Je tourne en rond dans la salle d'attente. Les derniers jours ont été intenses et je suis au bord de la crise de nerf, moi aussi. Savoir Bree réveillé et en bonne voie de guérison devrait me rassurer. Pourtant, quelque chose me turlupine.
J'observe la porte de la chambre dans laquelle j'ai laissé Aldo, Coleman et Bailey en compagnie de notre grand blessé. Les bras croisés sur ma poitrine, j'arpente le carrelage en faisant claquer mes talons à chaque pas. Je n'avais pas prévu de venir à Phoenix lorsque je me suis pointée chez Bree quelques jours plus tôt, alors je n'ai pas emporté de vêtements de rechanges. Encore moins des chaussures. J'ai profité de la soirée de la veille pour faire quelques emplettes dans un Walmart, bien loin du standing auquel je me suis habituée à Los Angeles. Je suis en jean, avec un chemisier blanc assez classique que j'ai noué autour de ma taille. J'ai rajouté un gilet en maille beige parce que, malgré les températures clémentes, on est loin de la chaleur que j'expérimente en Californie.
Mes doigts parfaitement manucurés battent la mesure sur mon bras, guettant alors le moindre mouvement près de la chambre. Peu de temps après mon propre départ, je vis la porte s'ouvrir sur Bailey et je décidais de m'approcher d'elle.
— Pourquoi Aldo lui a-t-il menti ?
— Pardon ? Me demanda-t-elle, surprise.
— Kieran. Il lui a menti à propos de leur relation.
— J'en sais rien, j'ai appris à faire confiance à Aldo en ce qui concerne Bree. Il sait y faire avec lui.
— Je n'aime pas ça.
La jeune femme haussa les épaules. J'adore Bailey et Coleman Tucker. Bree était mon ami, mais ils avaient été un frère et une sœur pour moi. Je me suis beaucoup inspirée d'elle en grandissant. Mais la nonchalance avec laquelle elle prend cette information m'inquiète. Parce que je n'aime pas qu'on mente. Ni à moi, ni à personne. Et que dans mes souvenirs les plus lointains, la sœur de mon ami n'était pas une partisane du mensonge elle non plus. Mon regard inquisiteur n'a pas raison d'elle, et j'en viens à me demander si le plan n'a pas été partagé et approuvé par toute la famille Tucker. Si j'ai du mal à imaginer Shannon accepter ça, elle ne se sera pas opposée si elle avait été en minorité.
Bailey me dit qu'elle va rentrer, qu'elle repassera demain. Nous nous dirigeons en silence vers l'extérieur où j'allume une cigarette pour faire passer l'anxiété qui me tord l'estomac. Ça fait des jours que j'enchaîne clope sur clope, ayant bien vite abandonné les patchs à la nicotine et les chewing-gums qui envahissent mon sac à main. J'ai tenté d'arrêter de fumer cette année, c'est ma troisième tentative infructueuse. Un bon moyen de faire passer mon stress et de conserver mon calme, un indispensable dans le métier que j'exerce. Bailey me fait un petit signe de main pour me saluer avant de monter sans sa voiture. Elle conduit une berline d'un autre siècle qui aurait bien besoin d'un passage dans un garage si j'en crois le bruit que fait son moteur. Je devrais l'imiter, retourner à l'hôtel et décompresser, mais j'ai besoin de parler à Aldo.
Je bosse avec cet homme depuis des années, depuis que j'ai pris la gestion de la communication d'Aubrey après la fin de sa relation épistolaire avec un certain Falling Down, que j'ai appris récemment être le fameux Kieran. Aldo et moi nous sommes relayés sur ses réseaux sociaux depuis, et notre client n'a jamais plus utilisé un compte Instagram à son nom. Et si au départ, j'étais intimidé par l'homme qu'il était et l'aura qu'il dégageait, j'ai bien vite déchanté. L'admiration que j'avais pour lui s'est envolée le jour où je l'ai entendu parler de moi en termes peu élogieux à un autre collègue. Quand je l'ai confronté, il m'a répondu que c'était dans l'unique but de me garder dans leur équipe et que je ne sois pas démarché par d'autres. J'ai trouvé ça parfaitement déplorable et ne me suis pas garder de le lui dire. Ça a été le début d'une relation houleuse qui perdure encore aujourd'hui. Cependant, il a toujours eu l'air clean avec Bree, et mon ami ne jurait que par lui. Alors je lui ai laissé le bénéfice du doute pendant toutes ces années.
Aldo arrive finalement, accompagné des deux policiers qui nous ont tannés toute la journée pour avoir une déposition de Bree. Les deux cow-boys s'entretiennent encore quelques instants avec Aldo et je le laisse gérer ça, l'interpellant simplement une fois qu'ils sont repartis vers leurs voitures. Il hésite à venir vers moi et je sais à ce moment-là qu'il n'a pas envie de me rendre des comptes. Je n'ai aucun doute sur le fait que, s'il avait pu, il m'aurait faite virer beaucoup plus tôt. Mon travail exemplaire et la protection de Bree jouent beaucoup sur le fait que je sois encore à son service.
— Madeline. Tu n'es pas rentrée ?
— Je voulais te poser une question avant d'y aller.
La veine sur son front frémit mais je ne me démonte pas. Je suis une femme, qui bosse dans un métier où les hommes nous marchent constamment dessus. J'ai appris à imposer ma présence, à montrer que je suis prête à mordre s'il le faut. Je me suis lancée à mon compte peu de temps après la fac, j'ai galéré des années pour bosser sur de petits événements ou des bouquins autoédités qui ne me rapportaient qu'un carnet d'adresse plus étoffé. Je me suis battue des années pour en arriver là où je suis aujourd'hui, j'ai mis ma fierté de côté pour envoyer un mail à Bree et lui proposer mon profil. J'ai décroché des contrats petit à petit qui m'ont fait mettre un pied dans des milieux tout aussi fermés les uns que les autres. Alors je refuse de me laisser mettre plus bas que Terre par un homme qui dépense sans compter dans des voitures de luxe, des costumes hors de prix et des week-ends à Vegas. Il ne m'impressionne plus depuis longtemps.
— Je t'écoute.
— Pourquoi lui as-tu menti ?
— Je ne te suis pas.
— Bree. Tu lui as dit qu'ils s'étaient disputés avec Kieran avant qu'il ne vienne ici. On sait très bien tous les deux que c'est faux.
— Comment peux-tu savoir que c'est faux ?
— Parce que j'étais là, lâchai-je comme une évidence, un sourcil haussé.
Il est silencieux une seconde et je comprends qu'il n'avait pas anticipé ça.
— Je ne voulais pas lui donner de faux espoirs.
— Comment ça ?
L'agacement passa brièvement dans ses yeux, et pourtant il me sourit. De cet air doucereux qu'il utilise quand il veut se faire bien voir. Il se passe une main dans les cheveux, atterrissant sur sa nuque.
— Bree est faible, Madeline. Il est dans un état où il peut croire ce que n'importe qui lui dira. As-tu réellement envie que Kieran Parker revienne dans sa vie après ce qu'il a fait en profitant de la situation ? J'ai préféré anéantir tout espoir immédiatement, et lui permettre de faire une croix sur cette histoire de passer à autre chose.
Je n'aime pas ça. Mes yeux se rétrécissent et je sens le pli entre mes sourcils se creuser un peu plus. Aubrey est mon ami, en plus d'être mon client. Nous avons toujours su faire la part des choses et prévoir des créneaux où nous parlons business et des créneaux où nous sommes simplement amis d'enfance. Je n'ai pas la même relation qu'il entretient avec Aldo, et encore heureux parce que je ne suis pas sûre qu'elle soit toujours très saine. Mais au-delà de ça, je le considère et je le respecte. Et je n'aime pas mentir.
— Je te préviens, s'il me pose la question directement, je ne mentirais pas. Et tu te débrouilleras avec tes mensonges.
— Tu devrais faire attention, Miss Hamilton. Je n'aime pas particulièrement qu'on s'oppose à mes décisions.
— Peut-être, soufflai-je en ignorant son utilisation volontairement dégradante de mon nom de famille. Mais, contrairement à toi, j'ai une morale et des valeurs. Et je ne compte pas cracher dessus pour sauver tes fesses. Tu es prévenu, Monsieur Ciccone.
Il leva les yeux au ciel alors que j'écrasais ma cigarette dans le cendrier après une dernière bouffée. Lorsque je m'éloignais vers le véhicule de location qui me suit depuis San Diego, il m'interpella. Je m'immobilisai et pivotai d'un quart de tour pour l'observer par dessus mon épaule.
— Tu devrais arrêter de fumer, ça ne fait pas très classe.
— Si j'avais eu envie d'entendre ton avis, je t'aurais sifflé.
