Chapitre 3 : pluie & sandwich

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          Edith courait sous la pluie. Elle rabattait vainement sa capuche sur sa tête mais le vent était bien trop fort. La jeune femme abandonna la lutte au tournant d'une pharmacie où le petit serpent vert brillait malgré le temps désastreux. Son chignon se défit, l'élastique avait lâché, laissant voler sa tignasse brune. Edith n'avait pas le temps de regarder sa montre pour vérifier l'heure, elle espérait juste qu'elle serait de retour pour neuf heures quinze.

Son immeuble se détacha enfin du décor comme un phare dans la nuit. Elle sourit d'euphorie en se plantant devant la porte d'entrée. « Vite, le badge ! » Sa main gauche fouilla rapidement dans son sac à dos mais ne trouva pas tout de suite les clés. Entre sa bouteille d'eau et son téléphone, elle dénicha les rebelles qui lui filaient entre les doigts.

Victorieuse, Edith brandit le badge qui ouvrit la porte. Elle s'y engouffra et grimpa les escaliers jusqu'au premier étage. En nage, elle déverrouilla la porte numéro 9 et se précipita chez elle. Elle claqua du pied droit la porte derrière elle, sans ôter ses bottines. Le chat blanc qu'elle se plaisait à appeler « son » chat depuis hier était étalé sur le radiateur. À croire qu'il fondait à vue d'œil à cause de la chaleur. Il leva son museau rose, mécontent d'avoir été dérangé durant sa sieste matinale. L'animal observa Edith et leva une patte vers elle pour jouer. Il changeait vite d'humeur, ce chat.

Toutefois, Edith ne se laissa pas distraire et fouilla dans sa trousse à pharmacie posée sur son bureau. Elle y trouva enfin les pilules verdâtres et en fourra trois dans sa main gauche.

L'animal miaula. Il avait faim. « Je n'ai rien à te donner ! » répliqua Edith.

Son regard insistant était irrésistible, sa maîtresse lui accorda quelques secondes. « Tu es tout mignon... » sourit-elle. « Mais j'ai pas le temps ! » La queue du chat martela silencieusement le radiateur tandis que ses oreilles s'inclinèrent vers la jeune humaine qui faisait volte-face. Elle emporta une serviette qui trainait sur son lit et la mit dans son sac. La porte claqua derrière elle.

Une fois à l'extérieur de l'appartement, elle avala une pilule sans eau tandis qu'elle glissait les deux autres dans la poche gauche de son manteau rouge foncé. Le chat, quant à lui, sauta de son perchoir et marcha avec souplesse vers la porte. Il attendit. Le cliquetis des clés lui indiqua que la porte était dorénavant fermée. Le chat ne bougea pas d'un poil.

Le cachet passa difficilement mais Edith n'avait pas d'autres alternatives. Elle se remit à courir. Son corps n'avait jamais été fin, au contraire, il se plaisait à collectionner les bourrelets. Sa lutte reposait sur le sport et une alimentation saine. Néanmoins tous ses efforts ne lui avaient valu qu'une bonne condition physique et non pas le corps parfait qu'elle espérait. Elle jeta un œil à sa montre : neuf heures dix. « C'est le moment pour ton meilleur sprint ! » lâcha-t-elle en dévalant les escaliers.


          Une femme et son fils passèrent à côté de Lucien. Il se raidit. La brique de lait qu'il tenait dans sa main droite semblait sur le point d'exploser. Faut dire qu'il avait une bonne poigne.

Le garçon d'une quinzaine d'années le regarda de haut, il devait faire environ un mètre quatre-vingt-dix. Un gringalet qui avait sûrement dû pousser d'un coup en quelques mois. Lucien resta impassible, la bouteille encore dans la main.

Il les regarda partir, planté comme un piquet au milieu du rayon. Une montagne de lait l'attendait. « Si seulement il n'y avait que ça. » Il se remit au travail en posant la brique blanche à moitié écrasée sur l'étagère. Après, vinrent les packs d'eau puis les céréales. « Je ne peux pas me barrer d'ici », pensa-t-il en arrangeant des salades sur le comptoir de légumes. « Quelqu'un sait pour moi et n'en a pas dit un mot à la PRP. » Il se fit violence pour ne pas jeter un œil derrière lui. « Sinon j'aurais déjà été arrêté. » Lucien repéra une tomate pourrie à sa droite. Il la prit dans ses mains. « Les anomalies finissent toujours par être évincées. »

Le Souffle de Nos RefletsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant