Je sais

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Je dors d'une nuit sans rêve, comme absent une simple minute.
Ouvrant mes yeux voilés de lumière, m'éveillant avec ce sentiment amer, qu'avec la nuit elle se serait envolée, laissant mes bras l'espérer et glisser comme des mots sur le papier.
De mes draps elle s'est évaporée, ne laissant derrière elle qu'un subtil parfum ambré et deux cartes semblables à celles que j'ai déjà.
Je m'assois sur le lit, je souri, je pète la forme.
Café, rasage et habillage...Je suis prêt, mais prêt pour quoi ? Allons au bureau nous verrons bien.
Sur le chemin je me perds, volontairement, j'erre dans les rues, appelé par un parfum, enchanté par une mélodie, tous mes sens s'enivrent des stimuli environnants comme découvrant le matin d'un nouveau monde.
Le soleil me caresse le visage, les bruits de pas, les voix, le chant des oiseaux se mêlent en une mélopée faisant louange à la vie.
Tout est prétexte à oublier le temps.
C'est la matinée bien passé que j'arrive finalement au travail.
Quelques regards réprobateurs me sont lancés, mais personne ne dit rien, tout le monde s'en fout, t'en mieux je m'en fous aussi.
Je m'assois à mon bureau et j'ai la désagréable sensation que tout m'est étranger autour, comme un reflex j'allume mon ordinateur.
Toutes les données défilent sur mon écran quand tout à coup je me rends compte que je n'y comprends strictement rien, les mots et les chiffres se mêlent dans un indémêlable sac de nœuds, un brouhaha mathématique insupportable pour mon cerveau.
Je glisse dans un sentiment effrayant de malaise, comme si toute ma vie était un mensonge et que je n'arrive plus à y croire même en le voulant très fort, tout ce qui à mes yeux avait un sens se perd maintenant dans ma mémoire, je sombre dans une folie consciente, j'ai besoin d'un point de repère auquel m'accrocher vite.
Prostré sur ma chaise j'extirpe les lames de tarots de la poche intérieure de ma veste comme on retire un couteau de sa poitrine, je les fixe ... et doucement elles prennent un sens à mes yeux après le zéro. J'ai maintenant deux autres cartes.
Sur l'une on peut lire :
1. le bateleur - je suis
En son milieu un œil ouvert est représenté entouré d'un cercle et sur l'autre,
2. la papesse - je sens
Un œil fermé y est représenté toujours cerclé, les extrémités de la paupière se posent sur son diamètre et sont marquées de deux points dorés. 
Je suis, je sens ...
Je le suis, je le sens ...
A peine ces mots sortis de ma bouche, il se produit une chose étrange, le temps prend une courbe et ralenti légèrement.
Les choses que l'on devinait deviennent évidentes, l'état profond des gens, leurs bonheurs et leurs malheurs, leurs pensées et leurs désirs  les plus secrets, toute cette comédie m'apparaît alors sous-titrée. La trame du jeu des acteurs et des metteurs en scène apparaît alors au grand jour, je les observe silencieusement, documentaliste d'un safari qui a pour sujet ma vie, mon monde.
Les metteurs en scène utilisent stratégies et paraphrases préparées tant dis que les acteurs improvisent leurs rôles respectifs surnageant en coulant les autres dans ce casting perpétuel qu'est leur vie.
Derrière les rôles principaux, je remarque bientôt les figurants au même titre que le décor, ils ne décident pas du fil conducteur de l'action et leurs vies peut être bousculées par un effet de mode, relooking, restructuration, ils sont pourtant insouciants, vont et viennent sans se préoccuper du scripte hiérarchique qui dirige le moindre de leurs faits.
Qui suis-je dans tout cela, acteur, metteur en scène, non ce serait trop facile. Une peur vient m'effleurer, et si j'étais figurant, je suis pris de sueurs froides à cette simple idée, non je le refuse.
J'envoie voler d'un geste clavier, stylos, feuilles et agrafeuse. Les têtes se lèvent au dessus des bureaux, le regard désabusé, je pousse alors un cri effrayant qui sort du plus profond de mes tripes, un cri animal, tout le monde se rassois, un vent de chuchotement se met à parcourir la salle tel une nuée de criquets s'abattant sur la jungle, je me lève et tape des deux mains sur la table, le bruit qui se répand précède un long silence. Je me fais peur à moi-même, je serre les dents et m'enfuis du bureau en claquant la porte, un couloir, un autre couloir puis l'entrée de l'ascenseur. Là, je tambourine à la porte comme un appel au secours mais rien, mon regard se tourne à droite et à gauche, je fuis par l'escalier, à toutes jambes tel une balle de flipper cloîtrée dans ce dédale clos. En descente diagonal vers le sol, rebondissant contre les murs parcourant la rambarde dernier fil d'Ariane vers la sortie, vers la vie, la lumière.

L'angélus Où les histoires vivent. Découvrez maintenant