Exécution secrète

Chapitre 1 : L'âge maximum

Amélia jette son tablier sale dans la panière avec ceux des autres. Elle confirme sa position GPS sur son portable pour vérifier sa présence avant de sortir du grand bâtiment bétonné où elle a passé l'après-midi. Le service citoyen qu'elle a cette semaine n'est pas son préféré. La préparation des boîtes repas est une tâche ennuyeuse à mourir. Devoir peser chaque portion en restant concentrée pendant des heures dans un silence de mort la rend dingue. L'agent de surveillance qui ne la lâche pas du regard n'aide pas à rendre le moment plus agréable. Elle décide d'aller prendre un thé avant d'aller voter, histoire de décompresser un peu. Sa silhouette svelte traverse la rue piétonne et elle lève brièvement les yeux vers la fortification de la ville. Ces murs de béton gris qui s'alignent jusqu'à haut dans le ciel et sont tapissés de végétaux projettent une ombre rafraîchissante salvatrice sur la rue bondée. La chaleur reste malgré tout désagréable pour peu qu'on passe trop de temps à l'extérieur. Elle s'installe dans le café le plus proche. C'est un salon de thé typique de Calandre, décoré dans un style industriel moderne où le béton peint en blanc se mêle aux couleurs sombres du mobilier et aux plantes vertes. Elle passe quelques minutes sur la carte même si elle sait déjà ce qu'elle va commander. Un jeune homme avec de jolies boucles brunes d'une vingtaine d'années vient vers elle. Il s'agit du même serveur que la veille. Il est à peine plus grand qu'Amélia et porte un tablier noir attaché autour de la taille. C'est pour lui que je suis revenu.e ici et que j'ai décidé de suivre Amélia de plus près. Je l'observe un long moment. Ses traits me semblent encore plus familiers que la veille. Tout en lui me fait penser à quelqu'un que j'ai connu. Ses grands yeux ronds d'un brun chaud profond, sa peau pâle soulignée de grains de beautés posés aléatoirement, sa mâchoire délicate, ses joues creusées et même l'expression de ses traits me sont familiers. Il me reste à savoir comment.

— Bonjour, que désirez-vous ? lui demande-t-il dans un sourire.

— Je vais prendre une infusion à la menthe, s'il vous plaît, récite la jeune femme.

C'est ce qu'Amélia prend tout le temps, et croyez-moi, je la suis depuis un bout de temps maintenant. J'ai eu le temps de décortiquer les habitudes de cette grande blonde, détachée du monde autour d'elle et des autres. Elle n'a jamais pris autre chose. Le serveur lui prend la carte et hoche la tête.

— Je vous apporte ça tout de suite, assure-t-il sans cesser de sourire.

En attendant qu'il revienne, elle dirige distraitement son regard océan sur l'écran accroché au mur face à elle. Le présentateur semble bien agité lorsqu'il donne les pourcentages prévisionnels des votes du jour. Amélia, qui ne sait pas encore quelle est la question, tend l'oreille.

— La décision du jour est très serrée, explique l'homme. Doit-on imposer un âge maximum dans notre ville? Si vous n'avez pas encore voté, c'est le moment d'y aller pour donner votre avis !

— Sacrée question, hein? demande le serveur en posant une tasse fumante devant elle pour capter son attention.

— Je suis étonnée de voir autant de votes positifs... soupire Amélia en se tournant vers lui.

— Ça peut encore changer d'ici ce soir, répond-il pour rester optimiste.

Elle s'apprête à répondre quand le portable de l'homme émet un petit son aigu. Il laisse Amélia seule avec ses pensées et va servir une autre table. Elle boit une gorgée et sent ses muscles se décontracter sous l'effet des arômes délicats du breuvage. Elle oublie un bref instant qu'elle doit aller voter avant la fin de journée et écoute le jazz diffusé en musique de fond. Quand le serveur passe près d'elle, elle se surprend à le regarder. Ce n'est pas dans son habitude, mais je dois reconnaître qu'il a une bonne dose de charme. Elle n'est pas la seule à le faire, d'ailleurs. Il attire les regards d'un groupe de femmes de son âge assises plus loin mais ne retient pas leur attention bien longtemps. Un bruit venant de la télévision les interpelle.