CARMEN
🇧🇷 Brésil, 09 avril 2023 10h03
Je déambule dans les rues de Rio de Janeiro, des converse à mes pieds et quelques garçons sur mes talons, j'achète avec de la monnaie locale quelques bijoux aux couleurs estivales, composés de chaînes de coquillages ou de fils aux teintes chaudes. Marco, Paul et Luis restent derrière moi, admirant des casquettes et des T-shirts aux logos ridicules.
Luis se permet de jouer avec de ridicules portes-clés bruyants, rendant l'atmosphère du petit magasin particulièrement désagréable. Et pour couronner le tout, ma carte bancaire ne semble plus passer lorsque je tente de faire une retrait, le code est sans cesse erroné et une pointe d'anxiété grimpe lorsque je réalise qu'on a sûrement bloqué mon compte.
Marco glisse sa tête au-dessus de mon épaule, son odeur sucrée parcourant mon échine.
– Tout va bien ici miss ? Il demande d'une voix des plus sérieuses.
Mes mains sont faibles, je saisis mon portable, rangeant ma carte bancaire dans une poche de mon short. J'ai très chaud, je ne sais pas si je dois le dire à Marco. Je lui ferais confiance avec ma vie, mais lorsqu'il s'agit d'affaires de famille, je pourrais mourir sans parler d'eux à Marco.
– Ma carte passe pas. Attends deux minutes.
Je m'éloigne sans un regard, tapant le numéro de mon père. Je ne pensais pas le rappeler de sitôt, mais s'il a bloqué ma carte, je risque d'être dans une très mauvaise passe ici. Sans mon argent, il semblerait qu'il ait trouvé un moyen de me faire venir à Madrid.
Pourtant, lorsque j'entends sa voix à travers le combiné, je suis persuadée que je pourrais trouver un travail ici, vivre avec Marco, me débrouiller sans jamais avoir besoin de retourner en Espagne.
Mais mon cœur se serre.
La petite voix est toujours ici, persuadée comme moi que la solution n'est pas dans ce studio au Brésil.
– T'as bloqué ma carte ? Je demande directement, la voix terne, je ne mâche pas mes mots.
– Possible.
Mon cœur rate un battement, je soupire et passe une main dans mes cheveux. Tout se bouscule dans mon crâne.
– Tu peux pas faire ça. J'ai besoin de cet argent pour vivre.
– Tu peux très bien vivre sans.
La voix de mon père est très sérieuse, il ne semble pas plaisanter.
– Tu rigoles j'espère ? Cet argent c'est le mien.
– Tu ne l'as pas gagné de tes propres moyens. Camila a été inconsciente de te laisser une fortune à ta majorité.
Ma poitrine est secouée d'une douleur ponctuelle mais transperçante. Mes yeux me piquent alors que j'entends le nom de ma mère. La haine prend peu à peu place dans ma gorge, entendant ses mots à propos de cette dernière.
– Maman est morte. Tu devrais respecter ses choix, je souffle d'une voix faible, heurtée de parler d'elle.
– Elle aurait voulu que tu vives une vie calme et sage à Madrid, proche d'elle et de tes frères.
– Tu sais pas ce qu'elle aurait voulu, je lâche sèchement.
Mon père marque une pause un instant, je peux l'entendre souffler lourdement.
– Tu peux m'en vouloir mais tes frères Carmen, ils ne méritent pas comment tu les traites.
– Laisse-moi tranquille. Et rend-moi mon argent.
– Tu auras ton argent ici à Madrid, sa voix se teinte d'une pointe de colère et je souris, amusée de le voir si insistant et convaincu.
– Paie-moi le billet alors, je lève un sourcil, un sourire au bout des lèvres.
– Sans soucis. Tu rentres le 12 au matin.
Ma respiration se coupe un instant, le choc me fait l'effet d'un coup de jus dans tous mes muscles. Je reste immobile un moment avant de déglutir, mon sourire s'effaçant lentement.
– Tu as déjà pris un billet ? Je demande d'une petite voix.
– Je peux l'annuler à tout moment. Mais c'est à toi de me dire. Rester là-bas sans rien. Revenir ici avec tout.
Sa voix est plus douce, plus calme. Il sait qu'il est à présent très proche d'avoir ce qu'il veut. Je saisis l'arête de mon nez, prise d'une énorme migraine.
– Je te déteste, je lâche, d'une voix brisée.
– Je t'embrasse ma fille.
J'entends son sourire depuis le portable. Puis le silence. L'appel se coupe, me laissant seule ainsi, un dilemme des plus lourds sur mes frêles épaules. Je tiens à peine debout, m'appuyant sur le vieux mur de béton recouvert de tags. Mon souffle est coupé, je suis désemparée.
– Tout va bien Car' ? La voix de Marco se rapproche et sa main se pose sur mon épaule, me faisant frissonner.
– Il est quelle heure ? Je reste immobile, fixant un point dans le vide, des images de Madrid revenant en rafale derrière mes paupières.
Marco jette un vif coup d'œil à son portable puis se tourne vers moi.
– Il est 10h30. Pourquoi ?
Au vu du ton qu'il emploie, Marco semble réellement inquiet. Pourtant, lui-même pensait que c'était une bonne idée que je me réconcilie avec mon passé. Il est également le seul du groupe à savoir d'où je viens.
J'ai rencontré Marco au lycée à Madrid. Ce dernier était toujours un peu dans ce monde. Le clown de la classe, toujours à se retrouver dans des situations extravagantes. Nous sommes sortis ensemble quelques mois.
Mon père le détestait. Non seulement parce qu'il détestait sa famille mais également parce que Marco avait une influence des plus négatives sur moi. Marco était un grand fêtard, un grand sécheur et un casse-cou. Tout ce que mon père déteste.
Mais Marco était intelligent, orphelin de père et plein d'énergie. Il me comprenait comme personne ne l'avait fait avant, et ne me disait pas juste d'accepter et de passer autre chose. Ce dont je n'ai jamais été capable.
Encore aujourd'hui, alors que je suis en vadrouille avec lui depuis quelques années maintenant, il me comprend mieux que personne. Malgré que nous ne soyons plus le couple d'enfants de l'époque mais bien des amis.
– Je crois que je vais rentrer à Madrid, je marmonne.
Les yeux de Marco s'écarquillent. Je n'ai pas parlé de Madrid depuis des années, ni même de mon père, de mon frère... de ma mère, ou de Carlos.
Ils étaient tous une partie cachée de ma personne, une page tournée de mon passé, dont je ne voulais plus jamais entendre. Seulement maintenant, j'envisage presque d'y retourner, de retrouver toutes ces choses que je ne pouvais plus supporter.
Ma voix se brise, mes mains frissonnent, je sens une tension dans tout mon corps, une sorte de peur mélangée à de l'appréhension.
La bouche de Marco s'entre ouvre, comme s'il s'apprêtait à répondre quelque chose. Mais il l'a referme et reste silencieux. Il m'enlace de ses bras nus et je reste là sans rien dire, à retenir mes larmes comme je l'ai toujours fait.
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BEYOND LOOKS, 𝑐𝑎𝑟𝑙𝑜𝑠 𝑠𝑎𝑖𝑛𝑧 𝑗𝑟
أدب الهواةCarmen et Carlos étaient autrefois meilleurs amis, si proches que leurs parents les voyaient déjà mariés. Pourtant, cela n'a pas duré. Après des années séparés l'un de l'autre, ils tentent de réparer les liens cassés de l'époque, sans vraiment savoi...