Chapitre 9 : police & kiosque

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          Lucien avait la capacité inédite de se retrouver dans les pires situations. Il en était presque épaté. À demi déconfit, il vit se rapprocher la vague humaine comme simple témoin de pierre. Un policier en uniforme se détacha de la foule en hurlant des directives vaines, complètement fondu dans le chaos.

La présence du policer lui fit l'effet d'un électrochoc : Lucien reprit ses esprits. Il ne fallait pas rester dans le coin !

« Viens Roger, il vaut mieux ne pas rester là » lança-t-il en reculant vers l'arbre compatissant.

« Je suis d'accord... » confirma le boulanger en reculant. « Viens derrière moi Lucien. » ajouta-t-il. Sa paternité reprenait ses droits : il se devait de protéger son jeune ami.

Roger attrapa le coude du jeune homme immobile et le força à fuir par sa poigne ferme. La voix du policier qui jusqu'alors se noyait dans le bain de foule, fut enfin claire et audible.

« Ne paniquez pas ! Évacuez le marché par la place dans le calme s'il vous plaît ! »

Les deux hommes couraient déjà en suivant le mouvement général. La plupart des gens portaient à bout de bras leurs courses comme s'ils s'en servaient de bouclier pour se protéger des autres. Les cris tapaient aux oreilles de Lucien qui s'enfonçait dans la masse. Il sentit le contact de son ami de plus en plus lâche.

Soudain, Roger disparut. Le jeune homme cherchait en vain à se retourner pour vérifier s'il n'aurait pas été ralenti dans sa course. Aucun visage connu ne croisa son regard désespéré. La foule épaisse coulait le long des rues comme une rivière torrentielle. Lucien fut à son tour englouti par la marée humaine. C'était l'anarchie.


          Edith et Juliette marchaient dans la rue propre et silencieuse. Le propriétaire les avait finalement congédiées, son téléphone s'étant mis à sonner. Elles tournèrent à l'angle de la rue. Leur pas tranquille ne les menait nulle part.

Edith avait beau avoir quelques courses de retard, comme racheter du lait par exemple, elle préférait s'occuper de la jeune Juliette.

La menace de l'attentat matinal ne les dissuada pas de se promener. La police devait avoir sécurisé le poste attaqué depuis bien longtemps. D'autant plus qu'il se trouvait à l'autre bout de la ville et que la nouvelle avait eu le temps de circuler, elles estimèrent la situation sans danger. Faire quelques pas n'allait pas les tuer.

« C'est bizarre, il n'y a pas un chat » fit remarquer Juliette en glissant les mains dans ses poches.

Edith acquiesça. En engageant son pied sur la chaussée sèche.

« C'est samedi, tout le monde est au marché. »

« Oh, c'est vrai, tu as raison. »

Elles traversèrent la route. Le visage de la jeune femme s'illumina soudainement. Elle avait une idée ! Ses pieds faillirent trébucher sur le rebord du trottoir. Edith se rattrapa in extremis à Juliette avant de faire un atterrissage forcé.

« Tiens, un petit-déjeuner te ferait plaisir ? Un bon croissant chaud ! » fit-elle en reprenant son équilibre.

« Tu m'as hébergée, c'est déjà beaucoup pour moi. » répondit Juliette avec une mine de chien battu. Une mèche de ses cheveux cachait en partie sa joue bleutée.

« Hey, je t'en prie. Si je peux faire quelque chose pour t'aider... »

La jeune fille fit la moue. Un silence s'installa. Edith engagea la marche : elle avait pour idée de la conduire à la première boulangerie venue. Elle aurait son croissant !

« Alors... Ce reflet ? » lança-t-elle finalement.

Juliette prit son temps pour répondre. Elle ne semblait pas savoir par où commencer.

« Il... Il s'appelle Pascal. »

Edith acquiesça en lui souriant pour l'encourager à poursuivre.

« Il est... Autoritaire. »

« Comment tu fais pour le supporter ? »

Juliette soupira comme si toute sa fatigue s'évacuait par sa bouche. Edith compatissait. Elle avait envie de lui frotter le dos gentiment de sa main, mais, n'osa pas. Sa question était-elle trop intrusive ? L'avait-elle mise mal à l'aise ?

« Je... Je le contrôle quand je peux. Parfois, c'est plus dur. »

« Hier ? »

Le silence, froid et tranchant, lui donna sa réponse. Edith ne le brisa pas immédiatement. Juliette avait besoin de temps. Son regard fixait obstinément ses pieds. Edith savait qu'une boulangerie n'était plus très loin, celle sur la place du vieux hêtre.

« J'ai... J'ai tellement peur qu'on nous découvre... Il fait des choses la nuit que tu n'imagines pas Edith. » Les sanglots qu'elle retenait s'échappèrent. Leurs traînées brillantes marquèrent les joues rondes de Juliette.

Edith sentit une vague de tristesse la parcourir. Ses yeux accueillirent des perles d'émotion. Leur chaleur la fit frissonner. Elle en voulait à ce reflet qui ne respectait pas son hôte ! De quel droit se permettait-il de la traiter ainsi ? Elle risquait la prison à cause de lui ! Edith tapota doucement le dos de la jeune fille en pleurs.

D'un geste de la main, elle cueillit ses larmes sur son visage meurtri. Elles n'avaient pas besoin de mots pour se comprendre. Edith était là pour elle et Juliette appréciait sa présence. Elle replaça une mèche derrière son oreille.

« Un croissant ? »

La question d'Edith arracha un sourire à l'intéressée.

« D'accord. »

Elle plaça le bras de Juliette dans le sien et elles marchèrent ainsi, chaque pas les menant vers le croissant tant attendu.


          Lucien s'était réfugié derrière un kiosque pour reprendre son souffle. La foule commençait à se dissiper et il put analyser ses arrières en jetant un œil sur le côté de son refuge. Il était seul. Pas de Roger en vue. Il fronça les sourcils. Serait-il plus loin ? Où était-il bon sang ? Lucien se rongea les ongles, partagé entre l'inquiétude et la peur. Le froid mordant s'engouffrait par saccades dans sa gorge en feu.

Un coup de feu retentit. Il sursauta ! Un deuxième suivit. Son dos se retrouva plaqué contre le kiosque vert par sa terreur instinctive.

« Que se passe-t-il... Que se passe-t-il ?! » gémit-il en tremblant.

Un troisième coup de feu déchira le silence comme réponse. La peur de Lucien redoubla. Soudain, il comprit. Azamid était une ville relativement calme habituellement. Pas d'embrouilles, pas de magouilles. Sauf lorsque les Echos en décidaient autrement.

Il vivait un cauchemar éveillé. Lucien était au beau milieu d'un attentat.


          Les deux jeunes femmes virent un kiosque au bout de la rue. Quelle surprise lorsqu'elles traversèrent le boulevard désert ! Un homme semblait faire dans son froc, fondu contre la paroi de l'abri vert.

« Là, c'est bizarre. » admit Edith en fronçant les sourcils. Son bras se détacha de celui de Juliette.

Le Souffle de Nos RefletsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant