Attendre

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-"Miss Slone s'il vous plaît, dîtes-moi que je rêve ?"

Elle avait arrêté de rire, elle me regardait fixement, le retour du Miss et le vouvoiement provoqué en moi des sensations presque oubliées. Sa voix douce, son calme, sa sérénité, me perturbaient.

-"Je suis sérieuse, Grace. Je suis sérieuse quand je te dis que je t'aime à en crever, je t'aime inconditionnellement je t'aime comme personne ne t'a aimé et t'aimera alors crois-moi." Je ne savais pas quoi dire d'autre, je ne comprenais pas sa réaction.

Elle faisait tourner le liquide rouge dans un verre à pied, elle passait son index sur le contour du verre et fixait la cheminée vide en face d'elle.

-"Tu veux que je te crois, tu veux que je crois ces paroles ? D'accord, c'est vrai, je n'ai pas toujours été irréprochable, je n'ai pas toujours été la femme que tu aurais aimé que je sois, d'accord tu en as bavés des situations embarrantes dans lesquelles je t'ai traîné involontairement. Mais j'ai toujours été là, prête à te protéger, à t'aimer, j'ai toujours fait en sortes de privilégier ton bonheur, quitte à ne pas prendre contact avec toi durant deux ans, prête à te blesser jusqu'à ce que tu ne veuilles plus de moi, pour t'éloigner de la femme que j'étais. Il y a toujours eu que toi, que ton chagrin, que ta haine, que ton amour, que ta maladresse, que ta colère, et moi dans l'histoire ? As-tu pensé à moi une seule seconde, est-ce que tu t'es mise à ma place ne serait-ce qu'une seule fois ? Tu crois quoi ? Qu'un beau matin je me suis levée en décidant de tomber amoureuse de mon étudiante ? D'entretenir cette relation au risque de perdre mon travail ? Je ne l'ai pas choisi, je n'ai rien choisi dans cette relation. Tu as tout décidé, comme tu décides encore aujourd'hui. Quand tu es partie, la femme que j'étais est partie avec toi et aujourd'hui il ne reste que moi, qu'une femme détruite d'avoir trop aimé, une femme détruite de ton départ. Tu ne m'as pas demandé ce qu'il s'était passé pendant deux ans. J'ai essayé, essayé de refaire ma vie, j'ai rencontré énormément de femmes, énormément d'hommes et dans chaque personne, j'essayais de trouver quelque chose de toi, un trait de caractère, un détail physique, une attention.." Elle soufflait et tournait enfin son regard vers moi, ses yeux étaient humides, des larmes coulaient sur son visage, elle buvait la fin de son verre, et se reprenait un verre. "Je t'ai aimé, je t'aime et je t'aimerais probablement tout le restant de ma vie, mais es-tu sûre de ce qu'est l'amour ?"

Je la regardais, droit dans les yeux, bien sûr que je savais ce qu'était l'amour. Alors si il s'agit de lui répéter tous les jours pour qu'elle comprenne à quel point je l'aime je le ferai.

-"Tu veux que je te dise ce qu'est l'amour, mon amour pour toi ? Elle hochait la tête "Au début mon amour était basé sur l'attraction physique mutuelle. Tellement qu'un simple geste de ta part m'émerveillait. Tellement que faire l'amour avec toi me donnait une sensation de vertige, d'euphorie. T'aimer, c'est vouloir te coller, se toucher, te caresser, te fusionner. Mais, c'est aussi entretenir ton désir et ton désir est de conserver une certaine distance. Tu n'es pas moi et ne je suis pas toi. Un plus un ne fait pas un, mais trois, toi, moi et nous. Les coups de foudre ne peuvent survivre à la passion, car la fusion totale tue le désir. Je désire seulement ce que je n'ai pas, pas ce que je possède. Et j'aurai pu, oui j'aurai pu m'arrêter là après avoir eu ton corps, et pourtant rien, même pas ça n'a arrêté cette passion, et cet amour que je te portais. Tu existes aussi en dehors de moi et j'existe en dehors de toi. La distance est nécessaire au désir et permet au rapprochement de se transformer en plaisir.

Je ne peux aimer quelqu'un que si je l'admire et que je me sente admiré par ce quelqu'un(e). L'admiration est un sentiment de joie et d'épanouissement devant ce qu'on juge beau ou grand. Il n'y a de l'amour que dans le respect. À partir du moment où l'on se crie des bêtises, on hypothèque sérieusement l'amour, et pourtant avec toi ça n'a jamais été question de ça. Je t'aime, et je pourrais te montrer de multiples manières à quel point je t'aime.

Il est vrai que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, mais la raison peut enseigner au cœur la direction à prendre et comment reconnaître les indices précurseurs de l'essoufflement de l'émotion. L'amour durable, on ne le répètera jamais assez, est fait de passion et de raison, de cœur et de tête. Mais l'amour nécessite aussi des efforts pour affronter la durée et la routine. Vivre à deux n'est pas un comportement instinctif. Nous devons apprendre à vivre à deux, tout comme nous avons appris à marcher, parler, écrire, faire de la bicyclette, conduire une voiture, faire notre métier, etc. D'accord tu es professeure, d'accord tu as plus d'expériences, d'accord tu as vécus des choses moches, tout comme moi. Mais tu sais autant que moi que nous deux c'est pas rien, que nous deux c'est beau, que c'est fort et enviable. Alors si tu as besoin de toi, si tu as besoin que je te prouve d'accord. Je le ferai, je suis là je ne pars plus. Je le dis, et je me répète mais toi et moi c'est écrit, toi et moi c'est naturel, c'est vivant, c'est nous. Je veux finir ma vie avec toi, dans cette maison, à l'autre bout du monde, où tu veux. Ma maison, mon bien-être c'est toi.

Tu veux que je te le prouve comment ? Que je me tatoue ton nom sur le front ? Que je crie à toute la rue que j'aime Grace Lord ? Que je t'épouse ?" Son regard revient dans le mien.

Elle souriait, un sourire comme je ne l'avais jamais vu, un sourire rare, magnifique, sincère.

Elle me regardait comme si j'étais la 8ème merveille du monde. J'aimais son naturel, j'aimais absolument tout d'elle.

-"Oui, épouse-moi" Et ces mots faisaient l'effet d'une bombe à l'intérieur de moi.





J'essuyais les dernières larmes, je fermais mon ordinateur. J'avais écrit mon histoire, notre histoire. Celle qu'elle ne lira jamais, celle que je lirais à nos retrouvailles.

Trois ans, trois ans qu'elle était partie. Le fait d'écrire sur nous m'avait permis de revivre notre histoire, nos bas et nos hauts. De revivre sa passion, son amour.

Nous avions réussi, réussi à vivre ce que nous voulions, une histoire vraie, pure et sincère. Elle m'avait épousé, on avait voyagé, on avait aimé nos enfants, on avait vécu quelque chose de fort qui méritait cette histoire. Nos 20 années d'écart avaient eu raison de nous. Me voilà à 62 ans, à attendre que la mort m'emporte, que la mort tombe sur moi, que la mort m'emmène vers celle que j'ai aimé sur cette terre. J'attendais avec impatience ce moment. J'attendais patiemment de rejoindre l'amour de ma vie.

Fin.

D'Amour et de Haine [CORRECTION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant