Chapitre 42 - Kieran.

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La discussion avec ma mère m'avait remué plus que je ne l'avais pensé. Durant la fin du séjour de Bree, je fus un peu ailleurs. Je m'en suis voulu à l'instant où il a disparu derrière le guichet de la douane, parce que j'aurais dû profiter de lui au maximum le temps qu'il était là, et que j'avais fini par gâcher ça aussi à cause d'elle. Je rentrai à l'appartement en métro, ayant rendu la voiture de location avant le départ de mon compagnon. Une musique résolument triste dans les oreilles, je parcourais les couloirs souterrains de Londres pour rejoindre mon antre, passant par le hall de l'immeuble pour éviter de voir Cat au café. J'avais simplement envie de me morfondre, seul sur mon lit. Et c'est exactement ce que je fis. Je jetais mes fringues par terre, enfilais une tenue d'intérieur plus confortable avant de me glisser sous les draps, le tout sans enlever mes écouteurs, seul moyen de me couper du monde.

Au réveil, la peine était toujours là. Je répondis aux messages de Bree me disant qu'il était bien arrivé et que je lui manquais déjà. Lui aussi me manquait, et j'aspirais un peu plus chaque jour à sa présence. Il allait, un jour, falloir réfléchir à l'avenir de notre relation. Parce que si ce qu'on avait se concrétisait et qu'on restait ensemble, aucun de nous ne supporterait la distance comme ça. Mais nous étions suffisamment conscients l'un comme l'autre que demander le sacrifice de déménager était inconcevable. Il fallait qu'on le décide en notre âme et conscience. Je savais que ce serait moi. Quand je serais prêt, je le ferais. A Londres, la seule chose qui me retienne, ce sont mes amis. Cat, Oakley, Sage et Félix. Et si je savais que ma relation avec Cat ne s'étiolerait pas de notre distance, j'étais moins sûr de conserver un lien indéfectible avec les autres. Mais à mettre dans la balance, Bree était bien plus important.

Au bout de quelques jours, Cat déposa sur mon lit une page web imprimée en noir et blanc de plusieurs numéros de téléphone. Je compris bien vite qu'il s'agissait de psychologue, et je lui en voulu un peu. Sauf que c'est elle qui avait raison. J'avais promis à Bree qu'on ferait ça ensemble, et lui avait déjà été voir deux médecins. Des cas d'après ce qu'il m'avait raconté, mais il avait fait la démarche. C'était maintenant à moi de jouer, alors je contactais la première de la liste après avoir fait quelques recherches sur internet. Je testais deux ou trois séances avec elle, mais je ne fus pas convaincu, je n'avais pas de bon feeling et j'avais peur de son jugement. Alors je changeais, j'en cherchais une autre en ligne. C'est le troisième essai qui fut le bon, c'était également une femme. Le premier contact me fit presque peur, elle avait l'air austère avec son tailleur en tweed et ses cheveux attachés en un chignon serré, mais elle me proposa une infusion et un biscuit. C'est bête mais ça m'a détendu.

— Alors, Kieran, dites-moi pourquoi vous venez me voir.
— Le sujet est vaste, plaisantai-je.
— Commencez par ce qui vous vient à l'esprit, me répondit-elle sans rebondir sur ma plaisanterie.
— Ok.

Je restai silencieux un instant, le nez plissé et les sourcils froncés. Elle attendait en silence, sans me presser. Je fis le point sur mes pensées et j'inspirai lourdement.

— Je suis gros.
— C'est un problème ?
— Aux yeux de la société, oui.
— Et aux vôtres ?
— Je suppose que oui.
— Pourquoi ?
— A cause de la société.
— Je vois. C'est le regard des autres sur votre corps qui vous gêne.
— Je pense, oui. Mais le mien n'est pas mieux, j'ai été tellement formaté par le fait qu'on devait être mince que je suis incapable de me trouver beau.
— D'accord. Que pouvez-vous me dire d'autre à votre sujet ?
— J'ai eu des TCA, ça fait un moment que je ne suis pas retomber dedans mais ça n'est pas toujours facile.
— Quel genre de TCA ?
— Hyperphagie.
— Très bien. Et comment les crises se sont-elles arrêtées ?
— J'ai été accompagnée par une amie à l'époque qui m'a beaucoup aidée à aller mieux dans ma vie, ça m'a suffit pour m'en sortir.
— D'accord. Autre chose ?
— Je n'ai pas confiance en moi. Ni dans mes compétences, ni dans mon attitude, nulle part. Je ne me trouve pas de vraies qualités.

Elle hocha la tête en prenant des notes, me faisant signe de continuer.

— Je crois que c'est tout.
— C'est déjà beaucoup. Ne vous inquiétez pas Kieran, on va travailler petit à petit sur tout ça. Le but est que vous parliez et que vous orientez ce que vous avez envie de communiquer. Je vais vous poser quelques questions dans un premier temps pour cerner votre passé et votre évolution ainsi que votre situation actuelle, et ensuite c'est vous qui déciderez des sujets qu'on abordera.
— Ça marche.
— Alors, quelles sont vos relations avec vos parents?
— Aouch, vous commencez fort, ironisai-je dans un rire jaune. Je n'ai jamais connu mon père, et ma mère ne m'a jamais aimé. J'ai décidé de couper les ponts avec elle définitivement récemment.
— Et ça vous a touché ?
— Beaucoup. J'aurais tellement voulu qu'elle soit fière de moi, du chemin que je parcours. Et je me suis rendu compte que peu importe ce que j'avais fait, elle ne m'aurait jamais acceptée comme je suis.
— Comme vous êtes ?
— Gros, moche, pas ingénieur ou médecin et gay.
— Ce sont ses mots ou les vôtres ?
— Les siens, mais j'ai appris à me les approprier.
— D'accord. Et au niveau professionnel, que faites-vous dans la vie ?
— Je travaille dans l'événementiel, j'organise un salon autour du cinéma, des séries télé, de la culture japonaise.
— C'est un gros salon ?
— Plutôt oui.
— Ça vous cause beaucoup de stress ?
— Plus on en approche et plus c'est stressant en effet.
— Et ça se passe bien ?
— Avec mes collègues, oui. Mon patron, c'est autre chose.
— Il vous met la pression ?
— Oui, entre autres. Ce n'est pas une personne très bien intentionnée non plus.
— Et vos relations amoureuses ?
— Vous êtes soumise au secret médical n'est-ce pas ?
— Oui, bien sûr, me répondit-elle en fronçant les sourcils.
— Ok, alors. Je ne mens pas, je suis très sérieux et ça n'est pas un fantasme d'adolescent ou quoi que ce soit du genre.
— D'accord.
— Je sors depuis quelques mois avec un homme, nos débuts n'ont pas été simples mais les choses vont mieux entre nous maintenant. Mais on a chacun besoin de se soigner aussi. Et cet homme, c'est un acteur que j'ai rencontré par le biais des réseaux sociaux mais, surtout, de mon travail.
— Je comprends mieux. Je vous assure de ma discrétion à ce sujet. Vous ne souhaitez pas que les médias s'emparent de votre relation ?
— Non, pas vraiment. Je n'ai pas les épaules pour supporter les remarques sur mon physique qui vont inlassablement venir sur le devant de la scène, les insultes homophobes non plus cela-dit.
— Et lui ? Est-ce lui qui vous a demandé de vous cacher ?
— Oui, et non. C'est une décision commune. Son orientation sexuelle n'est pas publique, et il ne veut pas que ce soit un sujet.
— Très bien, c'est plutôt sain que vous en ayez parlé.
— C'est venu assez vite. J'ai déjà été dans une relation où on a souhaité me changer ou me cacher donc je ne veux pas recommencer en un sens. Ici, la situation est très différente.
— Et admettons que votre relation perdure, ce que je vous souhaite. Quelle place pensez-vous avoir dans sa notoriété ?

Je restais en silence pendant un moment, et elle ne me poussa pas à répondre. J'avais déjà penser à cette question, mais je l'avais relégué au fond de mon esprit. Parce que je n'avais pas vraiment de réponse.

— J'aimerais être tranquille, que ma présence ne change rien pour lui, ni pour moi. Je sais que c'est idiot parce qu'il y a forcément des choses qui vont changer, mais le moins possible j'espère.
— Pourquoi idiot ? Vous avez le pouvoir de faire de votre vie ce que vous voulez.
— Oui, mais les médias et les paparazzis ne cherchent pas à nous laisser faire.
— C'est vrai qu'ils peuvent être insistants. Vous avez dit que vous aviez déjà eu une relation difficile, pouvez-vous m'en parler un peu plus ?
— Je pense qu'on peut y dédier une séance entière, cet homme a été infecte avec moi et j'ai mis énormément de temps à m'en rendre compte.
— A-t-il été violent physiquement ?
— Non, mais moralement oui. Quoi que, il m'a tatoué de force, je suppose que c'est aussi un type de violence physique.
— Absolument, oui. Je me note ça pour qu'on aborde le sujet dans une prochaine séance. On va devoir s'arrêter là pour aujourd'hui. Merci d'avoir poussé ma porte Kieran, parce que ça veut dire que vous êtes prêt à avancer, à travailler sur vos traumatismes et à aller dans le bon sens. Et pour tous les êtres humains qui vont croiser votre route, merci.

Je quittais son cabinet avec une sensation de légèreté. J'avais conscience d'avoir un long chemin à parcourir mais avoir pris cette décision me fit un bien fou. Et je sentais qu'elle était la bonne personne pour moi. Nous avions prévu de nous voir une fois par semaine, tous les mardis à heure fixe.

Et les semaines passèrent, approchant dangereusement de Noël. Ce fut une période difficile pour moi, parce que les récents événements avec ma mère mirent à rude épreuve les projets de Bree et Cat. Tous les deux voulaient annuler leur séjour dans leur famille pour passer les fêtes avec moi, malgré mon refus systématique. Je les adorais tous les deux, mais je me serais sentie encore plus mal qu'ils annulent tout pour moi. Et puis, j'avais trouvé une parade : j'avais accepté de faire du dog-sitting chez une dame dans les beaux quartiers. Elle avait un appartement immense et elle avait besoin que quelqu'un garde son chien pendant dix jours parce qu'elle avait prévu son anniversaire de mariage avec son époux à New-York. Je gagnerais un bon salaire et j'aurais en plus accès à son appartement pendant dix jours. Si Bree se dit soulagé de savoir que je ne serais pas seul – à savoir avec Buddy, le golden retriever le plus adorable du monde – Cat quant à elle fut plus suspicieuse. Elle essaya de nombreuses fois de me tirer les vers du nez, en vain. Je campais sur mes positions.

Bree ne manqua pas de m'envoyer des milliers de photos – j'exagère à peine – de sa maison familiale, de lui avec sa mère, avec sa sœur, avec son frère, avec sa nièce. Je remarquai qu'il n'y avait pas de photo de lui avec son père jusqu'à la photo de famille. La ressemblance avec l'homme qui l'avait élevé était saisissante. Il avait le même visage doux, la forme de ses yeux et de sa bouche était la même. Il avait hérité d'un mélange entre les cheveux de son père et de sa mère, et son œil bleu avait la même teinte que ceux de sa mère. Ils ne pouvaient pas le renier, ni l'un ni l'autre. De ce qu'il m'avait dit, son père avait été moins incisif cette année, il soupçonnait Coleman, son frère aîné, d'avoir tapé du poing sur la table pendant Thanksgiving. Les choses n'étaient pas réparées à 100% mais, elles étaient en bonne voie et ça me remplit de joie pour lui. Moi, mes journées avaient été rythmées par les balades dans les bois avec Buddy, les bains pour lui enlever la boue dans laquelle il adorait se rouler, les films de Noël et des dizaines de plats préparés. Et franchement, c'était le bonheur.

La nouvelle année fut plus festive. Les parents de Buddy étaient rentrés la veille et j'avais rejoint Cat et Sage pour une soirée en boîte. Ce n'était pas mes sorties préférées mais Sage adorait ça et ne jurait que par ça pour la première nuit de l'année. Cat s'était faite entraînée par ma collègue, et au fond j'étais content de passer ce moment avec elles. On a dansé, bu, rit et parlé pendant des heures. Je me souviens à peine être rentrés chez nous, mais je me suis réveillé sur le canapé du salon, la bouche pâteuse alors qu'un abruti jouait de la perceuse dans mon cerveau. J'allumai mon téléphone pour voir l'heure passer à huit heures et je râlais qu'il était beaucoup trop tôt, mais il n'y avait pas de volets sur la fenêtre du séjour. J'attrapai une bouteille d'eau et composais le numéro de Bree, il était à peine minuit chez lui, c'était le bon moment pour lui souhaiter la bonne année.

— Hey, Handsome, décrocha-t-il d'un air joyeux alors que la musique cachait un peu sa voix.
— Hey, Love. Bonne année.
— Bonne année ! S'exclama-t-il en allant se mettre plus au calme. Pourquoi es-tu déjà debout ?
— J'aimerai te dire que j'ai mis un réveil pour te souhaiter la bonne année le premier mais, j'ai juste pas de volet ou de rideaux dans le salon.
— Pourquoi tu dors dans le salon.
— J'ai laissé mon lit à Sage hier soir, elle était déchirée.
— Tu es trop bon.
— Je sais, je sais. Et toi ça va ? La soirée est bonne ?
— Ça va, Coleman à invité des amis à lui et Bailey aussi. Ça fait longtemps que je n'avais pas passé autant de temps avec mon frère et ma sœur.
— Je pensais que tu serais déjà rentré à L.A, pour être honnête.
— Moi aussi, mais c'est agréable de les retrouver un peu. Et puis, faire la fête à L.A avec des inconnus qui se fichent que tu ne boives pas...
— T'es à combien de jour ?​​​​​​
— 42. Et j'ai pas envie de rechuter pour une connerie. Ici on me fout la paix.
— T'as raison, je suis fier de toi.
— Ça n'a pas été trop dur de quitter Buddy ?
— Une horreur, ce chien est si adorable. Je veux le même.
— Tu l'auras un jour. Promis.
— Ne fais pas de promesse que tu n'es pas sûr de pouvoir tenir.
— Celle-là, je m'y tiendrais !
— Quand est-ce qu'on se voit, Bree ?
— J'ai des prises à reprendre en janvier, mais j'ai imposé d'être dispo pendant quinze jours en février donc je devrais venir à ce moment-là. Ça ira, tu penses ?
— C'est parfait, je vais marquer les jours sur mon calendrier.
— T'es con.
— Allez, retourne t'amuser, je vais essayer de me rendormir. On s'appelle quand tu es rentré à L.A ?
— Avant j'espère.
— Quand tu veux. Je décrocherai toujours, tu le sais. 

LoveCon - T1 - Kieran [Premier Jet] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant