Voir Kieran dans cet état, lorsqu'il est revenu de chez sa mère, m'a torturé une bonne partie de la nuit qui a suivi. J'aurais dû insister pour l'accompagner, pour être à ses côtés et ne pas la laisser semer le doute en lui. Elle aurait pu déverser sa colère sur moi et j'aurais su encaisser. Mais Kieran, s'il a subi ça toute sa vie, ça l'a égratigné une fois de trop, une entaille supplémentaire qui aura laissé l'hémorragie exploser. Faute d'avoir été là, je le garde contre moi le plus longtemps possible, je le berce légèrement pour apaiser ses larmes. Après une bonne discussion, je sais qu'il va falloir que je discute de ça avec Cat, parce que je suis à deux doigts d'annuler mon vol. Lorsqu'elle revient, elle passe un long moment à côté de Kieran à parler avec lui de la même manière que ce que je viens de faire. Cat est furieuse, et je me jure de ne jamais la mettre moi-même dans cet état.
Je les laisse tous les deux, m'affairant en cuisine pour préparer des chocolats chauds et quelques biscuits. Je prends mon temps, dresse des tasses avec des mini-chamallow et des pépites de praliné. Je dépose ensuite mon plateau sur la table basse, demandant à Cat si elle peut nous prêter des plaids. Je propose de regarder un film de Noël – je pensais à Maman j'ai raté l'avion, mais nous voilà condamnés à regarder Violet, femme d'affaire New-Yorkaise au bord du burn out, qui est renvoyée dans sa ville natale par son patron après une erreur de trop et qui tombe sur Josh, bûcheron mal léché qui passe son temps à se mettre en travers de son chemin. Mais ça semble être parfait pour ce soir. Je sens Kieran s'émouvoir lors des passages familiaux et je glisse une main sous son plaid pour prendre sa main dans la mienne, serrant ses doigts pour lui signifier que je suis là. Avec lui. Une fois Violet séduite par ce grand dadais de Josh, nous récupérons nos affaires et saluons la jeune femme avant de retourner à l'hôtel. Je pense que Kieran aurait aimé rester ici, dans son confort. Et je m'en veux de l'en sortir. Malgré tout, je demeure persuadé que c'est bénéfique de ne pas le laisser se morfondre dans sa chambre, d'avoir un environnement neutre. On se couche immédiatement, exténués par les événements de la journée. Kieran vient se blottir dans mes bras et je le garde contre moi jusqu'à ce que le sommeil nous emporte tous les deux.
Le lendemain matin, le réveil sonne à sept heures. Si je lutte un peu pour quitter les draps chauds, je me souviens très vite du programme de la journée. Alors j'embrasse Kieran pour terminer de le réveiller et je fonce sous la douche, excité comme une puce par la suite de ma découverte londonienne. Kieran me rejoint sous le jet d'eau, venant se lover contre mon dos. Si l'étreinte à commencé par un simple câlin, nous avons bien vite laissé nos mains se perdre l'un sur l'autre et je fus pris par un besoin de lui montrer à quel point je le trouve exceptionnellement beau et désirable. Alors j'y ai mis tout mon cœur, j'ai pris la moindre seconde pour flatter son corps et sa personne. C'était un besoin impérieux qu'il comprenne à quel point ce que sa mère lui avait dit était faux, à quel point il était le seul dont j'avais envie. Une fois propre et rassasié, j'ai quitté la pièce en peignoir à la recherche d'un bon vieux jean et d'un sous-pull à col roulé. Parce que l'air de rien, il fait froid dans ce foutu pays. J'ai rajouté un pull en laine blanc par dessus, toujours à col roulé, et j'ai terminé avec ma veste et mes rangers. Kieran, de son côté, s'est équipé d'un blue jean – et je n'avouerais qu'à lui qu'il lui fait des fesses merveilleuses – et d'un sweat à capuche jaune qu'il a passé par dessus un sous-pull à manches longues. Il enfile des baskets, attrape un manteau en laine noir et nous voilà partis pour le 221B. Baker Street.
J'ai toujours eu cette drôle de passion pour Sherlock Holmes, peut-être simplement parce que j'étais un gamin impressionnable qui aurait aimé avoir autant de jugeotes que lui. Mais je me rapprochais plus d'un Watson, encore moins vif probablement, qui n'aurait été là que pour admirer les faits d'armes de mon ami. C'est aussi les premiers livres que j'ai lus lorsque Cole a arrêté de me lire des histoires, au milieu du Club des 5, de Robinson Crusoë et de L'Appel de la forêt. Je ne suis pas un homme très original, ni même très compliqué, j'avoue sans mal être assez classique. Et puis, je lis peu. J'aime la version Sherlock Holmes de la télé et du cinéma. Qu'il s'agisse de Downey Jr. ou de Cumberbatch, voir même de Cavill, je suis toujours agréablement surpris par les adaptations qu'on nous propose. Elles donnent chacune un nouveau regard sur le fameux détective et je suis friand de ça. Et à chaque fois, je me dis qu'il faudrait que je lise les romans, j'en ai lu lorsque j'étais enfant, mais plus depuis. J'ai acheté de très belles éditions des intégrales, sorties plus récemment, mais je ne prends pas le temps de m'y pencher.
La visite du musée se fait sans heurt. Kieran a appelé en amont pour réserver, pour demander s'il était possible de ne pas avoir trop de visiteurs avec nous. Ils ont accepté de clôturer les ventes contre une petite donation que je fus ravi de leur offrir. Si bien que nous étions presque seuls au côté d'un couple de personnes âgés d'origine espagnole, si j'en jugeais par les bribes de langue que je reconnaissais. Les différentes pièces se succèdent, décorées comme à l'époque. On y retrouve cette atmosphère dégagée par les romans, voir même les films, et c'est absolument fascinant. Je sais qu'aucun détective privé n'a vécu ici, mais Sherlock est de ces personnages dont on ne sait s'il est réel ou fictif à l'heure actuelle, tant il s'est ancré dans nos histoires. L'esthétique britannique, faites de tapisseries fleuries et de moquettes criardes, a le bon goût d'être à peine visible, de proposer quelque chose de subtil qui ne donne un côté vieillot que par l'âge qu'on lui donne.
Les sempiternelles boutiques de souvenirs qui se tiennent à la sortie des musées nous aspirent, celle-ci ne fait pas exception. Je m'arrête un long moment, passant en revu les différents objets qui pourraient faire de jolis cadeaux de Noël. Je souris en découvrant la casquette de notre ami Sherlock en format miniature pour nos amis les bêtes, et j'ai choisi d'en prendre une pour le chien de Cole. J'achète une montre à gousset pour mon père et des boutons de manchettes pour moi. Je n'ai rien trouvé d'intéressant pour Bailey et ma mère mais, au moment de passer à la caisse, je trouve les histoires de Sherlock Holmes illustrées pour les enfants. J'en prends un exemplaire aussi et je paie mes achats, rejoignant Kieran qui m'attend à l'extérieur.
Le reste de la journée fut rude, nous avons beaucoup marché et peu pris le métro pour éviter les zones fréquentées. Au milieu de la matinée, Kieran m'a emmené à Camden Market, persuadé qu'en pleine semaine ce serait relativement prudent. Sa présomption fut confirmée lorsque nous avons grimpé sur le pont qui relie les deux rives, seuls quelques touristes qui ne faisaient pas attention à nous prenaient des photos ici et là. Nous avons flâné dans les boutiques où je trouvais un très beau châle en coton pour ma mère et une paire de Dr. Martens en édition limitée pour Bailey. Je profite du beau temps pour prendre quelques clichés, notamment un de Kieran, debout sur le pont, dos à moi. Il est un peu à contre-jour et je trouve le cliché magnifique. Il m'observe d'un air suspicieux en me demandant si je l'ai pris en photo et je souris en lui répondant que c'est le cas, que ça m'aidera à tenir quand il ne sera pas avec moi. Il râle un peu mais ne m'oblige pas à la supprimer. Nous finissons notre journée de visite en allant nous balader du côté de Notting Hill où je retrouve les décors du film qui raconte l'histoire d'amour entre un libraire indépendant et une actrice à la renommée mondiale.
— Ca pourrait être nous, ce film, fis-je remarquer alors que nous étions stationnés devant la fameuse librairie.
— Je ne ressemble pas vraiment à Hugh Grant, sourit-il doucement.
— Parce que tu penses que je ressemble à Julia Roberts ? Je l'adore mais je ne suis pas sûr que ce soit un compliment.
— Tu as au moins autant de talent qu'elle.
— Les flatteries ne vous mèneront nulle part, Monsieur Parker.
— C'est noté.
Un silence flotte ensuite après quoi il se tourne vers moi, les sourcils froncés.
— Sache que je ne préviendrais jamais les journalistes de notre histoire.
— Euh, oui. Je sais.
— Non mais, sait-on jamais. Elle a bien cru que c'était lui qui avait tout balancé.
— Elle ne le connaissait pas comme moi je te connais.
J'avais très envie de l'embrasser, de lui tenir la main, de l'avoir encore plus près de moi. Mais en pleine rue, c'était impossible. Alors je me contentais de ce sourire. J'ai senti durant cette journée que Kieran n'était pas totalement avec moi, probablement encore travaillé par les paroles qu'il avait échangé avec sa mère. Il m'avait confié, une fois que nous nous étions mis en sécurité sous les draps, qu'il avait pris la décision de couper les ponts avec elle. Et si ça me brisait le cœur pour lui, je ne pouvais qu'approuver cette initiative.
Alors je tentais de le faire rire avec mon humour à toute épreuve, l'emmenais manger sa cuisine préférée – l'indienne – ou encore je taquinais son côté fier qui le faisait généralement mordre. Mais je pense que l'action la plus efficace fut lorsque j'achetai une connerie chez Claire's, deux bracelets de l'amitié représentant chacun une pièce de puzzle. L'un jaune, l'autre rouge. Sur le moment, ça m'a semblé être la chose à faire. Et le sourire qu'il m'a offert lorsque je lui ai offert m'a renversé. Je ne suis pas dans sa tête mais si je devais en sortir une sorte d'analyse, je dirais qu'il a vu dans mon geste celui que personne n'a peut-être eu envers lui lorsqu'il était plus jeune. Je pense que ça l'a touché, mais qu'il avait un peu envie de se moquer de moi en même temps. L'objectif étant de lui changer les idées, il était très clairement atteint.
Le reste du séjour se déroula dans cette même ambiance. Nous étions simplement heureux d'être ensemble et redoutions le moment où nous serions à nouveau amenés à nous séparer dans un aéroport. Alors nous avons profité le plus possible, nous avons pris une voiture pour descendre jusqu'au Château de Highclere, où la série Downton Abbey a été tournée, avant d'aller passer la nuit à Southampton. Puis, le lendemain, nous sommes remontés vers Londres en faisant un premier détour par Portsmouth pour déjeuner, puis à Croydon pour aller faire un peu de balançoire.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas coupé tout contact avec ma vie quotidienne. Depuis mon arrivée à Londres, j'avais envoyé un message à Aldo pour l'informer que j'étais arrivé en vie, puis j'avais éteint mon téléphone. Nous n'avions pas du tout été dérangés pendant nos visites et, si quelqu'un m'avait reconnu dans le Château, elle m'avait promis d'attendre la semaine suivante pour poster sa photo avec moi en ligne. Et elle avait été adorable en m'approchant pour me demander si c'était possible.
Lorsque vint le jour de mon départ, nous avons passé notre dernière journée enfermés à l'hôtel à faire l'amour, comme pour marquer dans nos esprits les courbes de nos corps respectifs jusqu'à la prochaine fois. Nos aurevoirs furent durs, comme à chaque fois, si bien que je failli manquer mon vol. C'est à bout de souffle et le cœur lourd que je regardais Londres rapetisser sous mes yeux.
L'avion se posa à Los Angeles onze heures plus tard et je rallumai mon téléphone. J'avais un message d'Aldo comme quoi il venait me chercher. Je n'avais pas précisément envie de le voir mais attendre un taxi ne me donnait pas envie. Je profitais de la durée du roulage pour faire un tour sur les réseaux sociaux, inquiet qu'on ait pu me reconnaître pendant mon séjour à Londres et qu'on puisse me lier à Kieran. Nous avions dû être suffisamment discrets car rien n'avait fuité, les médias ne m'avaient même pas repéré là-bas. Et ce fut un soulagement pour moi.
Les retrouvailles avec mon agent furent encore plus froides qu'à mon départ. La boule qui pesait sur ma poitrine avant mon départ et qui avait peu à peu disparu pendant mon séjour réapparu à l'instant où les reproches commencèrent. Je n'aurais pas dû éteindre mon téléphone, il avait essayé de me joindre, il ne savait même pas où j'étais, et s'il m'était arrivé quelque chose, comment aurait-il pu m'aider ? La fatigue du voyage me donna assez d'impulsion pour l'envoyer chier en lui disant que j'étais en vacances, que j'avais le droit de disposer de ma vie comme je l'entendais et que je ne lui devais rien. Je vis ses doigts blanchir lorsqu'il raffermit sa prise sur le volant mais il ne dit pas un mot de plus avant de me déposer chez moi.
Le retour à la réalité fut dur, plus dur encore que ce que je ne pensais. Le tournage étant fini, j'apparaissais dans plusieurs publicités ou émissions télévisées. Aldo avait aussi blindé mes week-ends avec des conventions qui nous rapportaient plusieurs milliers de dollars par jour, mais qui creusaient un peu plus le fossé que je créais avec mon public. Suivant les conseils que Kieran m'avait donnés, j'avais chercher un thérapeute. J'en ai consulté quatre avant de tomber sur le Docteur Kaushman, une femme dans la cinquantaine aux cheveux coupés très court, percée de plusieurs hélix et un tragus sur les deux oreilles, un petit diamant sur la narine droite également et une tenue aux inspirations très rock. Dès nos premiers échanges, je me sentis à l'aise. Elle se fichait complètement que je sois un acteur, et ça me fit du bien. J'avais promis à Kieran d'essayer de régler mes problèmes et j'avais besoin de tenir cette promesse. Pour lui, bien sûr, mais pour moi aussi. Parce que je n'ai pas envie que ça me détruise ou que ça empiète sur notre relation. Il allait falloir que je travaille sur moi, sur mes problèmes de confiance en moi et aux autres, sur mes problèmes de comportements alimentaires, sur ma vie en général. Après la première séance, le Docteur Kaushman m'affirma que ça ne serait pas facile, mais que si je m'en donnais les moyens alors j'y arriverais.
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LoveCon - T1 - Kieran [Premier Jet]
عاطفيةKieran Parker travaille en tant que chargé de projet événementiel dans une convention londonienne spécialisée dans la pop-culture. Il adore son métier et ferait n'importe quoi pour gravir les échelons, ce que son boss a très bien compris. C'est ains...