3. Hugo. Un travail compliqué

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     Hugo entra le lendemain dans le bureau des coopérants et découvrit une scène familière : les trois coopérants étaient debout, buvant leurs cafés, plongés dans une conversation qui n'avait rien à voir avec leur travail. Il fronça les sourcils. Les trois le regardèrent sans s'interrompre. Leurs sourires insolents avaient le don de lui taper sur les nerfs.

     — La liste des nouveaux visas ? demanda-t-il sèchement.

     — Bonjour à vous aussi, lança Déon avec un rictus. La liste est en cours d'élaboration.

     — Depuis trois jours ?

     — C'est ça.

     — Est-elle plus près de la fin ou plus près du début ?

     Le garçon ne se démonta pas sous le sarcasme.

     — Au milieu, je dirais.

     Hugo retint un commentaire agressif. Ses yeux se posèrent alors sur le quatrième bureau. La coopérante, mademoiselle Michel, se tenait devant son ordinateur et tapait sur le clavier avec rapidité. Elle n'avait pas quitté l'écran des yeux. Hugo la considéra en silence quelques secondes. Elle se sentit observée et leva les yeux.

     Bleus. Ses yeux sont bleus, releva alors Hugo. Elle avait attaché ses cheveux blonds en queue de cheval, elle faisait toute jeune, plus encore que ses vingt-trois ans. Trois ans de moins que lui.

     — Bonjour monsieur Fohl, dit-elle avec un léger sourire.

     — Bonjour mademoiselle Michel.

     Il ne savait que dire d'autre, soudain. Le silence se prolongea. Mortifié par son propre embarras, il tourna les talons. Alors qu'il refermait la porte derrière lui, il entendit un des garçons rire méchamment. Il ferma les yeux sous l'afflux de colère. Il aurait aimé avoir l'autorité pour lui infliger un blâme.

     Il regagna son propre bureau. Il aimait être seul. Il était plus efficace comme ça. Et ses conversations restaient confidentielles.

     Un de ses téléphones portables sonna. Un numéro inconnu, comme souvent.

     — Hugo Fohl.

     — Lebrun à l'appareil.

     — Vous avez du nouveau ?

     — Oui et non.

     Hugo étouffa un soupir. La réponse était habituelle, mais pas moins agaçante.

     — Donc ?

     — Il y a eu des messages cryptés sur Télégramm qui intéressent nos analystes. Ils sont dessus. Et, plus intéressant, le cartel qui se fait appeler « les nouveaux khmers » semble recruter à tour de bras ces temps-ci.

     — Vous n'avez toujours pas les noms des recruteurs ?

     — Non. Juste des pseudos. La DGSE est dessus.

     — Je sais, j'ai eu un retour cette semaine. Mais rien de concret.

     — Pas plus chez moi. Je vous tiens au courant.

     Hugo raccrocha et se passa la main dans les cheveux. Il était de plus en plus inquiet. Les groupes de trafiquants devenaient de plus en plus nombreux dans le sud-est asiatique. Le cœur de la fabrication de l'opium était à quelques centaines de kilomètres à peine. De la fleur de pavot, on avait tiré l'opium au XIXe siècle, puis l'héroïne aujourd'hui. Le trafic prenait de plus en plus d'ampleur, et une filière particulière allait vers la France. Les douanes françaises avaient sonné l'alarme. Le message était arrivé sur le bureau de Hugo, et le dossier était prioritaire. Il fallait identifier les responsables de la filière. Le quai d'Orsay lui mettait la pression pour avoir des renseignements concrets, son interlocuteur à la DGSE le contactait toutes les semaines. Mais il n'avait rien à leur dire, car ses propres contacts n'avaient rien non plus.

     La mauvaise volonté des coopérants sous ses ordres, qui ne savaient rien et ne valaient rien, ne devrait pas occuper autant de son énergie.

     On frappa à la porte.

     — Entrez.

     A sa grande surprise, mademoiselle Michel entra et s'immobilisa sur le seuil.

     — Oui ? dit-il, avant de s'arrêter net, conscient que sa voix avait été très sèche.

     — J'ai fini le rapport sur les statistiques des expatriés. Je vous l'envoie par mail ?

     — Je suis étonné, vous voulez dire celui que je vous ai demandé hier ? Vous l'avez déjà fini ?

     — Oui, monsieur.

     Elle le regardait avec un air très tranquille, la tête légèrement inclinée sur le côté, comme s'il était une curieuse créature qu'elle n'avait jamais vue auparavant. Il pouvait en dire autant à son égard.

     — Vous avez fait vite.

     — Je n'ai pas votre mail pour le transmettre, monsieur.

     Sans un mot, Hugo lui tendit une de ses cartes professionnelles. Elle la prit. Leurs doigts se frôlèrent. Hugo retira prestement sa main.

     — J'ai repris la liste des nouveaux visas que vous avez demandée à Léo, continua-t-elle. Je la termine et je vous l'envoie avant la fin de la journée.

     — Très bien.

     Elle fit demi-tour. Hugo la rappela.

     — Mademoiselle... Ne laissez pas les garçons vous refiler leur travail.

     — C'est moi qui ai proposé, monsieur. Je travaille vite et je n'aime pas m'ennuyer.

     Il lui adressa un signe de tête et elle disparut.

     Une volontaire civile efficace, voilà qui était rare et inattendu. Hugo envisagea de lui confier certaines attributions. Dans certains domaines, elle pourrait égaler Buisson, son secrétaire.  Mais il se l'interdit rapidement. Il ne voulait pas abuser des qualités de sa nouvelle recrue. Il savait qu'il avait tendance à faire marcher tout le monde au pas cadencé. Il avait conscience d'être détesté pour cela. Une rumeur tenace disait qu'il avait une vocation militaire contrariée. Probablement parce qu'il coupait ses cheveux bruns très courts. Mais il n'était pas un militaire dans l'âme. Il était bien pire que ça.

Les ambassades sont remplies d'espions (terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant