Chapitre 19

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Elena

La nouvelle a eu l'effet d'une bombe. Le seul témoin qui aurait pu faire plonger l'homme qui m'a privée de ma sœur n'est plus et par ma faute. Turner s'est suicidée la veille, dans sa chambre de protection de témoin. Wayce n'a pas voulu me dire comment mais quand j'ai insisté, il a fini par céder : elle avait avalé les plumes qu'elle chérissait tant et que je lui avais laissées contre ses aveux. En proie à une crise de nerf, j'ai raccroché et me suis effondrée sur le sol de mon salon. Birdman en cavale, sa seule survivante maintenant décédée, j'ai l'insupportable impression d'être revenue au point de départ. Même lorsque je m'approche de la vérité, je ne fais en fait que m'éloigner un peu plus d'elle.

Célia n'était pas parmi les corps retrouvés chez Allister. Lui seul pourrait avouer où elle se trouvait. Se pourrait-il qu'elle ait fui comme Turner et qu'elle se cache ? Wayce m'avait laissé sous-entendre qu'elle ait pu ne pas être victime de ce sociopathe. Si c'était le cas, qui d'autre que lui aurait pu me l'enlever ? Je repense aux propos de Ghost. Aurait-on réellement fait fausse route depuis le début ? Je ne me souviens pas exactement comment j'ai fini ici, devant la maison abandonnée où tout a commencé. Mais c'est le seul endroit apte à apporter des réponses aux questions qui me tourmentent. Je prends alors une profonde inspiration et ferme les yeux avant de me laisser submerger par les souvenirs. 

Sacramento – 29 septembre 2012

-Tu marches trop vite, Célia !

Essoufflée, je tente tant bien que mal de suivre les pas pressés de ma sœur.

-Allez P'tit Colibri, dépêche-toi ou on va arriver après le coucher du soleil !

-Tu es sûre que c'est par là ?

-Certaine, je l'ai vue en rentrant du lycée l'autre jour. Tiens, regarde, elle est là !

Je regarde dans la direction pointée par son index et j'aperçois en effet la carcasse d'une maison en pierre grise à moitié dissimulée par des pins. Ma sœur s'élance, moi sur ses talons et nous nous postons devant ce spectacle aussi bien sinistre que fascinant.

-Tu penses qu'elle appartenait à qui ?

-À une famille d'ermites, plaisante Célia.

-Regarde, il y a encore de la vaisselle ! m'exclamé-je en me dirigeant vers la cuisine.

-Va voir en haut, je vais voir dans le salon !

Je gravis les escaliers d'un pas prudent. Le bois craque sous mes pieds et mon cœur palpite à l'idée que les marches cèdent sous mon poids mais je parviens finalement en haut sans encombre. Un couloir s'étend devant moi donnant sur trois portes restées entrouvertes. Je pousse la première et découvre une chambre d'enfants avec des jouets encore éparpillés sur le sol et je me demande un moment ce qui a pu provoquer le départ précipité de toute une famille.

-Célia, viens voir ! Il y a plein de jouets ici !

Comme ma sœur ne me rejoint pas, je la rappelle mais aucune réponse. Il me semble entendre au dehors des pas précipités fouler des feuilles mortes puis la porte coulissante d'un véhicule s'ouvrir et se fermer brutalement. Je me précipite en bas et c'est là que je le vois : un fourgon blanc démarrer en trombe et s'éloigner de moi. Je ne comprends pas tout de suite ce qui se passe mais comme je crie toujours le nom de Célia et qu'elle ne me répond pas, je prends soudain conscience de ce qui se passe. Je me mets à courir derrière le véhicule en l'appelant mais le véhicule roule beaucoup trop vite et emmène ma sœur loin de moi.

Les larmes perlant sur mes joues, je revis la scène qui a basculé ma vie. Mes propres cris me sortent de ma torpeur et je réalise que je suis agenouillée sur le sol terreux et humide qui tapit le domaine de la maison abandonnée. Mon ventre se tord de douleur et mon souffle se coupe tandis que je cède à une nouvelle crise de désespoir. Ce sociopathe me l'a arrachée, ma sœur, mon sang, ma chair, ma moitié, et dieu sait ce qu'il a pu lui faire subir. Il a disparu sans laisser de trace et les chances de le retrouver sont maintenant réduites à zéro.

Je hurle de rage en repensant à Karen Turner, la seule témoin qui aurait pu m'aider à le retrouver, morte à cause de moi. Je me déteste, j'aurai préféré qu'il me prenne moi. Je donnerai tout pour ne pas avoir monté ces marches. Elle n'aurait pas disparu si j'étais restée auprès d'elle. Mes yeux sont embués de larmes, si bien que je ne vois pas tout de suite la silhouette de Wayce s'approcher de moi. Il s'agenouille devant moi, sans un mot, comme dans l'attente d'une réaction de ma part mais je n'ai pas la force de lui parler, je n'ai même pas la force de le regarder. Je sens ses mains m'enlacer et je me laisse alors complètement aller contre son torse. Son étreinte me réchauffe et contre toute attente, mes sanglots finissent par se tarir. Il me relève le menton et me fixe de ses yeux empathiques.

-Je vais la retrouver, Elena, je te le promets.

J'ai envie de le remercier, de lui dire à quel point ses efforts comptent pour moi. Mes yeux fixent une seconde ses lèvres, elles sont si charnues. J'ai comme une envie de les goûter. Lui ne bouge pas. Je me décide à faire le premier pas et viens les effleurer du bout de mes lèvres. Comme il me rend son baiser, je l'embrasse avec plus d'ardeur puis nos langues se percutent. Son haleine chaude me transcende, sa bouche me dévore. C'est tellement bon... Puis le visage masqué de mon stalker me revient comme un flash et une vague de culpabilité me submerge. Pourquoi ai-je l'impression de le tromper ? Et s'il nous voyait en ce moment-même et qu'il s'en prenait à lui ? Je ne peux pas le permettre, il faut que je mette fin à ce baiser, aussi bon soit-il.

Intrusion [Dark romance stalker]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant