Chapitre 19 - Kieran.

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J'aurais dû prévenir Cat de notre arrivée, je sens qu'elle va me le faire payer d'une manière ou d'une autre. J'ai vu sur son visage que notre arrivée l'avait décontenancée et, Cat déteste ça. Elle n'aime pas vraiment les surprises qui ne sont pas dans sa zone de confort. Sauf qu'amener un acteur célèbre dans son petit Coffee Shop, ça a dû lui rajouter une dose de stress dont elle n'avait pas conscience. Et puis, il y a la part d'elle qui est la meilleure amie du monde. Qui, malgré la potentielle pub que ça pourrait lui faire et l'admiration qu'elle pouvait avoir pour Bree, se souvient de notre dernière conversation et prendra toujours mon côté plutôt que de se montrer ouverte. La plupart du temps, ça n'est pas nécessaire, mais je ne sais pas ce que j'aurais fait sans elle à certains moments.

Je la regarde quitter l'arrière-salle et je grimace légèrement à l'attention de Bree.

— Désolée, elle est légèrement protectrice.
— Légèrement, hein ? Si elle avait pu m'arracher la tête, elle l'aurait fait, ricana-t-il en soulevant le couvercle de la théière pour humer le thé.
— Disons qu'elle connaît un peu notre passif.
— Je n'ai pas dû t'occuper assez pour que tu aies eu le temps de l'appeler pour te plaindre.
— Comment tu sais que je l'ai appelé ?
— Je ne le savais pas, prêcher le faux pour savoir le vrai est mon passe-temps favori !

Je levais les yeux au ciel avec petit sourire sur les lèvres. Le moment qu'on passa ici semblait suspendu dans le temps. C'était en partie dû au décor du café de mon amie. Ancré dans une ambiance vintage et avec une odeur de vieux livres, son établissement était typique des vieux cafés à l'anglaise. On ne savait pas où poser les yeux tellement il y avait de bric-à-brac dans tous les coins, mais c'était décoré avec goût et il n'y avait pas la moindre faute dans cette décoration. Lorsque j'eus fini mon chocolat, j'informai Bree que j'allais aller voir Cat en cuisine mais qu'il pouvait découvrir la pièce s'il le souhaitait.

Lorsque je poussais la porte de la minuscule cuisine où mon amie dressait les assiettes, elle était adossée au comptoir, les bras croisés sur la poitrine et elle me fixait. J'avais l'impression qu'elle n'attendait que moi. Un œil sur ma montre m'indiqua que l'établissement était officiellement fermé depuis une bonne demi-heure et je grimaçais.

— Hey, désolée de te retenir.
— Kieran, commença-t-elle d'un air pincé, tu as conscience que ça n'est pas le principal problème ?
— Je sais, pardon de l'avoir amené à l'improviste. Mais je n'avais pas d'autre idée d'endroit où nous serions au calme.
— Tu aurais pu me prévenir !
— Surprise ?
— Je ne comprends pas, je pensais qu'il était imbuvable et que tu ne voulais pas le supporter plus que de raison !
— Je sais, je sais. Mais les choses ont changé.
— Tu lui as parlé alors ?
— Disons que c'est lui qui a amorcé la conversation. D'une manière ou d'une autre, il a découvert que j'étais son correspondant virtuel il y a quelques années.
— Tu ne lui as pas dit ?
— Non, il a vu mon profil Instagram sur mon téléphone.
— Il a dû être ravi.
— Autant que tu puisses l'imaginer. Ce qui explique le revirement de comportement de samedi soir et de dimanche.
— Ça n'excuse rien.
— Tu as raison.
— Et puis il a dû en voir d'autres.
— C'est ce que je pensais aussi, mais je crois que je l'ai blessé plus que je ne le pensais en disparaissant à l'époque. Du moins, c'est ce qu'il semble sous-entendre.
— Ce n'est pas vraiment étonnant non plus, tu sais.
— Tu trouves ?
— A sa place tu aurais remis toute ton existence en question.
— Mais je ne suis pas un acteur célèbre moi !
— Et ça change quelque chose ? C'est un être humain normalement constitué avec des émotions et des sentiments.
— Je sais bien.
— Tu penses que tu n'étais pas assez bien pour avoir l'importance qu'il t'accordait, c'est ça ?
— Peut-être, murmurai-je en détournant le regard tandis qu'elle soupirait lourdement.

Cat franchit les quelques pas qui nous séparaient pour me prendre dans ses bras. Nous n'étions pas particulièrement tactiles l'un envers l'autre mais elle savait particulièrement bien faire des câlins aux moments opportuns. Je lui rendis son étreinte et elle recula légèrement.

— Je ne vais pas te faire à nouveau un Pep Talk sur le fait que tu vaux le coup et que tu mérites tout ce qu'il y a de mieux au monde puisque ça entre par une oreille pour sortir de l'autre côté, mais je n'en pense pas moins.
— Tu es la meilleure.
— Je sais. Bon par contre tu diras à ton petit copain de ne pas poster mon adresse sur ses réseaux. Je n'ai pas envie d'avoir dix heures de queues devant la boutique à toute heure du jour et de la nuit.
— Ça n'était pas prévu mais je transmettrais. Ça ne te ferait pas du bien d'avoir plus de clients ?
— Ma boutique marche très bien Kieran, si toutes ses groupies se pointaient ici dans l'espoir de l'apercevoir, mes clients actuels disparaîtraient et je n'aurais pas la place de les accueillir. Donc non, sans façon. Mais merci d'y avoir pensé.
— Pas de souci, tu m'enverras la facture au bureau pour que je me fasse rembourser s'il te plaît.
— Bien sûr.

Lorsque je retournai jusqu'à l'arrière-salle, je fus surpris de découvrir Bree debout devant une des bibliothèques au fond de la pièce, le doigt posé avec délicatesse sur la tranche des livres et l'air absorbé. Comme s'il cherchait quelque chose en particulier. Et je dois avouer que cette scène s'ajouta dans la boîte à souvenir des moments doux avec Bree que nous avions partagés depuis la veille. C'est peut-être juste moi, mais un homme qui aime lire et qui aime les livres autant que moi me fait un effet indescriptible. Je reste sur le seuil quelques secondes pour m'imprégner de cette image avant d'avancer doucement pour me rapprocher de lui. Il me voit venir et me sourit, et je me demande un instant comment je vais faire pour reprendre le cours de ma vie sans lui. C'est bête parce qu'on a vraiment passé moins de vingt-quatre heures ensemble mais, j'y ai retrouvé tout ce qui construisait notre relation il y a quelques années, et plus encore. Et ce sourire qu'il me sert à ce moment-là, il me fait fondre, tout simplement. J'essaie de ne pas y accorder plus d'importance que ça n'est supposé en avoir et je m'arrête près de lui.

— Je cherchai un exemplaire de mon roman préféré mais je n'ai pas saisi le principe de classement.
— C'est pourtant par ordre alphabétique, normalement. Tu cherches quoi ?
Robinson Crusoë.
— D, donc.

Je me tournai un peu dans la pièce pour identifier l'étagère correspondante avant de m'en approcher. Je sentis Bree me suivre, et je me rendis compte de sa présence dans la pièce. Il était partout. Son odeur se mélangeait à celle des livres et du thé, sa chaleur irradiait alors qu'il approchait de moi et tout mon être fut bien trop conscient de sa présence. Son bras frôlait le mien alors qu'il analysait l'étagère la plus proche, et je ne pus empêcher mon corps de frissonner complètement, je fermai les yeux, juste un instant, pour reprendre contenance. La pièce n'était pas étroite, elle faisait facilement 50m², alors pourquoi avais-je l'impression d'être enfermé avec lui dans un placard à balais ? Avais-je envie d'être enfermé avec lui dans un placard à balais ? Si la scène aurait pu paraître romantique dans n'importe lequel des romans que je lisais, j'étais à peu près sûr de ne pas apprécier l'étroitesse du lieu. Néanmoins, un lieu exigu dans lequel nous ne serions que tous les deux eu tôt fait de réveiller en moins des sensations que j'avais tenté de faire taire il y a bien longtemps déjà.

J'essayais de garder mon calme et me concentrais sur ma tâche, elle ne fut pas si facile. Parce que, si Cat avait tout classé par ordre alphabétique à son arrivée, les clients déplaçaient parfois certains livres et elle ne repassait pas derrière. Quand on lui posait la question, elle répondait que ça faisait partie du charme de la boutique. Alors je mis bien dix bonnes minutes avant de mettre la main sur un exemplaire d'occasion du roman de Daniel Defoe. Je me tournai vers lui, nos bras se frôlant.

— Et voilà.
— Merci.
— Comment se fait-il que tu cherches ce roman en particulier ?
— Je ne sais pas, je ne suis pas un grand lecteur mais je sais que celui-là m'a marqué quand j'étais jeune. Peut-être que c'était à cause de l'aventure ou de la résilience, mais du coups j'ai eu envie de le relire avec des yeux d'adultes.
— Je vois, c'est une bonne idée.
— Et toi, c'était quoi le livre de ton enfance ?
— Oh, j'ai commencé à lire avec la même chose que tout le monde à l'époque : Harry Potter. Mais le livre qui m'a vraiment marqué c'était plus tard, ça s'appelle Les Chroniques de San Francisco.
— Oh, il y a eu une série télé dessus non ?
— Il y en a eu plusieurs, mais le livre m'a aidé à accepter qui j'étais. C'est une œuvre qui prône l'acceptation de soi et l'ouverture d'esprit et elle est magnifique, vraiment. La série télé est bien aussi, mais je ne peux pas comparer ça au livre.
— Comme Harry Potter, finalement, rit-il doucement.
— Ouais, après je suis complètement détaché de la saga maintenant.
— Ah bon ? Je croyais qu'on tombait dedans quand on était petits et qu'on n'en sortait plus ?
— C'était avant que l'autrice ne soit une personne absolument détestable.
— Détestable ?
— Elle est ouvertement transphobe, du coup j'ai pris mes distances avec elle, puis avec son merchandising petit à petit, et maintenant même son univers me rebute un peu.
— Ah oui j'ai vu passé un truc sur le sujet. C'est nul qu'un univers qui avait l'air si inclusif soit finalement rattrapé par la petitesse d'esprit de son autrice.
— C'est ça. C'est douloureux d'avoir réussi à grandir grâce à elle et de se rendre compte qu'elle n'est pas aussi bienveillante qu'on le pensait. Enfin, bref. Passons.

Je souris tristement. C'est vraiment un sujet qui me touche de plus en plus, et c'est idiot et étrange. J'ai envie de soutenir la cause, de ne pas suivre de personnalités qui sont touchées par des polémiques qu'ils ont causées eux-mêmes. Et en même temps, parfois, l'actualité est tellement sombre et morne qu'on a juste envie de retourner en enfance, de revenir à des univers qui nous rassuraient quand on grandissait. Et arrêter de soutenir cette personne, ça n'est pas toujours compatible.

— On devrait rentrer, Cat aurait dû fermer il y a bien quarante-cinq minutes maintenant.
— Il fallait me le dire, on serait partis plus tôt !
— Elle nous aurait mis dehors si ça l'avait gênée, pas de panique. Telle que je la connais, ça a dû l'obliger à faire sa comptabilité, c'est pas plus mal. Mais je ne veux pas abuser.
— Aucun souci, allons-y.

Après avoir récupéré nos affaires, on se dirige vers la salle principale. En nous voyant arriver, Cat se lève pour se glisser derrière la caisse.

— Ca a été ?
— Très bien, répondit Bree. Le scone était très bon et j'ai beaucoup aimé le thé, qu'est-ce que c'était ?
— Une camomille.
— Tu lui as vraiment donné une camomille ? M'exclamai-je d'un air presque outré.
— Oui, vu l'heure qu'il est je ne sers plus de thé et il n'a même pas vu la différence.
— Cat ! C'est vraiment pas cool de ta part de ne pas lui avoir fait goûter un vrai thé.
— Elle n'a pas tort, je n'aurais probablement pas fait la différence entre une camomille et autre chose.
— C'est ça, d'autant que mon thé d'après-midi est un thé vert au jasmin et que tu sais pertinemment que je ne me serais pas permis une chose pareille.

J'eus un soupir soulagé mais la fusillais quand même du regard. Elle me servit un immense sourire qui me fit lever les yeux au ciel.

— T'es pas croyable.
— C'est pour ça que tu m'aimes.
— Permets-moi d'en douter.
— Doute, doute. Mais paie-moi, ça fera 26£.
— C'est pour moi ! Et je vais prendre ce livre aussi, m'interrompit Bree en lui présentant l'ouvrage qu'il avait dans les mains.
— Avec plaisir, ça fera donc 32£.
Il régla et elle lui glissa l'objet dans une petite enveloppe kraft.
— Merci, vous ne livrez pas aux États-Unis par hasard ? Demanda-t-il en riant.
— Non, mais je suis certaine que vous pouvez trouver une petite librairie de quartier à Los Angeles. Soutenez vos commerces locaux, ils effectuent leur travail aussi bien que moi, j'en suis persuadée.
— C'est vrai, vous avez raison.
— J'ai toujours raison, demandez à Kieran.
— Ce fut un plaisir de vous rencontrer Cat, j'espère vous recroiser un jour.
— Je ne sais pas encore si c'était un plaisir, on en reparlera à l'avenir. Bonne soirée Messieurs.

J'embrassais Cat sur la joue avant de quitter le café. La pluie avait cessé et les températures étaient même légèrement remontées. Sur le chemin de l'hôtel, nous avons décidé du programme de la soirée : restes de repas indien et soirée cinéma. Je l'avais emmené dans mon monde quelques heures, c'était à moi de le laisser m'emmener dans le sien un temps. Et ça n'était pas pour me déplaire. Même si être enfermé dans la même chambre qu'Aubrey pour regarder un film m'angoissait un peu, je devais avouer que j'étais heureux de la tournure des événements.

Si on m'avait dit dimanche soir que deux jours plus tard je serais à deux doigts de passer la soirée à regarder Star Wars avec cet acteur imbu de lui-même qui m'avait fait passer un week-end insupportable, je vous aurais probablement ri au nez en vous disant qu'il était hors de question que je gâche ma soirée avec lui. Pourtant, notre mise au clair de lundi matin a été bénéfique. Et même si je refuse de prendre quoi que ce soit pour acquis, je suis plutôt content du résultat. 

LoveCon - T1 - Kieran [Premier Jet] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant