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– Content de te voir en meilleur état.

    Lucien sortit de ses pensées pour tourner son attention vers Neeve. Il fut la première personne qu'il croisa aujourd'hui.

    Monsieur Zliot était effectivement venu le chercher lorsque la lune avait établi domicile haut dans le ciel sombre, à travers les nuages. Il l'avait attendu le temps qu'il s'habille et ils étaient rentrés, le tout dans un silence lourd et significatif. Lucien avait refusé de prendre l'initiative de remettre le sujet sur la table et le docteur n'en avait pas fait plus. Jusqu'à la maison, la lune ne les avait pas suivi, Lucien s'était senti seul et isolé pendant les dizaines de minutes où la musique calme de violon et piano l'avait encore plus plongé dans ses réminiscences. Lucien n'avait pas eu faim et était directement monté dans sa chambre, s'y enfermant sans même rendre les politesses de l'hôte. L'hypocrisie qu'il aurait eu à le faire lui aurait certainement retourné l'estomac. Il avait contemplé la nuit peinte d'obscur, le crépuscule s'évanouir par delà les bâtiments et arbres au profit de l'aurore tout aussi assombrie. Il s'était même mis à pleuvoir, l'affaire de quelques gouttes dérangeantes, et l'odeur du petrichor avait été la seule chose plaisante qu'il avait trouvé avant de tomber sur Neeve. Sous sa tignasse de boucles d'or à peine démêlée et ses petites lunettes, Lucien aperçut nettement son soulagement.

    Encore un peu déconnecté, il se tourna lentement vers lui, la fatigue dans les mouvements.

– Tu n'as pas l'air en si mauvaise condition que ce qu'hier laissait paraître; expira-t-il.

     Le blondinet se voyait trempé par endroit, quelques mèches gouttaient et le bout de son écharpe était humide. Il pleuvait encore, ce qui expliquait la précipitation des pas dans le couloir de l'entrée.

– Comment tu te sens ?

    Neeve attrapa son regard comme pour ancrer son attention dans le sien.

– Perdu.

    Même le son de sa propre voix le surprit. Il avait parlé si faiblement et de manière tellement enrouée que Neeve s'inquiéta aussi.

– Tu veux en parler ?

    Et placer des mots sur ce qu'il ne comprenait pas ? Il avait passé sa nuit à y retourner dans tous les sens pour y trouver une idée concrète. Et pourtant, tout était si abstrait dans ses suppositions. Puis, il ne se sentait pas de parler longuement. Alors il secoua la tête.

– Je comprends; en frôlant son bras en dessous de son pull bleu nuit. Tu as l'air fatigué.

    Lucien eut l'impression d'être un livre ouvert, que Neeve lisait dans ses pensées et qu'il pouvait même sentir la douleur subtile de son dos lorsqu'il avait approché sa main. Et pourtant, il ne fit pas plus de commentaire que celui-ci, rien qui laisserait penser qu'il entrevoyait tout.

– Mon père disait qu'une bonne nuit de sommeil est celle où les voix s'éteignent.

    Ils avaient commencé à emprunter le couloir de l'étage lorsqu'il avait repris la parole. Sa voix calme semblait rebondir contre chaque élève qui passait, comme si elle était destinée à tous ceux dont les cernes mangeaient le visage.

– Il n'a jamais vraiment aimé dormir; admit-il en rigolant; il trouvait le sommeil inutile et son temps gâché par un coma temporaire.

    À quoi pouvait penser son père quand Morphée ne venait pas ? Comment se sentait-il le lendemain ?

– Ça agaçait ma maman, elle avait peur que je ne le suive à me réveiller trop tôt et me coucher trop tard.

– C'est le cas ?

Déchu  (réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant