Chapitre 45 - Bree.

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La porte s'ouvre et j'ai l'impression que la fraîcheur de l'air sur ma peau me réveille. La voiture bouge légèrement et, lorsque le claquement du métal retentit, je me tourne vers lui et passe mes bras autour de son cou, venant enfouir mon visage ravagé par les larmes dans le coin agréable de sa clavicule. Je le sens se figer un instant, surpris d'un tel élan dramatique, mais je ne sais plus retenir mes larmes. La position n'est pas agréable, le levier de vitesse me rentre dans la hanche et je suis tordu pour pouvoir me loger dans ses bras, mais je m'en fiche à l'instant T. Je n'avais besoin que de ça, que de lui.

Lorsque j'ai rallumé mon téléphone cette après-midi là, encore entourés des vapeurs de l'alcool qui m'a tenu compagnie ces dernières soixante-douze heures, je m'attendais à avoir des messages de sa part. Après tout, depuis que j'avais rejeté son appel, j'avais disparu de la circulation. Et, au vu de notre histoire, je ne suis pas vraiment surpris qu'il ait pris le premier avion pour venir ici. C'est un peu romantique, non ? Ou alors c'est pathétique. Je ne me rends plus bien compte. Parce qu'il est venu jusqu'à moi alors que je vais mal, mais en même temps ma réaction était peut-être injustifiée. J'aurais au moins dû le prévenir de mon prochain silence, pour qu'il ne s'inquiète pas au point de monter dans un avion à l'aveugle. Je me sens coupable, alors je serre un peu plus mes bras autour de lui, comme pour m'excuser. Je suis un moins que rien, et l'idée qu'Aldo ait raison et que je ne sois rien sans lui m'effleure l'esprit. J'ai juste envie de ne plus jamais sortir de ma vie, de rester à l'état végétatif, de dormir.

— Eh, tout va bien, je suis là, murmure-t-il au creux de mon oreille.

Kieran, tout comme moi, n'est pas le genre de personnes capables de dissimuler ce qu'on pense. Ça se lit sur notre visage, ça se voit dans nos yeux, ça s'entend à l'intonation de notre voix. Et l'homme pour qui mon cœur bat un peu plus vite depuis quelques mois, a l'air épuisé. Je m'en veux encore plus de l'avoir inquiété et pourtant, il me serre contre lui avec une force qu'il tente de me transmettre. Je dois lui paraître bien stupide. Je continue de pleurer silencieusement contre la peau fine de son cou, parcouru de spasmes lorsque je tente de reprendre ma respiration. Il passe un bras autour de ma taille et glisse sa main sous mon haut pour faire de petits cercles apaisants de la pulpe de ses doigts sur ma peau. Je mets quelques minutes à me calmer et je recule, essuyant mes larmes et mon nez avec la manche de mon t-shirt. C'est dégueulasse, mais je m'en fous comme de ma première chaussette à cet instant précis.

— Je peux t'embrasser ? le sollicitai-je avant tout.

C'est lui qui réduit la distance entre nos lèvres, m'embrassant comme si j'étais la chose la plus précieuse et fragile du monde. Et si ça aurait pu me gêner en temps normal, ce soir j'avais absolument besoin de ça. J'avais besoin qu'il embrasse mes lèvres avec affection, qu'il picore ma bouche comme si chaque baiser déposait un pansement sur mon cœur. A aucun moment il ne tenta d'approfondir l'étreinte, se contentant de cette caresse sur ma peau.

Ce baiser mit définitivement fin à mon passage à vide, me donnant suffisamment de force pour rejoindre mon appartement. Je me redressais sur mon siège pour prendre la route, un silence confortable venant envahir l'habitacle. Kieran ne me force pas à parler et je lui en suis reconnaissant, je n'ai aucune envie de commencer à perdre à nouveau mes moyens devant lui. Je n'ai aucun problème avec le fait de pleurer devant quelqu'un, je suis un acteur et mes parents m'ont élevé avec la certitude que laisser sortir ses émotions est primordial. Toutefois, je ne veux pas passer pour un pleureur, qui passe sa vie à se plaindre et à chouiner. Alors je me tais, déjà parce que je n'ai pas envie de parler, et parce que je suis encore trop à fleur de peau pour ça. Les doigts de Kieran jouent délicatement avec les petits cheveux de ma nuque et ça suffit à me détendre un peu. La route se fait un peu en mode automatique et je suis presque surpris lorsque je m'immobilise sur ma place de parking.

— Je ne t'ai même pas demandé si tu avais fais bon voyage, soufflai-je en pleine prise de conscience après avoir claqué la portière du véhicule.
— C'est pas bien grave, ça a été. Et toi, comment ça va ?

J'hausse les épaules d'un air défaitiste et attrape sa valise. Mon logement est situé au dernier étage d'un immeuble plus haut qu'il ne le faudrait. J'ai une vue dégagée sur Los Angeles et c'est ce qui m'a d'abord convaincu d'acheter cet endroit. Je déverrouille l'ascenseur, appuie sur le bouton une fois que nous sommes montés et viens me glisser dans ses bras le temps du trajet. Je suis attirée par sa chaleur, par le réconfort que m'apportent ses bras. Alors je me fonds en lui, les yeux clos, jusqu'à ce que retentisse le "ting" sonore annonçant notre arrivée.

L'appartement n'est pas immense, je n'avais pas envie d'être de ceux qui dépensent des milliers de dollars dans un endroit qui ressemble à un escape game. C'est un trois pièces : deux chambres, un salon et une cuisine américaine ouverte. J'ai la chance d'avoir une très belle vue et une terrasse. L'entrée donne dans le salon, une pièce confortable dans laquelle on retrouve un grand canapé gris dans lequel j'adore m'endormir, une table basse sur laquelle trônent un vase et quelques fleurs séchées, un meuble télé et une télé écran plat immense. C'était un élément incontournable quand je me suis installée, et finalement je n'ai jamais le temps de l'allumer. C'est froid, c'est impersonnel et ça ne me ressemble pas. Et pour cause, je ne sais pas faire de choix en termes de décoration. Je suis très mauvais à ce jeu là. Alors j'ai laissé Aldo me proposer des pages de magazines et il a payé une décoratrice pour s'occuper de ça. Si bien que la majorité de mon appartement se compose de blanc, de gris et de noir et que les différentes matières choisies sont souvent en métal, en verre et en cuir. C'est froid et ça ne me plaît pas, c'est très loin de ce que j'aime. J'aime les maisons chaleureuses qui me font penser à mon enfance, du bois et des couleurs chaudes. Résultat des courses : je n'ai jamais réussi à apprécier cet endroit malgré sa beauté.

— Fais comme chez toi, annonçai-je en ouvrant la porte.

Kieran semblait émerveillé. Comme toutes les personnes qui ont passé le pas de cette porte. On me prête des goûts exquis en termes d'art et de décoration alors qu'il n'en est rien. Il découvre la pièce et je laisse sa valise dans l'entrée. Il sera toujours temps de l'emmener dans la chambre plus tard.

Quand je le vois évoluer dans la pièce, je me félicite d'avoir vu son message suffisamment longtemps avant son atterrissage, ça m'avait permis de jeter les cadavres de bouteilles des jours précédents et d'aérer un peu. Mon compagnon passa par les toilettes pour se rafraîchir avant de me rejoindre sur le canapé où j'avais échoué. D'une caresse sur ma joue, il me fit me sentir mieux.

— Tu veux me raconter ?
— Je sais pas, m'étranglai-je sur un sanglot en sentant les larmes monter à nouveau.
— Tu ne peux pas tout emmagasiner, Bree. Je ne veux pas te forcer à parler mais, te refermer sur toi-même ne va pas t'aider.

Il a raison, évidemment qu'il a raison. Je me blottis dans ses bras, me débarrassant de mes chaussures avec la pointe de mes pieds. Je ramène sur nous l'un des énormes plaids dans lequel j'ai fini par m'endormir ces derniers jours. Ca me donne l'impression d'être dans une bulle de chaleur réconfortante. J'inspire longuement et essaie de garder mon calme. J'ai besoin de raconter ce qu'il s'est passé, et surtout à Kieran. Alors je verrouille, je me suis entraîné des années pour jouer tout type de personnage dans n'importe quelle situation.

— Je suis allé voir Aldo, commençai-je.
— C'est lui qui t'a mis dans cet état ? Gronda-t-il.

Entendre la colère irradier dans sa voix me fit un effet auquel je ne m'attendais pas. Je lève les yeux vers lui et observe sa mâchoire serrée, ses yeux assombris et, d'une drôle de manière, je me sens réellement aimé. Comme lorsqu'un parent sermonne un enfant après une bêtise qui aurait pu lui coûter la vie. Les frissons me parcourent et je m'installe le dos contre son torse, ma main venant jouer avec ses doigts.

— Je suis sorti, samedi.
— Oui, je me souviens que tu m'as dit que tu avais une soirée.
— Exactement. Et j'ai encore discuté avec quelqu'un qui m'a dit qu'il avait été déçu de pas bosser avec moi alors j'ai voulu en avoir le cœur net.
— Ca commence à faire beaucoup de coïncidences.
— Je me suis dis la même chose. Du coup j'ai été voir Aldo dimanche.

Il m'observe avec attention, j'imagine parfaitement la petite ride entre ses sourcils se plisser face à la manière dont il pense que la scène s'est déroulée. Je pose l'arrière de ma tête contre son épaule et ferme les yeux. J'ai besoin que l'histoire sorte d'un seul coup sinon je ne vais jamais réussir. Alors je parle, à un rythme peut-être trop rapide, mais je vomis les principales informations comme si elles me donnaient des maux d'estomac.

— J'ai débarqué chez lui dimanche, il était pas là, mais j'ai ses clés alors je suis entré. Je tournais un peu en rond alors j'ai fini dans son bureau et j'ai trouvé des dizaines de scripts qu'il ne m'a jamais montrés. Il est arrivé alors que j'avais le nez dans tout ça et je lui ai demandé à quoi ça rimait. Je l'ai pris la main dans le sac, Kieran. Il y avait des dizaines de scénarios. Des lettres de refus aussi, bien sûr, mais principalement des choses qu'il avait lui-même rejetées. Et tu sais ce qu'il m'a répondu ? Demandais-je de manière rhétorique. D'abord que je devais lui faire confiance, je le payais pour ça. Et quand je lui ai dis que ça n'était pas ce qui était convenu, il m'a dit que je n'avais aucun talent, que j'étais sa chose. Qu'il m'avait formé et qu'il m'avait façonné, que je devais faire ce qu'il me disait.

Je le sens se raidir sous mon corps, ses doigts se serrent sur les miens et je sais. Je sais qu'il est en colère. J'espère que ça n'est pas contre moi mais c'est plutôt simple de comprendre qu'il est en colère contre cet agent qui s'est servi de moi pendant des années.

—Je l'ai viré, annonçai-je d'une voix éteinte.
— Tu as bien fait.
— Sauf que ça me tue, Kieran. C'était mon ancre dans cette vie, il a toujours été là, m'a toujours poussé et soutenu. Et aujourd'hui je ne sais même plus où est la limite entre la vérité et le mensonge, Kieran, murmurai-je alors que ma voix se brise.

Je sens les larmes couler sur mes joues à nouveau et je jure pour moi-même en les essuyant d'un geste agacé. Il passe ses bras autour de mes épaules, lâchant ma main, pour me serrer contre lui, sa tête reposant contre la mienne. J'ai juste envie de plonger un peu plus longtemps dans son étreinte, de ne plus jamais sortir d'ici. Parce que j'ai l'impression que mon monde s'écroule et il est la dernière zone de stabilité que j'ai.

— Je déteste l'idée que tout le monde voyait à quel point il était mauvais sauf moi, lançai-je rageusement.
— Tu ne pouvais pas voir.

Je ne réponds pas, parce que je suis à nouveau au bord des larmes et que je suis dépité par tout ça. Et qu'il a raison, en un sens. Ça ne me fait pas me sentir mieux.

— Je ne sais pas à quel point ce qu'il a fait a été prémédité, ou pourquoi il l'a fait, ou s'il attendait quelque chose de précis, mais ce que je sais c'est que tu n'aurais pas pu t'en rendre compte. C'est comme quand on est aux prises avec un parent toxique, c'est difficile de le voir immédiatement.

Les larmes roulent à nouveau sur mes joues, parce que je sais qu'il parle d'expérience. Et que ça me fait de la peine que le petit Kieran ait été mis devant autant de cruauté de la part de la personne qui aurait dû le chérir le plus au monde. J'ai l'impression d'être un môme, incapable d'arrêter de pleurer. Et ça me gonfle, ça m'agace autant que je m'agace moi-même. Parce que Kieran a beau dire, je suis persuadée que je suis plus fort que ça. Que j'aurais dû le voir.

— Par pitié, Love, ne t'en prends pas à toi-même. C'est lui qui est en tort, qui a trahi ta confiance. C'est à lui que tu dois en vouloir.

Ce qu'il me dit fait sens. Pourtant, ça me blesse quand même lourdement. Et c'est douloureux de voir à quel point une seule personne peut mettre toute une vie sens dessus dessous. On reste comme ça, en silence, plusieurs minutes. Je me remets petit à petit de mes émotions et je ferme les yeux.

— J'aime que tu m'appelles Love, murmurai-je pour ne pas briser le silence qui s'est installé.
— Tant mieux, j'ai prévu de continuer, me répond-il sur le même ton.

Puis, je le sens bouger dans mon dos alors je me redresse. Il s'étire longuement et me lance un sourire doux.

— J'ai faim.

Ah.
Ca ne m'étonne pas, il est presque vingt-trois heures et il a passé onze heures dans un avion avec un repas probablement pas génial. Malheureusement pour lui, je n'ai pas mangé grand-chose depuis dimanche et mon frigo n'est pas l'objet le plus rempli de la maison. Il s'en rend compte bien vite et je perçois une lueur de tristesse dans ses yeux. Je me lève et m'étire à mon tour.

— On peut commander une pizza, je ne cuisine jamais ici.
— Ca me va !

La commande passée, je lui propose de venir prendre une douche avec moi. C'est une douche très tendre, qui ne dérape pas et qui me permet de chasser un peu le poids que j'ai sur les épaules depuis quelque temps. Kieran prend le temps d'embrasser chaque parcelle de mes épaules, et nous sortons quelques minutes avant que le livreur ne sonne. Nous mangeons la pizza sur le comptoir, à même le carton. Nous sommes tous les deux trop épuisés pour dresser une table digne de ce nom. Je mange une part, pour faire plaisir à Kieran et parce que je n'ai rien avalé depuis trois jours qui ne soit pas liquide. Une fois notre repas terminé, les mains et les dents lavées, nous nous glissons sous la couette de mon lit. Ma chambre est à l'image du reste de la maison, impersonnelle. J'ai pris le temps de changer les draps avant qu'il arrive et l'odeur de l'adoucissant me réconforte un peu. Je ne mets que très peu de temps à m'endormir, épuisé par les crises de larmes incessantes de la journée. 

LoveCon - T1 - Kieran [Premier Jet] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant