Chapitre 38 : main tendue

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        Le vieil immeuble, dorénavant sa maison, lui jeta un regard fatigué lorsque Edith se faufila à grandes enjambées entre les voitures garées sur parking. Le véhicule de Lucien était bien là. Il était chez eux.

Une sensation étrange lui serra le cœur.

* * *

Alors qu'elle grimpait les escaliers de son immeuble comme une furie, elle croisa une vieille dame qui l'arrêta net.

« Vous êtes la nouvelle colocataire de monsieur Saguier ? » l'aborda-t-elle.

« Euh... oui ? »

« Ça ne m'étonne pas. »

Edith ne savait pas comment interpréter son commentaire. Elle plissa les yeux, confuse.

« Vous n'oubliez pas, je passe ce soir à dix-neuf heures pour faire le point sur le règlement de l'immeuble. »

« Ah ! Oui ! »

Edith avait complètement oublié.

« Oui, on a bien noté avec Lucien, on vous attend à dix-neuf heures, ce soir. »

« Parfait », clôtura la vieille, satisfaite.

Elle continua de descendre sans plus faire attention à Edith.

Lucien, le ventre au bord du gouffre, n'avait pas vomi. Un miracle. Il colmatait sur le canapé tandis que Pascal regardait un film sur son ordinateur portable.

« Non mais regarde-moi ça. Quel mauvais jeu d'acteur ! Franchement, ils sont payés pour ça ? »

Lucien lui répondit par un vague grognement.

« Je suis d'accord avec toi, Lucien, de vrais imposteurs. »

La porte d'entrée s'ouvrit soudain en grand, les faisant sursauter tous les deux. Paniqué, Pascal tenta de mettre pause sur son film mais échoua lamentablement puisque Lucien gigotait trop sous sa montagne de couvertures. Sa tête était cachée par l'épaisse couette et il se démenait pour la sortir de là.

La porte se referma tout aussi violemment et Edith surgit dans la pièce de vie, une tête de demeurée collée à son corps en sueur.

« Lucien ? Dieu merci, tu es bien en vie ! »

Pascal et Lucien échangèrent un regard interloqué.

« Euh... Edith, tout va bien ? » lança le Fax.

« Je vais te tuer ! » hurla-t-elle en retirant d'un geste sec la couverture du corps de son colocataire.

Edith était tellement paniquée qu'elle ne remarqua même pas la présence de Pascal.

« Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?! » continua-t-elle en l'attrapant par le col de son pyjama.

Secoué comme un pruneau, Lucien encaissa la folie d'Edith en sentant son estomac faire des huit.

« Attends, attends, je suis malade, Edith, arrête de... »

« Malade, mon cul !! Tu es probablement empoisonné et en plus tu m'as caché le fait que... le fait que... »

De chaudes larmes coulaient le long de ses joues rouges et rebondies.

« Edith ? S'il te plaît, dis-moi ce qui ne va pas, mais par pitié, lâche-moi, mon estomac est fragile en ce moment... »

« Lucien ! Tu m'écoutes, au moins ?! »

« Mais oui, je t'écoute ! » s'énerva-t-il.

Edith tomba à genou en le lâchant.

« Hé, fais attention... » s'enquit-il aussitôt, une main tendue vers elle.

« Toi ! Fais attention ! »

« Pourquoi, moi ? » répéta Lucien, complètement confus.

« Parce que tu as un policier spécialisé dans la traque des Fax qui est sur le point de... Non ! Qui t'a déjà empoisonné ! Tu es un homme mort, Lucien ! Tu... tu es un Fax. »

Tout ce que Lucien retint, c'est qu'Edith savait pour lui. Il se figea en la fixant pleurer par terre. Alors qu'il aurait dû être paniqué, un énorme soulagement l'électrisa. Elle savait et elle ne le repoussait pas.

« Tu ne me détestes pas ? » fit-il d'une voix tremblante en tendant timidement une main pour relever la tête d'Edith.

« Lucien, c'est pas le sujet ! Il y a un putain de policier qui te traque à l'instant où je te parle ! » cria-t-elle en repoussant sa main.

La grossièreté d'Edith fit froncer les sourcils de Lucien, et seulement là, il comprit. Il bondit hors du canapé et refoula les picotements qui lui rongeaient la nuque.

« Je suis repéré ? Mais je n'ai vu personne aujourd'hui ! Seulement trois policiers mais ils ne m'ont rien dit sur le moment. Y'en a même un qui m'a raccompagné chez moi ! Attends, tu dis que j'ai été empoisonné ? Mais c'est impossible ! »

Edith renifla en se levant et essuya ses joues. Elle prit une grande inspiration tremblante et encra ses yeux dans ceux paniqués de Lucien. Elle s'apprêtait à parler, mais Pascal, qui jusqu'alors ce faisait le plus discret, tomba avec fracas par terre comme une poupée désarticulée, la faisant hurler de frayeur.

« AH ! C'est qui, lui ?! »

« Pascal ?! Qu'est-ce que tu as ? » s'inquiéta Lucien en se jetant sur lui.

Pascal était très pâle. Trop pâle.

« J'ai mal partout... » gémit-il en se tordant dans tous les sens.

Edith, une main sur sa bouche, murmura :

« Tu es un Fax, toi aussi ? »

« Oui, il l'est, mais c'est compliqué », répondit Lucien à sa place. « Hé, allonge-toi sur le canapé, ça ira peut-être mieux... »

« Il aurait été empoisonné, lui aussi ?! » s'exclama Edith.

« Mais comment on aurait été empoisonné ?! On a mangé le sandwich de mon pote ! Y'a aucun policier qui nous a attaqué ou forcé à avaler un poison ! »

Edith sentit que ce qu'elle s'apprêtait à lui révéler le briserait en deux. Elle s'approcha doucement et posa une main sur son épaule.

« Lucien... »

« Quoi ? » fit-il, le regard douloureux.

« Comment s'appelle ton ami ? »

« Roger. Roger Bérant. Pourquoi ? »

Edith se mordit la lèvre en fermant les yeux.

« Ah, non. Non, non, non Edith, je t'arrête tout de suite ! C'est impossible ! C'est pas un policier, c'est un boulanger ! Et c'est mon ami ! »

« Lucien... Crois-moi... Il n'est pas ce que tu crois. »

« Non ! »

Il se dégagea de la main d'Edith et ignora les picotements qui descendirent vers sa colonne vertébrale. Une douleur sourde l'irradia tout entier.

Une douleur anormale. Vicieuse. Aigüe.

Pascal semblait s'être évanouit. Il respirait encore.

Il devait rêver. Oui, c'était ça. C'étaient ces hallucinations de tout à l'heure. Il devenait fou... Il allait se réveiller...



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