Un autre flash, puis un autre, les ondes se succèdent et s'accélèrent me poussant hors de cet état second. Plaqué au sol, je sens la terre sur mon visage et sous mes mains, de la terre... ?
Où suis-je ? J'agrippe une poignée pleine de mousse et d'aiguilles de pins et la porte à mon nez, c'est bien l'odeur des sapins, je suis en pleine forêt.
J'essai de me relever tant bien que mal, mes os craquent, mes muscles sont endoloris. Je lève la tête pour contempler les environs : il fait nuit pourtant la lune pleine offre à ce tableau étrange une lumière spectrale qui me permet de distinguer le moindre des détails qui m'entourent. Je crois que c'est encore plus effrayant, le moindre mouvement, la moindre présence, le moindre insecte qui entre dans mon monde me perturbe. La peur me prend, froide et solitaire, elle s'immisce entre ma peau et mes vêtements, quand un bruit éloigné me sort de ma torpeur, une musique plus précisément, les échos de cette fête non loin de là m'appellent.
Je me faufile entre les arbres, m'écorche les mains à leurs troncs rugueux, j'écarte les branches, me débat avec la nature et me retrouve à quatre pattes. J'avance malgré tout, une lumière danse devant mes yeux me motivant à aller plus vite, je rampe et me glisse tendant de tout son long mon corps, je m'extirpe de cette gangue maternelle.
Je ne peux en croire mes yeux, là devant moi se dresse un village, un pittoresque petit village, on pourrait presque dire quelque maisons parsemées comme les dents d'un vieillard autour d'une place où brûle un feu. Des gens en liesse, certains dansant la gigue, riant, buvant tout autour du brasier bruissant et crépitant de toutes ses flammes.
En contre bas des hommes discutent le godet à la main, à peine dérangé par ma présence, je me lève le cœur battant, j'avance sans trop prendre garde et le sol se dérobe sous mes pieds. Je glisse et roule jusqu'au pied de la butte. Tout le beau monde s'écartant sur mon passage et riant à gorge déployée. Vu leur fou rire je pense avoir fais une entrée assez remarqué mais ils ne se soucient guère de mon identité au contraire l'un d'entre eux vient vers moi et m'offre l'accolade ainsi qu'un verre de ce breuvage qu'ils ingurgitent par tonneau. Après quelques mots d'un dialecte incompréhensible, l'inconnu me pousse vers la fête. Tout le monde tourne et danse autour du feu, complètement perdu, bousculé, mené par la frénésie de cette ronde, je lève mon verre et bois une gorgé, l'alcool brut me tapisse la gorge et glisse en moi insidieusement tel un reptile dans mes entrailles, les visages se succèdent autour de moi, les rires et les cris les font valser et la boisson fait le reste.
J'ai le vertige, je jette ma tasse au sol tenant ma tête entre mes mains, histoire de reprendre le contrôle de mes esprits, tout se ralentit la foule s'écarte et quand elle lève les yeux vers moi je sais qu'elle est venue à mon secours.
C'est mon ange, or elle est plus belle que jamais, la lueur des torches se reflétant dans ses yeux, ses cheveux cuivrés sur sa peau diaphane, elle avance cérémonieusement droite et majestueuse. Son regard balaye la scène, subjugué par l'apparition de cette reine, le peuple s'écarte, comme possédé par l'œil attentif d'une mère sur ses enfants.
Elle arrive enfin à moi et son regard s'adoucit, elle pose sa main sur ma joue et la fête reprend son plein.
Sans un mot nous nous contemplons, le charivari ambiant ne m'atteint plus, c'est le ramdam que fait mon cœur qui a pris le relai, elle sourit et me glisse quelques mots mais les palpitations couvrent sa voix. Alors elle prend délicatement ma main et me tire à elle, je crois qu'elle veut m'embrasser mais son corps se met à tourner m'invitant à partager cette valse de concert avec lui.
Elle m'enlace de toutes ses forces, ses petits bras se lient à mon tronc. Elle est la liane en symbiose avec mon être enraciné, figeant de toute mon âme cet instant dans le temps. L'étreinte de nos corps métissés dans ce moment qui n'existe que pour nous, fait fleurir un sourire sur nos visages. Nos corps tournoient, le décor, les gens autour ne sont plus que détails floutés. Son visage est le seul objet de mon attention, une larme coule sur sa joue, emportée par le mouvement elle s'envole tel un pétale de rosée et mes yeux la suivent. Quand ils reviennent à elle, son expression a changé. Je m'arrête et recherche son regard, mais ses yeux et tous ses sens cherchent quelque chose, une présence a attiré son attention. Elle semble terrifiée, elle relâche l'étreinte qui soudait nos corps, je la retiens, alors elle pose une main sur mon cœur et là, je la sens, je sens cette présence.
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L'angélus
RomansaC'était aujourd'hui, il y a cent ans. Je n'ai plus grands souvenirs de cette époque Mais nous étions jeunes Et l'amour que nous avions l'un pour l'autre Faisait fleurir le printemps autour de nous. Âme sœur nous étions Âme sœur nous le savions...