Sa mâchoire se contracta et je lui adressais un sourire factice avant de monter derrière le volant. Assise dans ma voiture, j'attendis qu'il rentre dans l'hôpital, ce qu'il fit quelques secondes après que j'ai allumé le moteur. Je profite de son départ pour pianoter sur le volant un instant en me demandant si, finalement, ça n'était pas Kieran qui avait raison dans toute cette histoire. Je n'ai jamais vraiment apprécié Aldo, mais il a toujours fait passer le bien-être de Bree avant tout. Du moins, c'est ce que j'ai toujours cru. Aujourd'hui, toute cette histoire bouscule violemment mes certitudes. Après avoir bouclé ma ceinture, je branche mon téléphone à l'ordinateur de bord et j'entre l'adresse de l'hôtel dans le GPS. Je recherche ensuite la personne à qui j'ai besoin de parler à cet instant précis et je lance l'appel en quittant le parking. Après quelques sonneries, une voix féminine décroche.
— Pierce, répondit-elle d'une voix monotone.
— Dee, c'est Maddie.
— Maddie ! J'ai appris ce qui était arrivé à Bree, comment ça se passe ? Tu dois être submergée, j'ai pas osé t'appeler avant.
— Je ne peux pas vraiment t'en dire plus, tu sais bien.
— Hors radar, est-ce qu'il va bien ?
— Hors radar, oui. On n'est pas passés loin, mais oui.
— C'est le principal. Si tu ne m'appelles pas pour une déclaration, tu m'appelles pour autre chose.
— Oui, j'ai un service à te demander.
— Dis-moi.
— La fuite, sur la relation d'Aubrey. Tu sais d'où elle provient ?
— Tu me prends un peu de court, je n'ai pas eu de proposition de mon côté.
— Tu crois que tu pourrais enquêter sur le sujet ?
— Bien sûr, mais tu me promets une interview exclusive avec lui et son chéri dès qu'il sera en état ?
— Tu sais bien que je ne peux rien te promettre en l'état. La situation est un peu délicate et j'ai besoin d'avoir cette info avant tout. Mais si jamais c'est faisable, je te promets que tu seras la première sur la liste.
— Ça me suffit. Moi non plus je te promets rien, mais je vais faire mon possible. J'aime bien Bree, c'est nul ce qui lui arrive.
— C'est le cas de le dire. Merci Dee, t'es la meilleure.
— Je sais. Quand est-ce qu'on va boire un verre ?
— Je t'appelle quand je suis de retour à L.A.
— Noté. Allez j'y retourne, je te contacte dès que j'en sais plus.
— Ca marche, bonne soirée.
Dee raccrocha et la musique envahit l'habitacle. Je n'aimais pas la tournure que prenait cette histoire, mais je ne voulais croire personne tant que je n'avais pas des preuves sous les yeux. Dee Pierce est une journaliste qui bosse pour un magazine people à L.A, mais ce que j'aime avec cette femme c'est qu'elle n'est pas à l'affut du moindre ragot pour tuer la concurrence. Elle veut enquêter et faire des articles sociétaux sur différents sujets. C'est pour ça qu'elle bosse pour la presse écrite et pas pour les articles web ou les réseaux sociaux. Je l'ai rencontrée lors de mes premières armes à L.A, avant même de bosser pour Bree, et elle m'a prouver de nombreuses fois qu'elle était capable d'avoir les infos avant tout le monde sans rien faire fuiter et en traitant les sujets avec l'importance et le respect qu'ils devraient tous avoir. Et dans l'état actuel des choses, c'est la seule et unique personne à qui je fais un tant soit peu confiance.
Kieran Parker est arrivé dans nos vies sans prévenir après une première incursion peu concluante quelques années plus tôt. Si je ne l'imagine pas vouloir se mettre sous le feu des projets, j'ai vu suffisamment d'histoire de ce genre sortir pour me poser sérieusement la question.
Quant à Aldo Ciccone, c'est un rapace aux méthodes parfois douteuses et qui se met à mentir ouvertement à son client. Je crains qu'il ait un peu oublié que, dans tout ça, c'est Bree le patron. Pas lui.
La guerre que se mène les deux parties n'est pas pour me plaire, ils pourraient tout à fait se disputer l'affection de Bree et vouloir chacun marquer leur territoire. Après tout, on connaît l'ego masculin.
La dernière hypothèse serait que la fuite vienne d'une tierce personne mais que chacun des deux essaies de l'instrumentaliser pour arriver à ses fins. Dans tous les cas, la victime reste Bree. Et mon métier est de limiter les pots cassés, alors je vais faire en sorte qu'il s'en sorte sans égratignures supplémentaires.
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LoveCon - T1 - Kieran [Premier Jet]
RomansaKieran Parker travaille en tant que chargé de projet événementiel dans une convention londonienne spécialisée dans la pop-culture. Il adore son métier et ferait n'importe quoi pour gravir les échelons, ce que son boss a très bien compris. C'est ains...