Chapitre 55 - Kieran.

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Le poids qui pesait longuement sur mes épaules et ma poitrine depuis le moment où Madeline m'a appris ce qu'il se passait s'envole lorsque je croise son regard. Et si une part de moi à honte du spectacle auquel je me suis prêté à la suite de ça, je sais qu'il fallait que je me batte. Que je ne pouvais pas abandonner.

Je ne pouvais pas l'abandonner, mais je ne pouvais pas non plus me faire subir pareille chose.

Bree était vulnérable, il n'avait plus de souvenir, il était blessé. Aldo avait très bien commencé, il avait mis le doigt exactement sur l'avantage que ça lui donnerait pour modifier la vérité, emportant dans son mensonge la famille de mon amant. Et je ne pouvais pas croire que personne ne s'en souciait. J'en ai voulu à Madeline au début, de ne pas prendre mon parti après les moments que nous avions passés ensemble. Son enquête m'a convaincu qu'elle était là pour le bien-être de Bree, que me mettre à l'écart ne consistait qu'une protection supplémentaire pour lui. Je suis juste déçu qu'elle n'ait pas appliqué les mêmes précautions concernant Aldo.

Aujourd'hui, elle est ma super-héroïne. Je ne sais pas si elle est parvenue à débloquer les souvenirs de son ami juste avec ses mots où s'ils étaient susceptibles de revenir naturellement, mais elle a prouvé à tout le monde quelle enflure était Aldo. Et c'est tout ce dont j'avais besoin.

La peine n'est jamais bien loin, tout comme le doute.

Le doute de savoir si je mérite cet homme qui vient de subir tout ça et qui va devoir faire face à un scandale sur sa sexualité alors que c'est tout ce qu'il voulait éviter. Le doute que je sois important pour lui si, même en n'ayant perdu que quelques jours de souvenirs, il a privilégié accordé sa confiance à la mauvaise personne. Ça m'a fait mal, et je sais que je mettrais du temps à rattraper ça. Mais tout ça n'est rien face au bonheur qui me transperce lorsqu'il me demande de rester près de lui. Lorsque je lis dans ses yeux épuisés la tendresse qu'il me porte.

Cat me sourit et quitte la pièce avec l'attachée de presse et Bailey, me laissant seul avec lui. Seul avec nos souvenirs, nos problèmes, nos envies. J'approche doucement du lit, le contournant pour aller m'installer dans le fauteuil près de son lit.

Pas un mot n'est prononcé ce jour-là. Je glisse mes doigts entre ceux d'Aubrey qui se rallonge et ne met que quelques minutes à sombrer dans les bras de Morphée. Je suis inquiet qu'il ne se réveille pas, que le traumatisme et la dispute sonore qui a eu lieu quelques minutes plus tôt ne soient la cause d'un nouveau coma. Alors je reste éveillé, je le regarde dormir.

Cat m'a dit que c'était flippant, quand quelqu'un nous regarde dormir. Je ne sais pas ce qu'en penserait Bree, mais j'adore ça. M'assurer que sa poitrine se soulève à un rythme régulier, écoutant la respiration paisible de sa nuit, entendre les petits marmonnements qui trahissent le cheminement de son rêve. Sourire devant les petits ronflements qui surviennent parfois dans la nuit. Je trouve que c'est le signe d'une profonde intimité, celle où on se laisse glisser dans un état de vulnérabilité incommensurable alors qu'on est proche de quelqu'un. Parce qu'elle pourrait en profiter, utiliser ce moment à mauvais escient ou simplement se moquer ensuite de ces bruits et ces ronflements. C'est pour moi la preuve ultime qu'on peut compter sur quelqu'un : lui laisser accès à ses rêves.

Lorsqu'une infirmière entre dans la pièce, il est presque sept heures du soir, et Bree dort encore. Je lui souris faiblement, caché dans la pénombre, et elle dépose silencieusement le plateau repas sur la table amovible. Je la remercie à voix basse et lui demande jusqu'à quand je peux rester là. Elle m'assure que Coleman lui a demandé de me laisser rester toute la nuit si ça pouvait apaiser son frère avant de quitter la pièce.

Je suis surpris sans l'être. Coleman ne me porte peut-être pas dans son cœur, mais il veut le meilleur pour son frère. Il sait qu'il a merdé récemment et je pense qu'il essaie de se rattraper. Je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle il a eu gain de cause, alors je mets ça sur la célébrité de Bree.

Je fini à mon tour par m'assoupir sur la chaise, dans une position inconfortable qui me promet de longues séances d'étirement lombaire dès le petit matin. Mais pour rien au monde je n'aurais échangé ma place, même pour un lit king size.

Les rayons de soleil me réveillent doucement et je mets quelques minutes à reconnaître l'endroit où je me trouve. J'ai mal partout, mais le duo de pupilles vertes et bleues qui m'observe, un léger sourire sur le coin des lèvres, me fait presque oublier le torticolis qui se créer dans ma nuque.

— Salut, la belle au bois dormant.
— Hey, Love, m'étranglai-je, l'émotion revenant m'étreindre.

Je ravale mes larmes comme je peux, tirant sur cette main valide, que je n'avais pas lâchée consciemment de la nuit, pour la porter à mes lèvres. Je tremble car il attrape mon menton avec délicatesse pour me faire lever la tête et essuyer les larmes qui perlent au coin de mes yeux.

— J'ai cru ne jamais te revoir, soufflai-je d'une voix désespérée.
— Je suis là. Tu as cru que tu pourrais te débarrasser de moi ?
— J'ai bien cru que tu avais trouvé un moyen de te débarrasser de moi...
— Jamais. Je suis désolé Kieran...
— Pourquoi ?
— Pour tout ? Pour toi, pour moi, pour nous, soupira-t-il en se laissant retomber en arrière. Madeline m'a fait un topo avant que je retrouve la mémoire de ce qu'il se passait en ligne. Ils ont fini par trouver ton identité, ça n'est qu'une question de temps pour que ta vie change du tout au tout.
— Tu avais déjà changé ma vie, Bree. Qu'on le veuille ou non, ça n'était que reculer pour mieux sauter.

Il relève la tête et un sourire étire doucement mes lèvres.

— Tu veux pas monter là ? Me demande-t-il soudainement.
— On va être un peu serrer n-...
— Ta gueule et vient là, m'interrompt-il. Je veux être serré contre toi.

Alors je m'exécute. Je prends les précautions nécessaires pour l'aider à se déplacer sans qu'il ne souffre de trop. Puis je m'installe sur le lit et il se blottit dans mes bras. J'enfouie mon nez dans ses cheveux, humant l'odeur qui le caractérise. Mon cœur se serre dans ma poitrine, le soulagement se répandant dans mes veines, petit à petit. Comme si, tout lâcher dès le départ n'aurait été qu'un raz de marée d'émotions trop intenses pour être vécues. Là, dans ses bras, je me détends enfin. Je profite de sa simple présence.

— Bree ?
— Hm ?
— Je t'aime.

Un silence me répond et je rouvre les yeux. Ce ne sont pas des mots que je dis à la légère, les seules personnes à les avoir entendus sont Cat et Donovan. Et pourtant, je fais toujours très attention à être sûr de moi avant de les poser sur une situation. Et je suis amoureux de cet homme. Fou amoureux. Si je ne l'avais pas été, je n'aurais jamais cherché à venir à Los Angeles, je ne serais pas rester là à me ronger les sangs jusqu'à son réveil. Et j'étais plutôt persuadé que c'était réciproque, mais le silence qui s'étend entre nous m'effraie. Je sais qu'on n'a pas besoin de le dire pour le sentir, que certaines personnes sont plus ou moins à l'aise avec ça. Mais j'avais besoin de lui dire, après tout ça. Besoin qu'il l'entende. Qu'il comprenne que je serais avec lui peu importe ce qu'il choisi de faire de sa vie. Quand je recule pour tenter de croiser son regard, je le sens agacé. Je suis surpris et je me sens tout de suite coupable.

— C'est pas juste !
— Pas... Juste ? Questionnai-je, interloqué.
— Je voulais te le dire le premier, ça faisait des semaines que j'y pensais et tout ça, ça m'a tout cassé ma grande déclaration ! Boude-t-il en se pinçant la lèvre.

Je laisse passer deux secondes avant d'éclater de rire, la pression retombant comme un soufflé.

— Donc tu m'aimes.
— Évidemment que je t'aime, que crois-tu donc ? Que je m'amuse à traverser la moitié du monde pour te voir juste pour ton joli p'tit cul ? Il est magnifique hein mais franchement, il y a un peu plus que ça qui m'intéresse chez toi.
— Ah oui, et quoi d'autre ?
— Et bien, pour commencer, il y a ce jean blanc que tu ne mets pas assez souvent à mon goût. Et puis ce col roulé gris foncé là, il te va si bien. Et puis il y a ces petites tâches de rousseurs sur tes épaules, elles se voient très peu mais elles sont magnifiques. Tes yeux aussi, franchement c'est beau de pouvoir voir tout ce que tu penses rien qu'en plongeant dedans. Tes lèvres que j'ai constamment envie d'embrasser. Et puis, il y a là-dedans, surtout, murmure-t-il contre mes lèvres en pointant son index valide sur l'une de mes tempes. La manière dont tu gères les urgences, dont tu priorises les tâches. L'ouverture d'esprit et la gentillesse dont tu fais preuve auprès des gens. L'intelligence émotionnelle que tu as malgré que tu n'y crois pas aussi. La culture incroyable que tu emmagasines...
— Arrêtes, soufflai-je en rougissant un peu plus à chaque compliment.
— Je t'aime, Kieran Parker. Je crois que je t'aime depuis nos conversations Instagram et que je n'aurais jamais pu m'empêcher de retomber amoureux de toi.

Je l'embrasse, comme si nos vies en dépendaient. Il n'y a rien d'autre que je puisse répondre à une déclaration pareille. Mon "Je t'aime" paraît bien fade à côté de tout ça.

Un raclement de gorge nous pousse à nous séparer lorsqu'un médecin entre dans la pièce. Il me demande de les laisser pour qu'il puisse ausculter Bree alors je m'exécute à regret, laissant mon compagnon entre de bonnes mains. Je me dirige vers la machine à café lorsque je repère Coleman dans la salle d'attente, en pleine discussion animée avec l'infirmière qui est passée apporter le repas cette nuit. Je ne m'interpose pas entre eux, je préfère siroter tranquillement le breuvage qui me réchauffe un peu. Mais Coleman croise mon regard et il ne peut pas m'ignorer. Moi non plus. Alors il s'approche de moi et je me tends. Je n'ai aucune envie de subir ses reproches ce matin, surtout après les derniers événements. Je crois que je suis prêt à l'envoyer chier et me brouiller avec lui ad vitam aeternam s'il essaie encore une fois de me renvoyer à Londres. Lorsqu'il s'arrête, il enfouitenfouie ses grosses mains dans ses poches et me regarde comme un enfant pris en flagrant délit.

— Bonjour, lança-t-il d'un ton brusque.
— Euh, bonjour.
— Comment va Bree ?
— Bien, je crois. Il est avec le médecin, il nous en dira sûrement plus après.
— Je vais pas m'excuser, continua-t-il sur le même ton.
— Okay, soufflai-je en laissant d'une voix traînante. Pas suffisamment de preuves pour vous ?
— Si, je sais que c'est pas toi qui l'as balancé. Mais j'estime quand même que tu as une part de responsabilité dans cette situation.
— J'en ai conscience, oui. Et c'est justement pour ça que me le rappeler tous les jours de mon existence ne sera jamais comparable à ce que je m'infligerais moi-même pour ça. Ne veut-on pas tous les deux la même chose, Coleman ?
— Quoi donc ?
— Le bonheur de Bree ?
— Si.
— Alors, et si on enterrait la hache de guerre ? Parce que je ne partirais pas, je serais toujours là.

Je me redresse et envoie mon gobelet vide dans une poubelle, faisant finalement face à Coleman de toute ma hauteur.

— J'aime ton frère, plus que tout. Et si tu n'es pas d'accord avec ça, alors je ne peux rien y faire.
— Disons que je réserve mon jugement, mais que je serais cordial en attendant.
— C'est un début, je suppose.

Je lui fais un signe de main et je me dirige vers la chambre de Bree. Il est seul quand j'arrive mais une infirmière m'indique qu'elle va devoir l'aider pour sa toilette et qu'elle préférerait que je ne sois pas là.

— Je vais rentrer, essayer de grappiller quelques heures de sommeil avant les visites officielles. Essaie de te reposer aussi, je pense que tes parents risquent de passer vue les dernières nouvelles.
— Tu reviens ?
— Toujours, lui promis-je en venant embrasser son front. A tout à l'heure.

Je le laisse se reposer et rejoins le motel. Cat est déjà debout, assise sur le lit avec un paquet de donuts, une vieille série à l'écran et son ordinateur portable sur les genoux. Je prends une douche rapide et la rejoint finalement, me glissant sous les draps en jetant un œil à ses recherches.

— Qu'est-ce que tu fais ? Demandai-je en découvrant des annonces immobilières dans le coin.
— Je cherche un moyen plus économique de nous installer ici quelques temps.
— Tu veux louer un appartement ? Mais et ta boutique ? Tu ne vas pas rester ici indéfiniment !
— Le temps qu'il faudra pour que je sois certaine que tout va bien.
— Et moi c'est pareil ! Je peux pas rester ici des mois...
— Kieran, a qui veux-tu faire croire que tu vas laisser Bree seul ici ?

Je ne réponds pas, parce que c'est une question que je me pose moi-même depuis qu'il a eu son accident. Ma vie londonienne risque d'être sens dessus dessous après les révélations de mon identité dans les médias, et je n'ai pas particulièrement envie d'être suivi à chacune de mes sorties. Phoenix, pour le moment, à l'air relativement calme. Personne ne sait que je suis ici, personne ne me connaît. Alors, peut-être Cat n'a-t-elle pas tort. Je pourrais proposer à Graham de bosser en télétravail depuis Los Angeles et m'installer avec Bree. Ou même chercher un appartement. Mais il faudrait que je décroche un visa de travail pour ça, et je ne suis même pas sûr de pouvoir y parvenir. Ces projets sont trop anxiogènes pour moi pour le moment, alors je me détourne de mon amie pour dormir quelques heures bienvenue. Et cette sieste est plus réparatrice que toutes les nuits que j'ai passées depuis que mon avion s'est posé sur le tarmac de LAX. Si je rêve, ils sont calmes et paisibles, si bien je ne m'en souviens pas au réveil. Alors, lorsque j'ouvre mes paupières, tout ce que je veux, c'est retrouver Bree et le prendre à nouveau dans mes bras pour l'embrasser. 

LoveCon - T1 - Kieran [Premier Jet] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant