Chapitre 36 - Kieran.

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Je me mords la lèvre doucement, le regard perdu sur les courbes de sa poitrine. Je réfléchi à sa proposition. Si elle me donne envie parce que j'ai besoin de m'accrocher à cette possibilité, je n'aime pas devoir de l'argent à quelqu'un. Je n'ai même pas encore remboursé tout ce que je dois à Cat malgré l'argent que je lui verse tous les mois. Mais cet homme m'effraie parfois. Il m'effraie quand il va se coucher malheureux et seul, que personne n'est là pour prendre de ses nouvelles. Il m'effraie quand je me retrouve en pleine nuit à me demander s'il a bu, s'il a mangé, s'il va bien. Et je sais qu'on travaille sur tous ces sujets,qu'on en parle beaucoup, qu'on essaie de trouver des solutions. Mais parfois, j'aimerais avoir le luxe de sauter dans un avion pour le serrer dans mes bras et chasser les mauvaises pensées.

— Juste en cas d'urgence ?
— Juste en cas d'urgence.
— Ne fais pas un compte. Tu prépares une carte virtuelle la plus longue possible et tu me donnes les codes. Comme ça tu limites le montant et j'ai pas accès à ton compte.
— Ce que tu veux, mais je veux que tu l'utilises quand tu le juges utile, pas que tu repousses ça à tout jamais.
— Promis.

Il rouvre les yeux et les plonge dans les miens un court instant avant de m'embrasser tendrement. Ce baiser est si différent de ceux que nous avons pu échanger jusqu'ici. C'est cajoleur, caressant, chaleureux, délicat. C'est un baiser qui me donne l'impression d'être la personne la plus importante de la planète.

Après ça, nous finissons de nous laver. Mes mains rendues glissantes par le savon parcourent chastement sa peau alors qu'il en fait de même avec la mienne. Lorsque nous sommes propres et rincés, nous nous roulons dans une immense serviette éponge qui m'est agréable ; elle est vraiment large et je peux faire un tour et demi autour de moi avec. C'est suffisamment rare pour être noté.

Rhabillés, nous nous écroulons dans le lit et je scanne le QR code qui donne accès au room-service.

— J'ai faim.
— Tu es insatiable.
— Pas de toi, espèce d'idiot. J'ai faim de vraie nourriture.
— Je suis déçu.
— Évidemment. Que veux-tu manger ?
— Je n'ai pas faim.
— Aubrey.

Un rictus boudeur distend ses lèvres alors que je soupire.

— Bien bien, j'en sais rien, une salade ou une soupe.
— Une salade césar ?
— Ouais, sans fromage et avec la sauce à part.

Je ne dis rien, parce que je veux qu'il mange. Et que si c'est la seule manière de lui faire avaler suffisamment de protéines pour qu'il aille bien, alors je le ferai. Je passe commande, choisissant des lasagnes pour moi-même. Je l'observe à la dérobée lorsque je me redresse pour enfiler un caleçon et un jogging. Je trouve qu'il a un peu maigris mais je me garde de faire un quelconque commentaire à ce sujet. Je m'inquiète réellement pour sa santé et j'aimerais lui redonner goût à la nourriture sans qu'il ne se sente duper ou obligé. Je sais que je ne suis pas médecin ou psychologue, mais j'aimerais l'aider. Et le pousser à consulter aussi. Mais pour ça, il faut qu'il assume avoir un problème. Et c'est sur ça que j'essaie de l'amener. Mais je ne suis pas un fin connaisseur, je sais qu'on est tous différents face aux TCA alors j'y vais avec des pincettes.

— Pourquoi tu t'habilles ?
— Parce que j'aimerais éviter d'ouvrir à poil au type qui va taper à la porte.
— C'est une bonne raison, lâche-t-il après une hésitation. Je suis explosé putain.
— On va manger devant un film et dormir tout ce qu'on peut. On a rien de prévu pour demain.
— Quoi ? Tu n'as pas prévu de programme où je dois me lever à 7h du matin pour visiter un vieux musée poussiéreux ?

Ma chaussure vole à travers la chambre avant même que je n'ai le temps de m'en rendre compte et il l'évite de justesse en bougeant sur le côté.

— Connard ! Grommelai-je en faisant mine de bouder. Tu l'as adoré ce programme !
— Absolument.
— Alors arrête un peu de te plaindre.
— C'est parce que j'adore voir ta moue boudeuse. T'es trop beau comme ça.

Je sens le rouge embraser mes joues, alors je détourne le regard pour ne pas le voir. Je n'ai pas envie d'entrer à nouveau dans un débat stérile sur ma beauté. Nous ne serons probablement jamais d'accord sur ce sujet. Je m'apprête à répondre quand un coup retentit à la porte. Je récupère notre plateau et vient le poser sur le lit avant d'y remonter le plus légèrement possible.

— Je te jure que ton peintre aux milles noms tu vas te brosser la prochaine pour l'expo.
— Qu'est-ce que tu peux être susceptible.

Je lui sers mon meilleur regard outré, les sourcils haussés très haut, le regard dur et la bouche crispée dans un rictus faussement agacé.

— Ah oui, je suis susceptible. Alors tu ne verras pas d'inconvénient à ce que je retourne vivre chez moi, cet appartement de pouilleux dans lequel tu n'as même pas voulu descendre, Môssieur la grande star de cinéma.

Je suis tellement crédible que Bree est écroulé de rire sur l'oreiller, ses yeux fatigués remplis de larmes. Je fais mine de me lever pour partir mais il m'attrape par le poignet pour me ramener sur le lit.

— Je suis sûr qu'il est très bien ton appartement alors me prête pas les mots que je n'ai pas dis.
— Hmf, boudai-je en détournant la tête alors qu'il venait embrasser ma joue.
— Et puis, il y avait aussi une question de sécurité. Si on avait été pris à sortir de ton immeuble, ou avec Cat, tu aurais été jeté en pâture encore plus vite. Alors que là, c'est un hôtel. Ils devraient enquêter un peu plus fort pour savoir qui tu es.
— Ne retourne pas ça comme si tu avais fait la chose la plus mignonne du monde, hein.
— Mais c'est pourtant ce que j'ai fait.

Je me laisse attendrir, surtout parce que je ne boudais pas vraiment. Je me réinstalle contre lui et lui tends son assiette et une fourchette avant de prendre la mienne, me délectant de la chaleur de la porcelaine sur mes doigts. Il fait défiler quelques chaînes télévisées avant qu'on n'arrête notre choix sur de vieux épisodes de The Big Bang Theory, n'écoutant la série que d'une oreille distraite. J'observe du coin de l'œil Bree jouer et trier sa nourriture alors je l'imite, je prends des portions de plus en plus petites, de plus en plus rarement. Et si je meurs de faim, il doit s'en rendre compte parce qu'il finit par manger plus franchement.

Une fois nos plats finis et le plateau déposé dans le couloir, nous nous glissons sous les draps, la télévision toujours allumée. Ses bras sont passés autour de ma taille et je sens son cœur battre contre mon omoplate. Il ne met pas longtemps à s'endormir, épuisé par le voyage et nos retrouvailles. Parce qu'elles ont beau être magnifiques, ces émotions, elles n'en sont pas moins écrasantes et pompent dans notre énergie. Après avoir éteint toutes les lumières, je me blottis contre lui et je m'endors à mon tour peu de temps après.

Ce n'est que les rayons du soleil qui nous tirent de notre sommeil, il est bien dix heures passées lorsque j'émerge. Bree est près de moi, assis nonchalamment contre la tête de lit, le nez plongé dans un bouquin. Mon cœur manque un battement à cette image alors que je me redresse doucement.

— Hello, Handsome. Bien dormi ?
— Oui, marmonnai-je d'une voix rendue rauque par le sommeil. Et toi ? Tu es debout depuis longtemps ?
— Depuis sept heures.
— J'espère que tu te fiches de moi, m'exclamai-je en me souvenant de notre conversation de la veille.
— Non, rit-il en refermant le livre. Mais je me suis occupé. Il dépassait de ton sac alors je me suis dis que j'allais essayer.
— Oh mon Dieu, c'était un roman à moi ?
Hadès et Perséphone, ils sont chauds hein.
— Oh quelle horreur, ruminai-je en rabattant la couette sur mon visage pour cacher la honte qui teintait mes joues.
— Mais enfin, pourquoi tu te caches, c'est très instructif. Ca manque de réalisme mais je me dis que quand on écrit sur des Dieux Olympiens c'est pas la priorité.
— Arrête de parler, lui ordonnai-je en me relevant d'un seul coup, déterminé.
— Mais-...
— Chut.
— Enfin, Kie-...
— Non, tais-toi.

Lorsqu'il ne me répond plus, je me détends légèrement et je reprends mes esprits. Il est trop tôt pour des conneries pareilles. Je me passe une main sur le visage et repère enfin le plateau de petit-déjeuner intouché sur la petite table basse.

— Je ne sais plus si je dois te maudire ou te vénérer.
— J'aime bien les deux. Ta fossette ressort quand tu me vénère puisque tu ris. Et en même temps, ta mine boudeuse c'est toute ma vie.
— Très bien. Alors je t'ignore.
— Ah non, ça c'est pas drôle du tout.
—...
— Kieran, je te préviens si tu m'ignores je vais sortir les grands moyens.
—...
— Très bien, tu l'auras voulu.

Je le vois se lever mais j'ai tourné la tête à l'opposé de son emplacement pour marquer mon désir de ne pas lui porter attention. Pourtant, le mouvement dans ma vision périphérique me donne envie de voir ce qu'il s'y passe. Quand il apparaît sous mon nez, complètement nu, je sursaute avant de partir dans un fou rire complètement dingue. Des larmes entières roulent sur mes joues les unes après les autres et j'ai même du mal à reprendre ma respiration. Pourtant, mon hilarité ne semble pas l'atteindre. Je reste seul à tenter vainement d'avaler des goulées d'air entre deux reprises des éclats. A travers mes yeux embués, je perçois cependant la mine légèrement fermée de mon petit ami alors qu'une désagréable impression s'insinue en moi. Il se déplace pour attraper le peignoir que l'un de nous avait abandonné la nuit précédente et se couvre finalement. Le geste est rapide, presque pressé, et je comprends l'erreur que j'ai faite. Je sèche mes larmes et approche de lui, sans le toucher.

— Bree ? L'interpelai-je patiemment.
— Tu as fini de rire de moi ?
— Je ne riais pas de toi, lui assurai-je en posant une main sur son épaule.
— Ca y ressemblait pourtant.
— C'est ta manière de débarquer devant moi en tenue d'Adam qui m'a fait rire, pas toi.
— Je voulais juste attirer ton attention vu que tu étais décidé à m'ignorer.
— Je pensais que nous étions sur la même plaisanterie.
— Nous l'étions, jusqu'à ce que tu te décides à te moquer de moi.
— Pardon ?

C'est à cet instant très précis que je me rendis compte de ses bras, enroulé autour de son propre torse. De son regard fuyant et des doigts crispés sur ses bras.

— Comment peux-tu penser un seul instant que je me moquerais de ton physique, Bree ?
— Ca ne me semblerait pas impossible, répondit-il d'une voix lointaine.
— Jamais, tu m'entends ? Qui serais-je pour te juger et me moquer de toi avec tous les kilos que je me coltine ? Tu passes ton temps à me dire à quel point tu me trouves beau mais, quand t'es-tu déjà regardé dans un miroir, réellement ?

Je n'obtiens pas de réponse alors je tends ma main pour venir prendre son menton entre deux doigts pour l'inciter à me regarder dans les yeux.

— Je sais, que tu ne te sens pas bien dans ce corps qui t'emprisonne. Et crois-moi, je sais très bien quel est ce sentiment. Je sais aussi combien te dire à quel point tu es beau n'aidera pas. Mais je refuse que tu penses que je puisse me moquer de toi à cause de ton physique.
— Excuse-moi, finit-il par exprimer d'un râle douloureux, se passant les deux mains dans les cheveux.
— On a des soucis tous les deux sur notre apparence, et si on travaillait ensemble sur le sujet plutôt que contre nous ?

Je sais que les mots qui quittent mes lèvres sont plus voués à l'aider, lui. Parce que j'ai cette impression de fatalité lorsqu'on parle de ma propre vision de moi-même. Mais si je dois essayer de travailler sur moi pour aider cet homme absolument incroyable à aller mieux, alors je le ferai

— C'est une bonne idée.
— On prend rendez-vous avec un psy après les vacances ? On s'y tient ?
— D'accord.
— Promets moi que tu iras là-bas, Bree.
— Je te le promets.

Je l'attire dans mes bras, un sourire léger sur les lèvres. Si je peux dire que je suis un peu rassuré, je sais aussi que c'est loin d'être gagné. Il faudra qu'on se serre les coudes dans ce jeu-là.

— Bon, et si on prenait ce petit-déjeuner, qu'on s'habillait et qu'on allait voir Cat à la boutique ?
— J'ai envie de visiter le 221B Baker Street, pendant que je suis là. Tu penses que c'est faisable ?
— Si on choisit d'y aller dès l'ouverture pour pas que tu risques d'y être acculé, oui.
— Je ne suis pas si célèbre que ça, Kieran. J'arrive généralement à me tirer de ce genre de situation avant qu'elles ne s'enveniment, sourit-il timidement.

Si timidement que j'ai envie d'avaler cette esquisse pour la garder bien au chaud dans une boîte à souvenirs.

— Ca marche, alors essayons quand même avant 10H. Je me renseignerai sur les billets et les dispos.
— Merci.
— Tu aimes Sherlock ?
— J'ai beaucoup vu la série de la BBC. Martin Freeman et Benedict Cumberbatch sont géniaux dedans. Le jeu de Cumberbatch... C'est à ce niveau-là que je veux arriver un jour. Il endosse des rôles aussi différents les uns des autres avec une aisance qui est extraordinaire.

Je jurerais avoir vu une lueur s'allumer dans ses yeux alors qu'il part sur un exposé dans les grandes largeurs sur l'excellence de cet acteur. Je ne peux pas réfuter, je le trouve bon aussi, comme la moitié de la planète. Je m'installe sur le sol pour grignoter quelques fruits et quelques morceaux des pancakes qu'il a commandé à mon intention. Et ça me réchauffe le cœur, de le voir s'animer ainsi. J'avais l'impression d'avoir perdu cette facette de lui quelque part sous les couches épaisses de cette dépression qui prend de plus en plus de place, et ça me tue petit à petit. Alors je sais que je vais me débrouiller pour faire en sorte que cet éclat et cet émerveillement ne quittent plus jamais son visage. 

LoveCon - T1 - Kieran [Premier Jet] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant