Chapitre 48 - Kieran.

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Madeline m'a forcée à quitter l'hôpital.
Une heure après que Bree soit sorti de chirurgie, elle m'avait imposé de trouver une chambre. On a reprit la voiture et on a conduit un gros quart d'heure pour trouver un vieux motel en sortie de la ville. Tous les autres établissements aperçus avant lui arboraient fièrement un "No Vacancy" sur leur devanture.

Madeline gare la voiture devant l'accueil et je lui impose de m'attendre ici. J'ai besoin de faire quelque chose, d'avoir l'impression de prendre les choses en main. Elle accepte sans souci, ouvrant la voiture pour s'allumer une cigarette. L'échange avec l'hôte d'accueil est sommaire et cordial, je récupère les différentes informations nécessaires à notre séjour et lui indique que je resterais ici quinze jours. C'est les congés que j'avais convenus avec Graham et je ne m'imagine pas partir avant. Néanmoins, je paye déjà une semaine et nous sommes tombés d'accord pour que je paie la deuxième dans un second temps.

Après avoir confié sa clé à Madeline, je m'enferme dans ma chambre avec mes affaires. J'entreprend de prendre une douche, profitant du moment pour laisser couler les dernières larmes que j'ai en stock. Une fois propre et sec, j'enfile un t-shirt et un boxer pour me glisser sous les draps. La nuit n'aura pas été très bonne, je passe la première partie à tourner et virer dans mon lit sans réussir à trouver une position confortable, des impatiences venant m'empêcher de dormir. Après avoir tourné en rond dans la pièce pendant dix minutes, je m'allonge. L'aube se lève déjà sur l'Arizona alors que je sombre dans le sommeil. La nuit est agitée, je ne me souviens pas de grand-chose au réveil, si ce n'est un réveil innopiné en criant pour me rendormir immédiatement alors que mon oreiller est encore humide des larmes qui ont coulées sur mes joues.

Je repousse les draps et attrape de quoi me faire une petite toilette avant d'enfiler une tenue la plus simple possible pour aller à l'hôpital. Madeline n'a pas l'air levée lorsque je passe devant sa chambre, et je décide d'aller mettre quelques pièces dans un distributeur pour avaler quelques biscuits. Je m'installe au bord de la piscine, les pieds dans l'eau. De mon point de vu, je peux voir le moment précis ou Madeline sortira de sa chambre. C'est pour ça que je fais un bond de deux mètres lorsque sa voix retentit derrière moi.

— Je pensais que tu voudrais retourner à l'hôpital.
— Jesus, Madeline. Tu m'as fait peur.
— Désolée...
— Je ne pensais pas que tu étais levée.
— Ça fait deux heures que je suis réveillée. J'avais oublié d'éteindre mon portable et j'ai des journalistes qui ont trouvé ma ligne perso.
— Je suis désolé...
— Pourquoi ?
— C'est à cause de moi, tout ça.
— Ne te laisse pas atteindre parce que te disent les autres. Si tu n'as pas donné d'infos, alors rien de tout ça n'est ta faute. Tu n'as pas transmis d'informations, n'est-ce pas Kieran ?
— Bien sûr que non !
— Alors tu n'as pas à t'excuser.

Elle s'installe à côté de moi, remonte le pantalon fluide qu'elle porte jusqu'à ses cuisses et plonge à son tour les pieds dans l'eau. Il ne fait pas extrêmement chaud à l'extérieur, on doit avoisiner les quinze degrés, mais le touché de l'eau à quelque chose d'apaisant. Nous restons en silence quelques instants, profitant qu'il ne pleuve pas encore.

— Tu crois qu'il va s'en sortir ? Murmurai-je, la voix rendue rauque par l'angoisse.
— Je ne suis pas médecin, mais je doute qu'il ait envie de mourir.
— Il y a des milliers de gens qui n'en ont pas envie quand vient le moment.
— Oui, mais Bree a encore des choses à vivre. J'en suis persuadée. J'ai envie de croire qu'on ne t'a pas mis sur son chemin pour que ça finisse comme ça.
— Comment ça ?
— Bree était déprimé, il subissait sa vie sans un mot. Je n'ai jamais compris pourquoi, il ne s'est jamais confié à moi sur le sujet. Mais plus je le voyais enfiler son masque devant les caméras et les fans, plus je le voyais s'enfoncer dans un cercle vicieux composé d'alcool et de débauche. Et il t'a trouvé. Et il a repris un peu goût à la vie. C'était évident pour moi, parce que mon job c'est aussi d'analyser et de gérer son paraître. Traite moi peut-être de hippie mais je crois au destin sur certaines choses, et là j'ai envie de croire qu'il ne serait pas aussi vache.

Je reste silencieux un instant. Madeline ne le sait pas mais, les mots qu'elle prononce pansent des plaies que je ne pensais plus avoir. Je suis heureux d'avoir apporté à Bree un peu de réconfort, entre autres choses. Elle finit par se redresser tout en tenant les pans de son pantalon dans ses mains.

— Et si on allait le voir ?
— Je te suis.

