Chapitre 26 - Kieran.

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— Tu m'envoies à Chicago ? M'étonnai-je en observant mon patron à la recherche du moindre indice qui m'indique qu'il se fichait de moi.
— Ouais, Félix est blessé et ne peut pas s'en charger, Jeremiah ne peut pas partir parce qu'il doit gérer sa gosse et Oakley ne peut pas y aller seul. Et puis ça ne te fera pas de mal de découvrir un salon différent.

Je notais mentalement que j'étais quand même son dernier choix, qu'il n'avait pas pensé à moi de prime abords pour faire ce voyage.

— Et puis, vu la manière dont tu as géré Tucker sur la dernière édition, je me suis dit que tu pouvais te lancer sur le démarchage dans d'autres événements.
— Bah écoute, avec plaisir.
— Nous ferons un point avec Oak pour cibler ce que j'attends de vous et comment ça va se passer mais prenez vos billets et réservez vos chambres avant que les prix n'explosent le plafond.

Il était de notoriété publique que mon patron était une pince. Si nous pouvions faire le plus d'économies possibles, nous le faisions. Qu'il s'agisse de frais fixes dans nos bureaux ou d'investissement dans le salon, nous évitions au maximum les grosses dépenses. J'ai toujours pensé que c'était une connerie, mais je ne suis ni commercial ni entrepreneur alors je ne suis pas certain que mon avis soit constructif. C'est ce qui m'étonna encore plus dans le fait qu'il me choisisse moi pour aller à Chicago. Je comprenais que Jeremiah et Félix ne puissent pas s'y rendre mais, il aurait pu envoyer Sage. Elle avait le même poste que moi, et je ne doutais pas qu'elle aurait été bien plus efficace.

Lorsque je me rassis à mon bureau, elle me jeta un regard suspicieux et fronça le nez.

— Qu'est-ce qu'il y a ? La dernière fois que tu as fait cette tête en sortant du bureau de Graham, tu avais dû gérer le cul de Tucker tout le week-end.

Mon cœur se serre doucement dans ma poitrine, comme à chaque fois que quelqu'un mentionne Bree dans le bureau. Je ne peux pas leur en vouloir, ils ne sont pas au courant de la situation. Même Sage qui est la personne dont je suis le plus proche au travail n'a pas idée de ce qu'il s'est passé entre nous. Seule Cat est au courant, et c'est parce qu'elle vit avec moi.

— Kieran ?
— Ouais, pardon. Graham m'envoie à Chicago avec Oak.
— C'est plutôt bien non ?
— Oui, je ne comprends pas pourquoi moi mais je suis content.
— Je pense que c'est pour se faire pardonner de cette histoire de baby-sitting d'acteur. Il sait bien qu'il t'a mis à un poste qui n'était pas le tien et peut-être qu'il veut compenser ?
— J'en sais rien. T'es pas déçue qu'il ne t'ait pas choisie ?
— Si, mais tu le mérites bien et j'aurais d'autres occasions.

J'observe la jeune femme avec un léger sourire. Sous ses grands airs de femme forte et indépendante qui ne laisse personne lui marcher sur les pieds ou se mettre en travers de son chemin, Sage à un cœur énorme.

La journée se termine sur la réservation de nos billets d'avion et d'une chambre dans un hôtel plutôt luxueux non loin du palais des congrès. Je me donne à fond dans mon travail ces dernières semaines et je pense que Graham a vraiment compris que je n'étais pas qu'un pion qu'il pouvait placer où bon lui semblait, et que je pouvais réellement être un atout pour son entreprise. Alors je prends, pour une fois, sans me poser trop de questions.

***

L'atterrissage à Chicago m'émerveille. Je n'ai jamais réellement voyagé, j'ai dû faire mon passeport pour ce voyage. Je m'en veux de ne pas avoir négocié pour rentrer plus tard pour profiter un peu d'être à l'étranger pour visiter les lieux, mais je n'avais pas les moyens de prendre des chambres d'hôtels supplémentaires pour plusieurs jours.

La FAN EXPO de Chicago se tient toujours sur trois jours fin août et propose aux fans de découvrir des animations et des invités en rapport avec leurs points d'intérêt. Comme toutes les conventions américaines, elle est beaucoup plus basée sur la pop culture anglo-saxonne mais, depuis quelques années, des espaces accueillant des pop cultures asiatiques se font une place dans ce genre de salon. C'est un rêve pour moi, petit geek anglais, de pouvoir découvrir les conventions américaines dans toute leur splendeur.

Nous profitons de la première soirée à Chicago pour visiter un peu la ville, nous avons beau être au mois d'août, le vent est mordant et je suis content d'avoir pris une vieille veste en jean pour me protéger. Nous allons sur le Pier, découvrir le haricot géant, nous nous arrêtons dans un restaurant pour déguster une Deep dish pizza avant de retourner à l'hôtel. Le décalage horaire me casse un peu et nous devons nous lever pas trop tard le lendemain pour aller faire du démarchage sur le salon. Oak est commercial chez nous, il a pour consigne de visiter tous les exposants pour leur proposer de venir sur notre événement. Moi, je dois faire la même chose avec des bookeurs d'invités, des animations et des médias. J'ai aussi la consigne d'observer la manière dont ils gèrent leur partie logistique, du moins ce qui est visible en tant qu'intervenant professionnel. Et franchement, c'est pas quelque chose de simple, parce qu'il faudrait que j'infiltre leur commissariat général pour en apprendre plus. Alors je fais un premier tour, j'abandonne Oakley à un stand et on se met d'accord pour se retrouver pour déjeuner. Ce sera plus simple que de le suivre toute la journée.

Je slalome entre les cosplayeurs, appréciant la qualité de certains costumes, tout en prenant mes marques. C'est un hall immense dans lequel on retrouve des dizaines et des dizaines de marchands qui sont là pour faire du chiffre. Parfois, ils ne sont pas très honnêtes et leurs produits viennent de sites chinois pour qu'ils les vendent trois ou quatre fois plus cher, c'est souvent pour ça que j'évite les soi-disant "professionnels" sur les événements et que je me contente de dépenser mon argent chez des petits créateurs ou des amateurs. Au moins ça soutient une vraie personne.

C'est au détour d'une allée que je le vois.
Que je me fige.
Mon cœur a cessé de battre un instant et je reste immobile, le regard figé sur l'affiche géante sur laquelle son visage est imprimé. Il me surplombe de toute sa hauteur et je me sens petit, minuscule à côté de ce panneau. Je serre les poings et mon ventre de tord de me savoir au même endroit que lui sans que ça n'apporte rien. Je sors mon téléphone et ouvert la conversation Messenger que je tiens avec Sage et dont le dernier message me souhaite un « Bon voyage ✨ » qui m'avait laissé perplexe. Je comprends mieux le fait qu'elle n'ait pas demandé à venir, qu'elle se soit réjouie pour moi.

« Tu savais ! » lui envoyé-je en trépignant sur place, l'ongle de mon pouce coincé entre mes dents.

Les petites bulles qui me signifient qu'elle est en train de répondre s'agitent quelques secondes avant que je ne reçoive sa réponse.

« De quoi parle-t-on, je sais beaucoup de choses. »
« Ne joue pas à ce petit jeu-là ! Tu savais que Bree serait là. »
« Ah, ça. Oui, je me suis dit que ça t'amuserait peut-être de le croiser en salle pro. »
« T'es une sorcière. »
« Merci, je prends ça comme un compliment. »
« Ça n'en était pas un. »
« Choisi mieux tes insultes alors. Allez Kieran, tu ne dupes personne. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre vous mais ça ne peut qu'être positif de traîner dans ce salon. »

Je verrouille mon téléphone dans un geste hargneux et je tourne le dos au poster géant de Bree qui flotte dans les airs aux côtés d'autres invités de marque. J'inspire doucement, les poings serrés, et je ferme les yeux.

Le salon est immense, tu n'as pas accès aux backstages, il n'y a pas de raison qu'il soit sur ton chemin. Tout va bien se passer et tu rentreras à Londres comme tu en es parti. Tranquillement.

Je me concentre sur mes tâches et passe la matinée à démarcher toutes les animations qui me semblent intéressantes et qui serait partante pour venir à Londres, ou qui ont des bureaux également au Royaume-Unis. Je finis la matinée avec une quantité impressionnante de contacts et je suis plutôt fier de moi. Je dois m'occuper de la partie média mais j'ai pris en photo suffisamment de moments où les staffs géraient la logistique, ou de système intéressant pour que ce soit suffisant. J'avais prévu de travailler très dur la première journée pour pouvoir être plus relax le samedi et vraiment profiter le dimanche. Il était treize heures passé quand Oakley me demanda de le rejoindre dans l'espace presse afin qu'on puisse mettre en commun nos trouvailles.

J'avais presque réussi a oublié la présence de Bree lorsque je croisais ses pupilles si particulières. Elles discutaient chaleureusement avec une journaliste une seconde plus tôt avant de s'assombrir en me voyant. Je me figeai un instant, les battements de mon cœur s'emballant à sa vue, avant de me rappeler que je n'avais rien à me reprocher. Je me dirigeais dans sa direction, la tête haute, et le dépassais sans un mot, les mâchoires serrées, pour me réfugier dans la salle de presse. Il n'avait pas le droit d'être en colère contre moi, il n'avait pas le droit de me regarder avec toute cette haine dirigée contre moi.

Oakley m'accueillit avec un grand sourire. J'enviais cet homme, il était tout ce que je n'étais pas. Grand, musclé, ses cheveux blond platine étaient parfaitement ordonnés derrière ses oreilles malgré leur longueur et il portait les costumes comme une deuxième peau. En plus de ça, c'était un type absolument adorable qui se souciait vraiment des personnes avec lesquelles il discutait, ce qui faisait de lui un excellent commercial. J'aurais pu craquer pour lui à une époque, mais il n'était devenu qu'un bon ami avec lequel j'aimais parfois aller boire une bière.

— Alors, la pêche a été bonne ? Me demanda-t-il avec un petit sourire.
— Plutôt oui, j'ai bien une vingtaine de contacts qui seraient partants en fonction des conditions. Et autant d'idées qu'il faut que je creuse en arrivant à Londres pour voir si on n'a pas la même chose localement. Et toi ?
— Beaucoup de refus, Londres est trop loin pour eux. Mais j'ai réussi à convaincre quelques grosses marques qu'un rendez-vous en visio pourrait les convaincre.
— Trop bien ! C'est génial Oak.
— Est-ce que ça va ?
— Oui, pourquoi ? m'étonnai-je.
— Sage m'a envoyé un message et il vient de sortir d'ici alors...
— Mais qu'elle s'occupe de ses affaires, for god's sakes1.

Oak sourit légèrement, comme s'il comprenait tout en un coup d'œil. C'est pour ça que j'apprécie cet homme, parce qu'il ne se moque pas, il ne cherche pas à détendre. Il est simplement là, il propose son aide et tu en fais ce que tu veux.

— Désolé. C'est gentil de demander., mais tout va bien. C'était juste un job.
— Comme tu veux. Tu as envie de manger quelque chose ?
— Je prendrais bien des onigiris, ça doit pouvoir se trouver.

Je souris légèrement à mon collègue avant qu'il ramasse ses affaires pour que nous quittions la pièce. J'attends, les mains dans les poches, et je ressasse. Je n'allais pas lui confier que j'ai l'impression que mon cœur n'attend qu'un mouvement brusque pour exploser, que la boule que j'ai dans la gorge m'empêchera probablement de manger quoi que ce soit, que mes mains tremblent dans le fond de mes poches et que mon pouce est complètement rongé. Je ne peux pas lui dire tout ça, parce que j'ai beau apprécier Oakley Griffiths de tout mon cœur, il reste quelqu'un avec qui je travaille et qui n'a pas à subir mes mésaventures amoureuses. Bien qu'amoureuse soit un bien grand mot pour un baiser et deux discussions.

L'après-midi continue dans la même ambiance, nous restons en groupe cette fois et nous aidons mutuellement sur les différents sujets. C'est toujours impressionnant de le voir discuter avec les gens, exercer avec brio ce métier qu'il aime tant. Je souris parfois, enviant sa verve et sa manière d'apprécier la conversation des autres même quand elle est insignifiante. Les heures s'égrènent rapidement et je commence à fatiguer. Il est dix-sept heures lorsque je préviens Oakley que je retourne en salle presse pour grignoter quelque chose et prendre un café.

Je n'aime pas vraiment le café mais en salon, c'est quand même efficace pour me tenir éveillé et réchauffé. J'entre dans la pièce de manière assez détendue et me dirige vers le buffet pour attraper un mini-muffin qui m'appelle depuis le matin même, et c'est à cet instant précis que j'entends sa voix.

— Je préfère me concentrer sur mon travail vous savez, les relations amoureuses sont un frein à ma concentration.

Je prends la remarque en plein cœur et je me tourne vers l'origine de sa voix. Il est installé nonchalamment dans un fauteuil, faisant face à une journaliste brune aux traits sévères qui prend notre religieusement de tout ce qui sort de sa bouche. Son regard croise le mien, l'orbe bleu me défiant de venir le voir, le vert m'intimant de ne jamais plus lui parler. Le mélange m'arrache des frissons, et je me détourne immédiatement. Je repose le muffin, la faim m'ayant quitté instantanément, et je me contente de récupérer mon café pour aller m'installer dans un coin de la pièce.

La colère grandie peu à peu en moi alors que je l'observe continuer son petit manège avec la journaliste. J'ai du mal à comprendre pourquoi je me prends des balles perdues encore maintenant alors qu'il a eu sa vengeance, qu'il a réussi à me faire suffisamment baisser ma garde pour m'écraser après ça.

Je le déteste.
Mais je n'arrive pas à comprendre. Mon estomac se tord dans tous les sens alors que j'essaie de saisir pourquoi on en est arrivé à ce point. Il aurait au moins pu être honnête dans cette histoire et m'envoyer chier par message histoire que je sache à quoi m'attendre. Malgré tout, la colère n'est pas seule à se faire une place dans mes émotions, la tristesse m'envahie bien plus. Parce que l'espace de quelques instants j'avais entrevu la possibilité d'une relation avec Bree. Et que je me suis à nouveau retrouvé dans la position de celui qui est en demande et qu'on laisse de côté. Et ça fait mal.

Si son objectif était de me montrer à quel point c'était douloureux de se faire ghoster, alors Bree a réussi son coup.

1 : Pour l'amour de Dieu.

LoveCon - T1 - Kieran [Premier Jet] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant