Je veux

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Toutes les étapes du voyage se succèdent mais à une allure folle, le bout du tunnel m'apparait comme les phares d'un véhicule fonçant vers moi. Quand la lumière me touche, je me retrouve projeté contre la porte de ma cage d'escalier, le choc est brusque, l'éveille à ma vie douloureux. J'ai mal au corps et à l'âme, un cri vient s'échapper de ma gorge mais elle reste nouée, un gémissement étranglé glisse et se finit en sanglot. Je ne connais même pas son prénom, je n'ai même pas de mot à crier. Je serre les points, emplis mes poumons à les faire exploser et cris à gorge déployée de toutes mes forces. Nouveau-né arraché à l'amour qui me portait.
Tout en sombrant dans l'inconscient, j'entends des bruits de pas, des voix familières, ceux sont mes voisins, je suis rentré à la maison....

J'ouvre les yeux, tout est flou, j'ai à peine l'image et même pas le son. J'entends rien, je passe mes mains sur mon visage, je les contemple en les éloignant, ma vue se fixe, leur présence devant mon regard, l'infirmière qui vient de rentrer dans ma chambre, les fleurs à peine vivantes dans un vase sur une table qui succombent sûrement à l'odeur d'hôpital qui règne ici. Tout me confirme que je suis encore en vie. La femme en blouse blanche me sourit fugacement puis se retourne pour faire le lit voisin du mien, le son ne revient toujours pas, le ballet silencieux des draps me subjugue, ils se gonflent et se tire, voilure encore vierge d'un navire sans destination. Moi-même, où suis-je ? Où vais-je ?
Je me lève, j'ai froid sous la légère tunique d'hôpital, mes vêtements sont là, pliés sur une chaise à coté du lit, ils m'attendent, alors tranquillement je les enfile. Chaque geste à l'intensité d'une cérémonie, le silence donnant un sens aux murs blanc qui m'entourent. Je me lève et me retourne, je n'avais pas remarqué l'infirmière qui me sermonnait, elle n'est sûrement pas d'accord avec l'envie que j'ai de quitter ce lieu. Peu m'importe ces cris, je suis sourd de toute façon... Elle lève les bras au ciel et je lui souris, elle appui sur une sonnette afin d'appeler les renforts, mais à peine s'est-elle retourné que je m'éclipse par la porte.
Je longe le couloir, appuyé sur le mur, au fond une porte fenêtre, la lumière qui passe à travers irradie les lieux d'une lueur irréelle.
Ma main frôle le mur, caressant timidement ce fil d'Ariane qui me guide vers la liberté. Elle sent chaque aspérité du plâtre, je ferme les yeux, ainsi aveugle et sourd seule ma main me guide, habituellement une pareil expérience m'aurait rempli de frayeur, mais je ne sais pourquoi je suis confiant.
J'ère dans les méandres d'un labyrinthe froid et vide, aseptisé de toute vie. Quand ma main prend les devants, je sens qu'elle veut allez à droite...bon d'accord... Allons à droite ! Elle glisse, sûre d'elle, surfant sur le placo de plus en plus vite, filant sur l'arrête d'un mur elle prend à gauche, puis encore à gauche. J'ai les yeux toujours fermés mais l'envie de les ouvrir me démange terriblement. Je prends à droite, je commence à avoir peur, je file tout droit. Mon dieu prêtez-moi une sortie. Ma main rencontre une surface glacée et lisse, c'est une porte, un objet perdu dessus, c'est une poignée. Je la tourne et m'élance dans le passage, un espace vide s'offre à moi. Les yeux fermés, les bras tendus, j'appelle tout univers qui viendrait à ma rencontre, prière exhaussée. C'est la terre promise qui vient à moi, j'échoue sur ce qui ressemble à une chaise, mon tibia heurtant douloureusement son armature rigide. Aie !!! Là, je suis bien obligé d'ouvrir les yeux, ce n'est pas une chaise mais des rangées de chaises  qui se présentent devant moi avec des gens dessus et tous me regardent tel un pauvre malheureux implorant la grâce de je ne sais quelle madone. Je n'ai que faire de leur pitié, qu'est ce que je fous là ? Mes yeux cherchent l'issue promise et perdue. Des murs, des chaises, des gens, un guichet. Je suis dans une salle d'attente. Au fond, deux portes : l'une munie d'une plaque « Dr ... », non pas celle-ci, l'autre isolée sur laquelle trône un néon vert « EXIT ». C'est parti je fonce, je traverse la salle d'un pas et pousse l'insolente qui se claque derrière moi comme on ferme une parenthèse.
La lumière du jour m'aveugle une seconde puis me réchauffe et m'éclaire, la sortie donne sur une ruelle déserte alors je fonce. Je longe les poubelles, puis dos au mur, je me faufile jusqu'au bout de la rue, je jette un œil à l'angle, la voie est libre. Je file droit devant ventre à terre tel un fugitif, mal rasé, mal vêtu, le regard hagard, je me confonds avec le bitume, anonyme obstacle aux passants qui me bousculent.
L'un d'eux se retourne pour me reprocher ma présence sur son chemin, son visage s'emplit de dégoût, son âme s'hérisse jusqu'à la haine, et j'y lis clairement la peur. La peur de se voir en moi, la peur de voir l'homme que j'ai été et qu'il est, peur de voir l'être perdu que je suis et qu'il pourrait être demain. La peur que le malheur soit contagieux, « pauvre con », les mots sont sortis tous seuls et je les ai entendus. L'homme plein de dédain se retourne et reprend sa route frottant de ses mains les manches de sa veste dans la peur d'une hypothétique contagion. Mon ouïe revient mais les sons restent brouillés, atténués puis amplifiés allant et venant. J'avais oublié comme ce monde est bruyant. Je passe mes mains sur mon visage pour m'apaiser. En les éloignant, je constate qu'elles sont sales, mon visage doit être noir maintenant, une angoisse sinueuse vient nouer mes intestins. J'ai honte, je baisse la tête glissant sur la rue à la recherche d'une surface réfléchissante afin de constater les dégâts. Je me fixe devant la vitrine d'un magasin et toise mon image dans son reflet. Que voilà une étrange vision de moi, tout prête à croire que j'ai passé la nuit dans le caniveau, pitoyablement habillé et sale d'une crasse de cent ans. Je ressemble à un ramoneur,  réajustant ma veste je m'arrête sur deux mains de fossoyeur aux ongles noirs et grossièrement taillés. La stupéfaction me prend, qu'est ce qui peut changer un homme à ce point ? Je me fixe les yeux dans les yeux,  m'interloquant tel un « sans amis fixes », quand je constate la présence d'un sourire qui s'étire, l'œil pétillant, la joue rose, les lèvres pincées se détendent. J'essai d'arrêter ce sourire mal assorti à ma tenue mais c'est trop tard. Les pommettes saillantes sont là, me montrant du doigt, en effet je suis moi, juste moi mais tout de moi. Peu importe les couches de crasse, je suis toujours le même, je suis même plutôt drôle et au comble du ridicule. Dans cet instant perdu dans le temps, la pluie se met à tomber. Je reste devant la glace me contemplant sous ce jour nouveau. Des volutes de vapeur s'élève de mes cheveux, phénomène normale par cette température, mais cela m'amuse beaucoup, du fait je remarque que le reflet que je contemple en train de jouer de son image n'est plus celui d'un adulte mais d'un enfant. Petit bonhomme je te connais... Normal c'est moi...
Je lève les yeux, de l'autre coté de la vitre, les clients, les caissières, les vigiles, tout le monde est là. Ils se rassasient du spectacle que je produis sur le pavé, surpris dans leur curiosité malsaine tous détournent le regard. Bon c'est assez ! Je leur tire la langue et m'enfuis sous les giboulées froides. Je suis trempé et mort de rire, je cours de flaque en flaque et de rue en rue jusqu'à chez moi. Je traverse le hall d'un pas, monte les marches de deux en deux, me jette sur la porte et la referme immédiatement derrière moi, je vais de pièce en pièce dans l'espoir d'une trace d'elle, une odeur, une présence, n'importe quoi. Je me jette sur le lit, le regard au raz des draps, mon nez cherche le moindre effluve qu'aurait laissé sa peau à leurs contacts. Son corps était étendu là, le vide qu'il laisse me semble une mer de silence.
Le chat bondit sur le lit et me sort ainsi de ma torpeur
Quelle heure est-il ? 11 H 35.
Techniquement ma douce fait son apparition avec les derniers rayons du soleil, cela me laisse quelques heures à tuer. D'abord faisons-nous beau pour la belle, une douche ne serait pas du luxe.
Je jette négligemment mes frusques sur le sol, et me réfugie dans la douche, l'eau coule mais cette fois, elle est chaude. Doucement, elle chasse l'homme des cavernes en moi. Je ferme les yeux et savoure ce moment d'intense réconfort. Le reste autour s'efface et laisse la place aux bruits de l'eau qui s'intensifient et raisonnent bientôt comme la pluie battant un toit de tôle. Les souvenirs de l'autre nuit me reviennent. D'abord doucement puis pas vagues. La pluie, la présence, ma douce, le village... Où étais-je ?  Quels sens à tout ça ? Pourquoi moi ? Si on m'avait dit il y a deux jours que je rêvais ou que j'étais fou, je pense que j'aurais commencé un traitement, mais là c'est trop tard. Trop tard pour oublier ce que j'ai vécu, tous ces souvenirs et ces sensations. Trop tard pour oublier sa peau, trop tard pour oublier ses lèvres, trop tard pour me réveiller ou guérir. De toute façon j'en ai plus envie, je suis en train de foutre ma vie en l'air, mais n'est-ce pas depuis que je l'ai rencontré que je vis vraiment ! Si elle me dit qu'elle m'attend sur  la lune, je prends un crédit sur cent ans pour louer une navette, je peux tout perdre pour la retrouver, je peux tout donner pour me perdre à nouveau dans cet univers que l'amour habite. Je ne m'en suis pas rendu compte mais je suis assis dans le bac de la douche recroquevillé sur moi-même, je pleure, pas de bonheur ni de tristesse, juste parce que j'en ai besoin, ce flux d'informations remontant dans ma gorge envahit mes yeux, et mêle son exode à l'eau de la douche qui s'enfuit sur l'émaille.

L'angélus Où les histoires vivent. Découvrez maintenant