3- Elio Ray

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Elio


— On est arrivé, monsieur.

Assis derrière la berline sombre, je souffle. J'espère trouver mon bonheur ici. Mes nuits sont sans vie. Le seigneur ne me guide plus. Mes démons me murmurent à l'oreille et la foule présente ici n'est que des âmes égarées. Des brebis galeuses perdues dans un monde où l'alcool, la drogue et la nudité coulent à flots.

Des gorilles sont présents à l'entrée. Ils régissent le flux et me repèrent, fronçant les sourcils sur une personne qui n'a pas lieu d'être dans un bar malfamé la nuit, si proche d'un hôpital. Au moins, s'il arrive quoi que ce soit, ils ne sont pas loin. Pas bête comme emplacement. J'avance avec mon garde du corps. Obligé de l'avoir avec moi. Pas le choix, mais je m'en passerai volontiers.

Je remonte la file sans faire la queue, souhaitant voir le patron. Ils m'interrogent, je leur donne la raison. Leurs mâchoires carrées tressautent. Ils nous laissent entrer. Les cris bestiaux se répercutent dans la salle. Une femme se déhanche en montrant largement plus que ses atouts devant des singes en rûtent. Sifflant, hurlant, brandissant leurs billets pour avoir la joie de les glisser dans le fin tissu de la demoiselle.

Une serveuse s'approche et me regarde avec des yeux ronds, choqués, intrigués. Un plateau tenu en l'air dans sa main et l'autre tenant un calepin.

— Je vous sers quelque chose ? demande-t-elle en passant outre mon uniforme.

— Un verre d'eau, s'il vous plaît.

L'air ambiant m'assèche la gorge. Elle nous conduit à une table. Cette ambiance, très peu pour moi. La serveuse s'éclipse. Je scrute les alentours. L'un des gorilles de l'entrée disparaît derrière une porte dissimulée à côté du bar. Les barmaids s'activent à servir les boissons et les commandes que leur hurlent les serveuses, avant que celles-ci ne repartent avec des plateaux remplis. L'un des deux derrière le comptoir est grand et maigre, mais son regard ne me trompe pas. Il pue le danger sous sa belle gueule d'ange. Sa collègue, plus rondelette, de ce que j'aperçois, a l'air de souffrir le martyre à courir dans tous les sens, je vois d'ici la sueur lui couler dans le dos. Le reste de son visage que je tente d'analyser est souvent caché. Tel un fantôme.

Les minutes s'étirent. La serveuse m'a servi, mon garde du corps a refusé toute boisson, voulant garder les idées claires. La danseuse exotique se dandine sur sa barre, les hommes hurlent, ils me fatiguent.

Le gorille revient et nous joint de le suivre. Ce n'est pas trop tôt ! J'allais finir par lancer un exorcisme à force de les voir se comporter comme des possédés. Nous le suivons dans un dédale de couloirs, atterrissant dans un bureau aux teints clairs. Le patron porte des lunettes posées sur les yeux, la tête plongée dans ses papiers. Ses phalanges sont abîmées. Des éraflures écorchent la croix de Jésus. Il lève la tête.

— Ce n'est pas commun de voir un prêtre dans un tel endroit, se moque-t-il.

Je m'avance et repère la chaise en face de son bureau. Je m'assieds, croise les jambes et joins mes mains entre elles.

— Je souhaiterais un service.

Le patron fronce les sourcils. Il a compris. Il retire ses lunettes et les pose délicatement sur son bureau, puis il joint ses mains entre elles :

— Du genre ? interroge-t-il l'esprit vif.

— Le saint Graal.

Pas besoin d'en dire plus. Il glisse son bras sous son bureau, appuyant sûrement sur un bouton. Il le déplace ensuite jusqu'à son téléphone et le saisit. Échange un instant avec son interlocuteur, puis le repose sur son bureau.

Game of Shadows - en coursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant