Chapitre 19 : voiture rouge

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          Lucien roulait en ayant l'étrange sensation de n'être pas seul. Sur le siège passager se tenait Edith, silencieuse et droite comme un piquet, n'osant pas se faire remarquer. Il savait qu'en tant que maître des lieux, il aurait dû engager la conversation. Seulement voilà, il était tétanisé.

Il jeta un œil dans son rétroviseur intérieur. Une voiture rouge était à leur suite, ses essuie-glaces frénétiquement en action. La pluie n'avait pas cessé.

« Quel temps ! » lança soudain Edith en ne bougeant pas d'un poil.

Lucien serra plus fort son volant.

« Oui. » couina-t-il sans réussir à trouver mieux à répondre.

La jeune femme se tourna alors vers lui, une moue peinée plaquée sur son visage.

« Vous savez, si vous m'en voulez toujours pour votre nez, on peut régler cela entre adultes, rien ne sert à me faire la tête. »

Les joues de Lucien s'empourprèrent aussitôt. Il balbutia :

« Non, non... Je... Enfin, je... »

Comme de mèche avec sa colocataire, un feu sur la route tourna du vert à l'orange. Le traître ! Lucien décéléra en douceur en jouant sur les pédales. Une fois à l'arrêt, il se décida enfin à affronter le regard indigné de la jeune femme sous la lumière rouge du feu.

« Écoutez, je ne vous en veux plus. »

« Ah, c'est déjà ça. » répliqua-t-elle en ne voulant plus soutenir son regard de chien battu. « Mais vous me détestez. » Edith croisa ses bras contre sa poitrine.

« Pas du tout ! » s'exclama-t-il en la fixant d'autant plus qu'elle le fuyait.

« Vous avez cet air renfrogné et sévère, comme si ma présence suffisait à vous excéder ! »

Les yeux ronds, Lucien grimaça en se réjouissant tout de même : il n'avait pas été le premier à déclencher la dispute. Il s'apprêtait à répliquer dare-dare lorsque le feu tourna au vert.

Le véhicule reprit la route en silence.

« Je... Je suis... »

Il soupira en se frottant les yeux de sa main gauche, l'autre restant résolument cramponnée au volant.

« Cela va vous paraître étrange peut-être, mais je suis disons, euh... réservé. »

Lucien n'osait bouger d'un millimètre, les yeux rivés sur la route. 

Un blanc s'installa. Edith épiait Lucien discrètement en se mordant la lèvre.

« Je... Je suis désolée, je me suis emportée un peu vite. »

« Ce n'est rien. » soupira Lucien de soulagement.

Décidément, ils avaient le chic pour débuter et clôturer une dispute en moins d'un quart d'heure. Étourdit par l'enchainement inattendu de la conversation, Lucien fixait dorénavant la route, ne sachant pas s'il devait relancer un sujet sur la table ou bien se taire.

Il était tout perdu.


* * *


          Trois heures plus tard, Lucien fermait enfin le coffre de sa voiture pour de bon. Le véhicule brillait d'une propreté nouvelle : la pluie avait été efficace. Le déménagement quant à lui, s'était déroulé dans la plus grande banalité. Edith mettait un point d'honneur à être facile à satisfaire. Lucien n'allait pas s'en plaindre. Le soleil commençait sa lente descente vers le sol. Il était dix-huit heures.

Le Souffle de Nos RefletsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant