur la couleur de la fleur. Elle était plutôt d'un rouge assez sombre pour faire penser au noir et légèrement vermeil pour rappeler le sang qui se coagule. Car du sang, j'en avais vu. J'en avais eu sur les mains. Et je savais pertinemment de quoi je parlais.

Mes pieds chevrotaient au fur et à mesure que je me rapprochais de mon lit. Là où je me couchais. Là où, trente minutes avant, il n'y avait jamais eu de rose. Raya et tante Amanda n'étaient pas là. Aujourd'hui, c'était le Mardi Poker avec les vieilles amies de ma tante. Raya avait proposé de l'accompagner afin de changer d'air. J'imagine qu'elle en avait marre de respirer chaque jour le même oxygène des quatre coins de cette baraque.

La fleur était épineuse. Je n'osai point la toucher. Mon intuition m'en dissuadait. Je tournai la tête et cherchai du regard dans la pièce périphérique. Rien à signaler. Je saisis le pot de fleur juché sur la commode près de la porte d'entrée, prétendant que ça me servirait d'arme.

- Au moins, j'aurais essayé. Je ne mourrai pas bêtement, comme dans ces films d'horreur à la con.
- Oui oui, je te crois connasse!

Après avoir mis en sourdine mon cerveau, je mesurai mes pas jusqu'à l'antichambre, là où séjournait le jacuzzi. Cet endroit avait vu tant de scènes obscènes qu'un simple petit meurtre de rien du tout ne lui signifierait absolument rien. Et quand je disais meurtre, je parlais bel et bien du mien. Parfois, j'avais cette sale tendance à souhaiter que ma mort soit un homicide, peut-être bien une affaire qui en donnerait du fil à retordre à des flics. Je connaîtrais mon heure de gloire alors, et toute la célébrité que mon ego surdimensionné méritait. Ça par contre, ce n'était qu'un détail.

J'actionnai l'interrupteur. La pièce était vide. Je rebroussai chemin. Une ampoule s'alluma soudain dans ma tête, m'indiquant de vérifier sous mon lit. Je m'étais faite tout un tas de scénarios stupides et morbides. Et s'il était vraiment en dessous?

Il qui?

Restait plus qu'à vérifier. Je m'accroupis et jetai un regard pile sous mon lit. Ce n'était qu'un vain effort. Je n'y voyais clairement rien. Tout comme dans mon futur incertain. Je grognai un juron avant de me relever. Je posai le vase sur ma table de chevet puis m'accaparai mon téléphone. Dès qu'un faisceau de lumière s'en échappa, je retournai à mon poste. Négatif. Il n'y avait personne. Je me relevai et pris le vase dans mon autre main. Il était plus prudent de ne pas m'en séparer. Je vérifiai mon dressing et ma salle de bain ( histoire d'être sûre ). Par la suite, j'allai faire le tour de la maison. À un moment, j'avais entendu un bruit étrange. Mais visiblement, ce n'était qu'un paquet de Cheetos que j'avais englouti qui se décompressait sur le plan de travail de la cuisine. Quoique, j'avais eu la frousse de ma vie.

Je poussai un soupir de frustration et de colère. J'étais à cran. Excessivement. Je priais pour qu'un simple fantôme, ceux que tante Amanda avait l'habitude de voir apparaisse. De cette manière, j'aurais eu quelqu'un sur qui passer mes nerfs. Sauf qu'à l'instant où je vous parle, j'étais la seule imbécile du village.

- Tu n'es qu'une idiote.
- Je sais.

Je m'étais résolue à remonter et à m'enfermer dans ma chambre jusqu'au petit matin. Je hâtais les pas dans les escaliers lorsque j'entendis une voix. Deux en réalité. Celles de Raya et tante Amanda. Elles étaient rentrées plus tôt. Le « pash » de la porte principale déchira l'ébauche de tranquillité qui avait siégé quelques secondes. Des chaussures martelèrent le carrelage. Je posai le vase sur une marche et descendis en trombe.

- Vous êtes rentrées plus tôt que prévu. Un soucis? demandai-je, légèrement anxieuse.
- Tout va bien Kara? Tu as l'air...bizarre, remarqua tante Amanda.

Raya, elle, se contenta de presser sa pochette contre sa robe bleue roi. Ses yeux me fixèrent comme pour lire dans mon âme.

- J'avais juste entendu un bruit en bas. J'avais cru que c'était un cambrioleur mais au final, je n'ai rien trouvé. Ça devait être mon imagination qui me jouait des tours.

- Ouais c'est ça, ton imagination.
- Oh mais non. Je devais dire la vérité?
- Certainement.
- Merci alors pour l'infos, cerveau tout puissant. Je me coucherai moins bête ce soir.

- Moi aussi des fois, j'entends des bruits étranges. En fin de compte, je réalise que c'est mon estomac qui gargouille, prit la parole Raya, une expression taquine.

Je compris aussitôt son allusion. Elle allait une fois de plus me forcer à me goinfrer. Je regrettais déjà mon mensonge. Tu n'es qu'une maudite, Kara Jackson.

- Allez viens, je vais te faire de bons tacos à la Mexicaine. Tu vas adorer, j'en suis sûre, sourit-elle grandement.
- Meryl était malade. Du coup, le jeu sans elle n'avait plus toute son importance. Nous sommes donc rentrées chacune de notre côté. D'ailleurs, au retour, nous devrions prendre un taxi. Mais un gentil homme nous avait proposé de nous raccompagner. Tu sais, il était plutôt flatteur, s'émoustilla tante Amanda.

Un gentil homme?

- Il ressemblait à quoi? m'enquis-je précipitamment.

Entre temps, Raya s'était rendue à la cuisine. Je clignai des yeux un nombre incalculable de fois, attendant une réponse de la part de ma tante.

- Il était rouquin, un peu dans la trentaine, pas trop baraqué.

Ce n'était pas lui. Je m'étais plantée. Encore.

- Il était tout de même un beau-parleur. Je parie qu'il adore les milf, s'épancha-t-elle vers moi, un ton modéré à l'appui.

Le problème avec moi, c'était que j'aimais tout ce qui pouvait me conduire à ma propre perte. Le problème avec ma tante, elle aimait tout ce qui n'était pas de son âge. Et je commençais par croire que l'improbable était définitivement encré dans nos gènes. Je feignis une toux, ensuite glissai un sourire de connivence.

- Peut-être aussi qu'il aime les nièces des cougars, qui sait? narguai-je ma tante.

Elle gloussa, créant la chaleur dans la maison.

- Je vais prendre un truc à l'étage et je reviens tout de suite.
- N'ai-je pas droit à un câlin de ma nièce préférée avant?
- Tu veux dire ton unique nièce.

Je levai les yeux au ciel, faussement exaspérée avant de me précipiter dans ses bras grands ouverts. Ses cheveux sentaient cette la vanille. J'inspirai un bon coup et me décollai d'elle.

Sur cette étreinte réconfortante, je remontai. Arrivée dans ma chambre, je ne vis plus la rose. Elle avait disparu. Une crispation avait envahi non seulement mon visage mais également tout mon corps. Je ne savais ni quoi penser ni quoi faire. J'étais juste consternée face à mon lit. Même la chute du vase sur le parquet ne parvint à rivaliser avec le chaos dans mon esprit. Je compris alors qu'il n'était jamais parti. Il était ici, chez moi.

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