Je ne bouge pas et elle hoche la tête avant de se diriger vers sa chambre. Je reste ici quelques secondes et je fais quelque chose que je ne fais plus depuis des années : je prie. Ma mère à toujours été très croyante. Elle tient ça de sa famille et a tenté de me l'inculquer. Malheureusement pour elle, je n'ai jamais cru en Dieu dès lors que j'ai pu réfléchir à tout ça par moi-même. Une autre de ses grandes déceptions à mon sujet. Je n'ai pas prié depuis que j'ai eu quinze ans, quand j'ai compris que j'aimais un peu plus les garçons que les filles et qu'on m'a fait comprendre que c'était un péché mortel. Je l'ai immédiatement imaginé à l'image de ma mère : créant des enfants pour les haïr par la suite pour ce qu'ils sont. Alors j'ai arrêté d'aller à l'église, de prier, de croire. Aujourd'hui, je ne crois plus pour d'autres raisons, mais je veux mettre toutes les chances de son côté. Alors je prie.

Au bout de dix minutes, je me redresse et rejoins ma chambre. Je sèche mes jambes, me lave les dents et enfile des chaussettes et des chaussures. Je prends un pull en grosses mailles blanches avec un col roulé qui pourrait cacher mon visage entier, et je rejoins Madeline à la voiture.

Lorsque nous arrivons à l'hôpital, la mère de Bree s'en va. Elle me sourit tristement, tapotant mon épaule pour m'encourager. Cette femme a l'air si menue, mais sa manière de quitter l'hôpital me fait penser à Bree quand il entre en convention, une posture de guerrière. Je rejoins la chambre de mon compagnon dans laquelle je retrouve Bailey et Coleman. La première embrasse son frère sur le front, lui promettant de revenir très vite. Bree m'a dit qu'elle était assistante sociale, et je suppose qu'elle ne peut pas manquer plus longtemps son boulot. D'autres personnes ont besoin d'elle et, je me fais la réflexion que sa famille est composée de femmes qui donnent leur vie pour celle des autres.

Elle me salue brièvement en quittant la pièce, me laissant seul derrière Madeline. J'ai honte de me servir d'elle comme bouclier mais, elle semble connaître Coleman suffisamment pour l'empêcher de me foutre dehors.

— Pourquoi Aldo n'est pas encore arrivé ? demanda-t-il à Madeline.
— Bree l'a viré, annonçai-je d'une petite voix mal assurée.
— Pardon ? Gronda-t-il en m'observant.

Si les yeux avaient pu tuer, je serais mort. Madeline me fixe aussi, surprise. Je me souviens que Bree n'a pas vraiment eu le temps de lui parler d'Aldo et qu'elle n'est probablement pas au courant.

— Pourquoi aurait-il fait une chose pareille ? Siffla Coleman.
— Les raisons leur sont propres, ce n'est pas à moi d'en parler.
— Je pense que si Bree a fait une chose pareille, c'est qu'il avait un motif qui lui est propre, essaie de me défendre l'attachée de presse.
— On te connaît pas, tu débarques de nulle-part, tu fous le bordel dans la vie de mon frère et au même moment il vire la seule personne qui a jamais été là uniquement pour lui ? Comme c'est commode.
— Je n'invente rien.
— Oh, j'en suis persuadé. Mais je me demande quelles conneries tu as foutues dans la caboche de mon frangin pour qu'il vire Aldo Ciccone.

Je serre les poings, ce n'est pas à moi de raconter tout ça, je ne veux pas mettre Bree en porte-à-faux auprès de sa famille. C'est à lui de leur raconter les détails de toute cette histoire.

— Pensez ce que vous voulez, je vous dis simplement ce qu'il en est.
— Maddie, appelle Aldo. Il doit être là, ordonna Coleman.
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, si Bree l'a viré il ne voudra pas le voir ici à son réveil.
— Maddie. Fais ce que je te dis.
— T'es sérieux là ? Je suis plus la gamine à qui tu donnes des ordres, Coleman Tucker. Et je suis même pas ton employée, alors tu changes de ton immédiatement.
— Parfait, aboya-t-il, je vais m'en charger moi-même. Et t'as intérêt à plus être dans le coin quand il arrivera, t'as rien à foutre ici et s'il meurt, ce sera ta faute, m'assena-t-il en quittant la pièce.

Je me laisse tomber sur le fauteuil à côté du lit, la tête dans les mains. Madeline m'observe du bout de la pièce, en silence.

— Il a vraiment viré Aldo, me demanda-t-elle avec un soupçon de doute dans la voix.
— Oui.
— Pourquoi ?
— Ce n'est pas à moi de vous le dire, je ne sais même pas comment il voulait aborder le sujet.
— Tu ne m'aides pas beaucoup, tu sais. Aldo était un vrai pilier dans sa vie. C'est un peu grâce à lui qu'il en est là aujourd'hui.
— Il en est là grâce à son travail, à son talent, à lui seul.
— C'est bien joli ça, mais on est à Hollywood. Si tu n'as pas un bon agent, tout ça ne sert à rien.
— Écoute crois ce que tu veux, mais je ne mens pas. Je n'ai aucun intérêt à le faire.
— Il va le faire venir, tu sais.
— Qui ?
— Coleman, il va faire venir Aldo.
— Il fait bien ce qu'il veut. Je l'ai prévenu, ça n'est plus mon problème.
— Je vais essayer de raisonner Cole.

Elle hoche la tête et quitte la pièce. Je m'enfonce dans le fauteuil, observant enfin Bree. Il respire à l'aide d'une machine, les bips qui retentissent dans la pièce sont presque réconfortants. Il a l'air si paisible, s'il n'y avait pas autant de machines et autant de marques sur son visage, je pourrais croire qu'il dort. Je sens les larmes monter à nouveau mais je les retiens, je soupire un peu et je reste près de lui en silence. Parce que je suis intimement persuadé qu'il saura que je suis là.

Je m'assoupis un moment, rattrapant les heures de sommeil manquantes, et quand j'ouvre les yeux, Bailey est à nouveau là. Nous sommes seuls dans la pièce, elle est adossée à la fenêtre de l'autre côté du lit et me fixe, l'air absent. Quand elle se rend compte que je suis réveillé, elle détourne le regard et observe son frère.

— Bonjour.
— Salut.

Bailey me semble aussi impressionnante que Coleman. L'aîné des Tucker est un homme comme on n'a pas envie d'en avoir énervé contre nous. Il est immense, doit probablement dépasser Bree de peu, donc je dirais qu'il avoisine le mètre quatre-vingt-dix. Et il a ce physique de l'homme qui fait des travaux manuels. Bree m'a dit qu'il avait un ranch donc je suppose qu'il doit faire énormément d'activité physique également. Bailey, elle, est bien plus petite. Elle se rapproche de ma taille, un mètre quatre-vingt, et semble très menue. Pourtant, elle est entourée d'une aura de femme qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Ses cheveux roux sont coupés au carré, et ça lui donne un air sévère. Si j'aurais peur de me prendre un coup de poing de la part de Coleman, Bailey me fait plus peur parce qu'elle a l'air posée et réfléchie. Comme si elle réservait son jugement selon mon attitude. Et ça ne me rassure pas outre mesure, finalement.

— Comment va-t-il ?
— Pas de changement, c'est positif. Il paraît qu'il a fait un arrêt cette nuit et qu'ils ont réussi à le relancer de justesse.

Mon cœur se serre. C'est pour ça que Coleman était déjà de mauvaise humeur quand je suis arrivé. Je soupire, me passe une main sur le visage et fini par me lever.

— Il y a une chose que je ne comprends pas.
— Je peux vous aider ?
— Pourquoi t'es encore là ?
— Pardon ? M'étonnai-je.
— T'as eu ce que tu voulais, un joli buzz autour de ton nom. Alors pourquoi t'es encore là ?
— Je n'ai jamais voulu de buzz, soupirai-je. Je n'ai pas fait fuiter l'information.
— J'ai du mal à y croire. Comment auraient-ils su que tu arrivais à l'aéroport à cette heure là.
— Peut-être qu'ils ont simplement suivi Bree, j'en sais rien.
— Il va en falloir plus que ça pour nous convaincre.
— Écoutez, je m'en fiche que vous pensiez que j'ai balancé ça, lâchai-je d'un air agacé. Bree est mon petit-ami, il sait pertinemment ce qu'il s'est passé et quand il se réveillera, j'espère que vous comprendrez que je n'ai rien à voir là-dedans. En attendant, je n'ai aucune intention de quitter son chevet.

Elle ne semblait pas particulièrement impressionnée par mon coup de colère. Son visage n'avait pas bougé et elle jouait toujours avec un pli de sa chemise de flanelle. Pourtant, elle hocha la tête et jeta un œil à l'heure.

— Ma pause déjeuner est terminée. Je vais devoir y retourner.

Je hochais la tête sans savoir quoi lui répondre.

— Coleman a appelé Aldo, pour ton information. Il prend le premier avion pour Phoenix.
— C'est noté, merci.

Savoir que j'allais bientôt devoir supporter la présence de cet homme infect me débectait. Je ne voulais rien avoir à faire avec lui, mais je n'avais pas le choix. Si la famille de Bree ne me croyait pas, je ne pouvais pas forcer les choses. Quand Bree reviendra à lui, il saura dire à tout le monde qu'Aldo n'est pas le bienvenu et pourquoi.

Je passe la journée à son chevet, alternant avec Madeline et Coleman. Je mange de la nourriture insipide d'hôpital, bois des cafés qui me font détester encore plus ce breuvage, tourne en rond. J'appelle quand même Cat qui m'a laissé dix messages depuis la sortie de la nouvelle, et que je n'ai même pas eu le temps de rappeler. Je lui raconte tout, et je fonds encore en larme en parlant. Elle me dit que tout ira bien, que je ne dois pas paniquer. Et que je peux l'appeler quand je veux pour décharger le trop plein d'émotions et d'informations. 

LoveCon - T1 - Kieran [Premier Jet] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant