Chapitre 10 : rouge sang

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          Lucien vit à une vingtaine de mètres deux femmes. L'une, portant un manteau rouge, était aussi visible qu'un phare dans la nuit. Il crut perdre la tête.

« Mais qu'est-ce qu'elles foutent là ?! » marmonna-t-il en se décomposant. « Elles n'ont pas entendu les coups de feu ? » pensa-t-il soudain. Il était tétanisé contre le kiosque protecteur. Tandis que lui, Lucien, était à l'abri derrière sa planque, ces femmes étaient au beau milieu de la route ! Des cibles faciles, surtout celle avec son manteau voyant !

Ses bras bougèrent tous seuls : il ne contrôlait plus ce qu'il faisait. Il forma de grandes croix dans l'air en espérant qu'elles comprendraient. Elles étaient folles ou quoi ? Les terroristes rodaient à deux rues de là ! Et la police ! Que faisait-elle ?


          Edith sentit que la situation tournait au vinaigre. L'énergumène contre son mur de publicité gesticulait dans tous les sens sans daigner les rejoindre. Que faisait-il tout seul ? Pourquoi ne leur criait-il pas ce qu'il tentait de leur dire ?

Un coup de feu tout proche retentit soudain. Juliette lâcha un cri de surprise qu'elle s'empressa d'étouffer de sa main. Edith sursauta. Elle ferma les yeux en se figeant. Le bon sens aurait voulu qu'elle les garde ouverts pour analyser le maximum d'informations : cet homme et ses gestes incompréhensibles, ce coup de feu à deux rues de là...

Mais, non.

Edith gardait obstinément ses paupières fermées. Le noir la rassurait. Juliette se chargea de lui faire entendre raison en la bousculant par le bras. Elle ouvrit les yeux comme un barrage ouvre ses vannes. Un torrent d'émotions la traversa de toute part. Le coup de feu. Juliette à côté d'elle. Cet homme piégé.

« Cours ! » gronda Juliette en faisant marche arrière.

Edith ne réfléchit plus. Elle s'élança droit sur Lucien et sa planque.

« Qu'est-ce que tu fais ?! » s'exclama la jeune Juliette en ouvrant démesurément ses yeux.

Edith ne répondit pas. Son souffle lent et maîtrisé lui brûla la gorge. Le sport allait lui servir encore une fois, non pour arriver à l'heure, mais pour tenter l'acte le plus courageux qu'elle n'ait jamais fait. Si Edith avait réfléchi quelques secondes, elle aurait rebroussé chemin. Seulement, sa raison était complètement engloutie par l'impulsion de son cœur.

Gustave surgit contre leur barrière mentale et tambourina de sa présence la tête d'Edith.

« Non ! Non ! Fais demi-tour ! » cria-t-il à son oreille.

Elle l'ignora. Plus Edith se rapprochait du réfugié, plus elle remarqua sa jeunesse. Il ne devait même pas avoir la trentaine. La blondeur de ses cheveux se fondait dans la pâleur de sa peau. Il gesticulait de plus belle faisant des grands « NON » de la bouche.

« Mon dieu... » commenta Gustave d'une voix résolue.

Elle courrait si vite qu'elle mit quelques secondes à anticiper l'impact. Elle lui tomba dessus. Sa tête percuta le nez de Lucien qui poussa un cri de douleur. Elle lui plaqua sa main sur le visage.

« Chut ! » lança-t-elle.

« Mais vous êtes folle ! Mon nez ! Vous me l'avez cassé, je crois... » gémit-il en retenant de ses doigts le jet de sang qui s'écoulait à flot de son nez par-dessus la petite main d'Edith. « Les échos sont tout proches, qu'est-ce que vous foutez là ! Vous auriez dû fuir dans le sens inverse ! » reprit-il en la dévisageant avec des yeux ronds sans comprendre ses motivations.

Edith retira sa main et le fixa.

« Je n'allais pas vous laisser tout seul ! »

« Mais bien sûr que si ! » gronda Gustave. « Qu'est-ce qu'il te prend ?! »

Le Souffle de Nos RefletsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant