Exécution secrète

Chapitre 26 : La traversée

Le sac posé sur l'épaule, Amélia considère l'embarcation en grimaçant. Pour un premier voyage en mer, l'apparence du navire n'est pas rassurante. La coque est tellement recouverte de moisissure qu'il est difficile de croire qu'il puisse encore flotter.

— Fais pas la gueule, lui chuchote Joseph. Ils nous rendent un service.

— C'est plus propre à l'intérieur? répond-elle dans un murmure.

Joseph secoue la tête de gauche à droite et elle retient un soupir désespéré. Clara, de son côté, semble prête pour l'aventure et est déjà en pleine conversation avec les marins de cet étrange rafiot. Ils finissent par gravir le ponton en bois et embarquer dedans, constatant que le bois du pont n'est pas plus accueillant que son extérieur. Il est verdi par ses nombreux voyages et troué par endroits, ce qui ne semble pas déranger les habitués de l'équipage.

Chris, qui est déjà assis au niveau du gaillard d'avant avec le capitaine, essaie de continuer la négociation du voyage lorsque ses trois amis le rejoignent.

— Je pensais qu'on était d'accord. La moitié avant, et l'autre moitié après si on arrive tous entiers, tente-t-il.

— Hors de question, si l'un de tes gars se jette à l'eau ou vomit ses tripes, je veux être payé quand même ! s'exclame un petit homme bourru.

— L'autre moitié si aucun de vos hommes ne nous agresse pendant le voyage, intervient Joseph en tendant une main à l'homme.

L'homme fronce ses sourcils gris broussailleux et finit par serrer la main de Joseph. En comprenant qu'ils ont passé accord, Chris sort de son sac de vieilles pièces métalliques semblant venir de téléphones ou d'ordinateurs.

— J'ai vérifié moi-même que les pièces soient intraçables, explique Joseph lorsque l'homme les inspecte. C'est tout ce qu'il nous reste de Calandre. Ça se revend bien dans les petites villes.

— Vous venez vraiment de Calandre? demande l'homme, suspicieux. Les gens de la ville ne savent pas ces choses-là...

— J'ai vécu à Caël, explique-t-il. J'ai assez baigné dans le trafic pour connaître la valeur de ces pièces.

— Je vois...

L'homme fait une pause pour observer le groupe et finit par se lever.

— Je vous ai fait une place dans la cale, avec les marchandises. Si quelque chose disparaît, je vous jette par-dessus bord, prévient-il avant d'aller rejoindre ses hommes sur le pont.

Chris se lève et se met face à Joseph, l'air contrarié. Ils se regardent un moment avant de parler, comme pour s'apprivoiser.

— Ne parle plus de ton passé, finit par lâcher Chris. Je ne veux pas qu'ils se méfient de nous.

— Ils se méfient déjà...

— On va éviter de leur donner plus de raisons de le faire, je n'ai aucune envie de crever ici.

Joseph lève les yeux au ciel mais ne prend pas la peine de répondre. Le bateau commence à se déplacer et il leur faut regagner la cale pour ne pas gêner l'équipage. En marchant jusqu'aux escaliers, Amélia observe l'océan qui s'étend devant eux et se demande ce qui les attend au-delà de l'horizon.

Lorsqu'ils descendent les escaliers grinçants, l'odeur de moisissure les prend à la gorge. Joseph retire son t-shirt et le noue autour de son visage, rapidement imité par Chris et Clara. Amélia se contente de relever son col. Ils avancent au milieu des tonneaux, sûrement remplis de liqueurs et de vins vu leur apparence, et finissent par trouver un endroit où la moisissure est un peu moins présente. Ils s'installent sur les tonneaux, dans l'obscurité, et les bras de Chris viennent bientôt enlacer Amélia pour la rassurer.