Si j'avais un manuel portant le titre de "Comment contenir ses émotions fortes en 8 étapes faciles", je l'aurai probablement dévoré depuis bien longtemps. Furibond, je ne sais même pas comment agir pour calmer ma colère. Foutre un coup de pied dans la maison ? Non, ce serait irrespectueux pour la pauvre demeure qui m'accueille depuis des années. Je ne me soucie même pas de me faire mal. Je suis juste aveuglé par l'idée que Bianca veuille me priver de ma vengeance. Ça, c'est juste inimaginable de mon point de vue. Je ne peux pas en vouloir à ma sœur de vouloir me protéger. Mais elle me prend pour quoi, un gamin de dix ans ? À un moment, je pense être capable de choisir les batailles que je veux mener. Mais avant le grand combat, qui je le sais aura lieu demain soir au parc, j'ai besoin de parler à quelqu'un. Bianca, c'est foutu. Will ? Non, il va sûrement chercher à me détourner de mon objectif, pour "vivre une vie saine et sans soucis", comme il aime le définir. Deux prénoms me reviennent soudain en mémoire, et je me demande pourquoi ils ne me sont apparus plus tôt, comme une illumination. C'est l'évidence même. Avec eux, je suis sûr d'enfin trouver une source de soutien. Eux au moins ne tenteront pas de me freiner.
- Attends une seconde, coupe Ethan. T'es en train de me dire que tu veux te ruer dans un parc à une heure du mat' pour refaire le portrait de ta saleté de père ?
Lui, Reyna et moi sommes assis de part et d'autre de sa chambre. Elle est si spacieuse que j'ai l'impression que nous sommes des criminels en réunion. Le pire est que mon hypothèse est plutôt proche de la réalité.
- Mais c'est génial ! s'enthousiasme Ethan. Une belle occasion de se débarrasser d'un autre de ces salauds de criminels !
Soudain, les livres de justice sur les étagères me semblent bien plus concrets. Je dois avouer que des fois, la soif de justice de mon ami me fait un peu flipper. Je suis persuadé que plus tard, s'il le souhaitait, il pourrait devenir un juge d'exception. Mais disons qu'il n'hésite pas à envisager de mettre en œuvre des moyens extrêmes pour parvenir à ses fins. En plus, je n'ai aucune envie de tuer Hadès. Je ne compte pas devenir un meurtrier. Je veux juste lui faire tellement peur qu'il n'osera plus jamais venir nous embêter. Et je pense être assez terrifiant. La plupart de mon entourage se décompose sous un seul regard noir.
- Les garçons, intervient Reyna. Alors on est d'accord pour tous nous rendre à ce rendez-vous, bastonner Hadès, et reprendre notre vie comme si de rien n'était ?
- C'est à peu près ça le plan, oui, je confirme en tentant de refouler ma peur.
Après avoir exposé mes projets à mes amis, ce n'est pas le moment pour moi de me dégonfler. Reyna s'étire puis fait craquer les jointures de ses poings.
- Parfait, déclare-t-elle. Parce qu'il n'a pas fini d'en baver, celui-là. On ne s'en prend pas à mes proches sans avoir affaire à moi.
Étonnamment, mon amie semble me considérer comme son petit frère. Je n'ai pas eu le cœur de lui avouer que Bianca remplissait déjà ce rôle à la perfection. Et je n'ai pas partagé le secret de Deviltown avec elle et Ethan. Je préfère qu'ils croient que je viens seulement de retrouver mon père. Je n'ai pas envie de les embarquer dans une histoire abracadabrante dans laquelle je suis embourbé jusqu'au cou, comme dans des sables mouvants.
- Je pense que je vais aller voir Will, je lance à mes compagnons.
Je n'ose pas leur avouer que je suis terrifié par ce que nous nous apprêtons à faire demain soir. Ils ont l'air si enthousiastes, et ils me font confiance. Je sais qu'ils sont prêts à se battre pour moi, et que j'ai déjà prouvé ma valeur auprès d'eux. Mais j'ai toujours cette boule au fond du ventre, cette peur de les décevoir.
- Ooh, tu as besoin d'un calin de ton petit copain avant... (il se laisse tomber sur le lit en exécutant un geste grandiloquent) notre grande opération nocturne ? taquine Ethan.
- Même pas, je marmonne en prenant un faux air confiant. On se retrouve demain soir les gars. Je vous attends, vous avec votre détermination et vos poings.
J'ignore ma voix qui me murmure que je me force à me convaincre de ma propre volonté de fer, avant de sortir dans l'air frais du soir.Sur le court trajet reliant la chambre d'Ethan à celle de Will, je suis tourmenté par mes inquiétudes. Pour Bianca, pour mes amis, pour moi, et même pour mon père. J'ai beau le haïr de tout mon coeur, je ne supporterais pas de voir un nouveau meurtre commis sous mes yeux. Arrivé devant la maison de mon petit ami, je grimpe sur le rebord de sa fenêtre. C'est une habitude que j'ai prise, et je n'ai pas envie de réveiller les parents de Will et la petite Gracie.
- Salut, m'accueille t-il avec un grand sourire.
Il me laisse la voie, et je pénètre dans sa chambre comme si je possédais les lieux, ce qui est pratiquement le cas. Will me serre dans ses bras. Il semble heureux de me voir, comme toujours, et ce constat est doux-amer dans mon coeur. Je m'en veux encore de l'avoir abandonné plus jeune. Je m'en souviens d'en avoir discuté quelques jours auparavant avec l'intéressé. Je lui avais avoué ma culpabilité, et mon passé. L'homophobie expérimentée, mais aussi ma mort. Will avait pris calmement la nouvelle en apparence. Mais je commençais à le connaître assez bien pour comprendre qu'à l'intérieur, il était profondément troublé et tendu comme un arc.
- Tu m'as à tes côtés, pour régler ton affaire de père revenant. Toujours, en fait.
Puis il m'avait gratifié d'un sourire sincère et douloureux.
- Si tu veux savoir, je te pardonne, pour la primaire. C'était pas ta faute, toute cette histoire.
Il avait fait un vague geste de la main, comme pour englober la complexité des galères mixées au parfum Deviltown-Hadès.
- Le plus important, c'est le présent. Et tu es là, maintenant.
Et nous avons passé le reste de notre nuit à jouer aux jeux vidéos (cette séance divertissante m'a marqué, car j'ai battu Will à plates coutures à Mario Kart).
Revenant à la réalité, je laisse mon petit ami m'enlacer. Contre son épaule, je murmure doucement, comme pour ne pas le brusquer :
- J'ai du nouveau.
Il s'écarte pour m'interroger du regard.
- Concernant Hadès, je précise.
Cette fois, il ne montre d'abord aucune réaction. Puis, il ne répond pas et se contente de me serrer dans ses bras. Je sais que Will préfère éviter les problèmes au lieu de s'y confronter. C'est l'une de nos plus importantes différences parmi des centaines.
- Il nous a proposé un rendez-vous, à Bianca et moi.
- Quand ?
Je l'entends à peine, avec son marmonnement dans mon épaule.
- Demain soir, au parc. Pendant la nuit, quand les lieux seront déserts...
Je crois que j'ai un peu trop sous-entendu, car je me rends compte que Will renifle contre mon épaule. Je sens ses larmes chaudes contre ma peau avant de comprendre qu'il est en pleurs. Je me fais la réflexion que je suis le pure petit ami de tous les temps, à toujours faire pleurer Will, et à l'entrainer dans des galères toujours plus folles qui n'appartienent qu'à moi. Normalement, un couple d'amoureux est censé construire ensemble, pas se détruire mutuellement, je crois.
- Pardon, Will, je marmonne. Je promets que c'est fini. Tu sais quoi ? Je vais partir. Ouais, je vais faire ça. Je te promets que tu ne souffriras plus à cause de moi.
Contrairement à ce que j'espérais, ses sanglots redoublent, et il me serre un peu plus fort contre lui avant de reculer. Il s'assoit sur son lit, dos à moi.
- T'es vraiment stupide, toi.
- Quoi ? je m'interroge, surpris.
Je ne comprends rien à cette situation. Je crois que cette citation peut s'appliquer à ma vie entière. Will relève la tête, et je vois le regard noir qu'il me lance.
- Tu refais toujours la même erreur.
- De quoi tu parles ? Je vois pas ce que tu veux dire. Pourquoi tu voudrais rester avec quelqu'un qui te blesse tout le temps ?
Il éclate de rire, et ma faible compréhension de la scène explose en écho.
- Oh la la, Nico. Tu n'es pas doué pour comprendre les sentiments, hein ?
- Hé ! je m'insurge. C'est toi qui es incompréhensible.
Il sourit en secouant la tête, ses traces de larmes dessinant des chemins argentés sur ses joues.
- Et non. Je vais devoir te le dire combien de fois, Death Boy ? Tu ne blesses pas, au contraire. Tu es le champion pour me soutenir, peu importe ce que je fais. Tu n'es jamais dégradant, toujours encourageant. Les gens t'aiment. Je suis le premier à le prouver. Et ceux qui ne le font ne sont que des aveugles. Est-ce que pour une fois, tu pourrais reconnaître à quel point tu es génial ?
Je le fixe, la bouche ouverte d'incrédulité. Les seules paroles que je m'entends articuler sont :
- Tu m'aimes ?
Il se retient de s'affaler sur son lit, mort de honte.
- M'obliges pas à te le répéter. Je te l'ai déjà dit, en plus. Espèce d'idiot sans cervelle.
Je m'allonge à côté de lui, dans l'optique de le taquiner. C'est ce que je fais tout le temps, en réalité.
- Bah alors ? On devient timide, espèce de Bisounours sur pattes ?
Le surnom que j'ai tiré de mon esprit en ébullition le fait rougir comme une tomate, et j'ai l'impression de remporter une petite victoire personnelle. En plus, il est encore plus mignon quand il s'illumine de toutes les couleurs comme une lampe torche. C'est fou de constater le nombre de teintes différentes qu'il peut prendre.
- N'importe quoi Di Angelo, marmonne t-il.
Je ne le prends pas au sérieux, même s'il n'avait pas enfoui son visage dans son oreiller. Complètement menaçant et sérieux, je pense ironiquement. Je me fais la réflexion que je suis l'un des seuls à connaître les multiples facettes du véritable William Andrew Solace. Bien sûr, il y a le Will qui montre à tous un visage souriant et aimable. C'est plutôt agréable, comme façade. Mais on ne tombe pas réellement amoureux d'une idée, comme d'une peinture sur un mur, irréelle mais séduisante. J'apprécie chaque jour de voir émerger et de découvrir un nouvel aspect de mon compagnon. Je l'ai connu résigné, déterminé, calme, sur le point de péter un câble à cause de ses surplus d'émotions, déprimé, heureux... Le véritable Will a de nombreux défauts, que j'apprends à reconnaître et à affectionner. Car qui aimerait quelqu'un de trop parfait ? L'idée plaît bien une seconde, mais moi, ça me ferait flipper. Je préfère sortir avec un humain qu'avec un robot.
Alors, je me blottis contre lui et l'embrasse sur la joue, doucement, comme un battement d'aile de papillon. Je sens Will frémir contre moi, et riant légèrement, je plaque un baiser contre sa nuque déjà rougie.
- Arrête de me titiller, gémit-il.
- Arrête moi par tes propres moyens alors, je réplique.
Je me demande si cette soudaine confiance en moi me vient de sa précédente confession. Je me sens encore plus effronté que d'habitude, à ce moment.
Will tourne enfin son beau visage vers moi. Ses yeux bleus brillent d'une lueur que je ne saurais identifier, et je constate avec amusement que ses joues sont cramoisies.
- Tu t'arrêteras jamais de m'embêter, hein ?
Il tente de prendre un ton fataliste, mais je perçois la touche d'espoir dans cette question.
- Et oui ! Après tout, je suis ta tarte aux fraises des Enfers !
Il rit.
- Et je suis ton petit cube d'ambroisie tout mou, plaisante t-il d'un ton léger.
Nous pouffons en coeur, avant de lâcher :
- On est quand même vraiment bizarres.
Nous repartons pour une crise de rire avant que Will ne se serre contre moi en soufflant :
- Du moment que tu es ma petite pelote de ténèbres à moi...
Il m'embrasse sur la tempe avant de terminer :
- C'est tout ce qui compte.
Je lui adresse un franc sourire, rayonnant. J'ai vraiment bien fait de venir lui rendre visite. J'ai appris qu'il n'y a rien de meilleur que de passer du temps avec les gens qu'on aime. Et Will parvient à la perfection à effacer mes inquiétudes concernant le rendez-vous de ce soir.
Il se penche vers moi, un sourire amusé aux lèvres et je le laisse m'attirer à lui pour l'embrasser. C'est une sensation agréable, qui devient rapidement enivrante au fur et à mesure que le baiser s'approfondit.
- Tu sais Nico, marmonne Will en s'écartant un instant pour reprendre son souffle, je tiens énormément à toi.
- Je sais, je réponds difficilement, le souffle erratique.
Il s'éloigne de mes lèvres pour déposer des baisers sous ma mâchoire, et je le laisse faire. Je me souviens d'Alabaster faisant la même action. Mais aujourd'hui, ce n'est pas Alabaster qui me touche. Je préfère largement Will à lui. Je sais qu'il m'aime beaucoup, qu'il ne m'abandonnera ou ne me trahira jamais. Mais l'acte en lui-même est similaire, non ? Mais je demeure toujours certain que si je suis avec Will, je serais toujours satisfait de ce qu'il me fera. Car c'est comme ça que fonctionnent les couples normaux, non ?
- Tu seras prudent, au rendez-vous, hein ? questionne mon petit ami, sa bouche contre ma gorge.
Déconcentré et un peu émoustillé, je bafouille un truc très malin du genre :
- Ah euh oui.
- Bien, poursuit Will. Parce que tu sais que je ne veux pas te perdre. Je viendrais avec toi demain soir.
Mes muscles sont pareils à des chamallows, et je me demande s'ils ne sont pas partis en vacances aux Bahamas. Je ne peux rien refuser à Will quand il m'embrasse comme ça et me fait ressentir ce que je n'ai jamais ressenti avant.
- D'accord.
Je le serre dans mes bras, espérant lui faire comprendre que je cherche à lui rendre son affection. Satisfait, il se colle un peu plus contre moi, et sa chaleur m'est agréable. C'est tendre, et différent d'avec Alabaster, qui ne cherchait qu'à atteindre ce qu'il voulait. Avec Will, je peux enfin comprendre ce qu'est la sensation d'être aimé et respecté. J'ai vraiment envie d'être proche de Will, de fusionner avec lui, comme si nous brulions ensemble. J'ai lu, dans des poèmes, de nombreuses descriptions de l'acte charnel. Il est souvent comparé à un brasier, ou à un torrent d'émotions qui nous frappe abruptement, et dans lequel on se perd. Si ces écrivains disent vrai, et j'en suis persuadé, j'aimerais moi aussi expérimenter ce fameux tourbillon. Je ne l'ai pas éprouvé avec Alabaster, mais à vrai dire, je n'ai jamais rien ressenti pour lui. Mais je crois bien être amoureux de Will, alors lui, il pourra forcément me faire ressentir du plaisir physique, en plus de ce sentiment de légèreté mentale qui m'envahit agréablement dès que je suis en sa compagnie.
Je tapote gentiment le biceps de Will pour attirer son attention.
- Qu'est-ce qu'il y a ? répond t-il.
J'apprécie la vision de mon petit ami essoufflé par ces baisers. Il a les joues rouges et ses cheveux sont ébouriffés par les mains que j'y ai glissées.
- Je veux passer à l'étape suivante.
Un sourire rayonnant illumine son visage.
- T'es sûr ? T'as pas besoin d'un peu plus de temps pour... y réfléchir ?
- Non, je tranche. À moins que tu ne veuilles pas, bien sûr.
- Non, non, je le veux ! Je suis juste un peu stressé parce que ce sera ma première fois, admet-il en passant sa main dans sa nuque, signe de gêne chez lui. Je sais que tu l'as déjà fait avec...
Je lui suis reconnaissant de ne pas prononcer à voix haute le nom d'Alabaster. Tout ce que je souhaite, c'est l'oublier, lui et cette expérience désagréable, pour en construire une nouvelle avec Will, rutilante, mais de la bonne façon cette fois.
- Hé, je le rassure en lui caressant la joue. Je te fais confiance. Ce qui importe, c'est pas la performance, non ? On est à deux.
Il m'adresse un sourire un peu nerveux, même s'il semble réconforter par mes paroles douces.
- T'as raison. Moi, tout ce que je veux, c'est te rendre heureux. Et puis, j'aime bien l'idée d'être plus proche de toi.
Il s'approche pour m'embrasser sur la joue avant de chuchoter si bas qu'il me semble qu'il veut que je m'approprie ses mots :
- Prêt ?
- C'est parti, je réponds.
On se contente de se regarder bêtement pendant quelques secondes, puis Will toussote en proposant d'une voix timide :
- Tu pourrais peut-être... t'allonger ?
- Euh, oui. Pardon.
Je m'étends sur son lit dans une position que j'espère confortable, même si je ne suis pas sûr d'arriver à dissimuler mon appréhension. Je sens Will planer au-dessus de moi, et son poids est rassurant pour moi. Il pose ses mains sur mes épaules en assurant :
- On n'est pas obligés de le faire si tu ne le veux pas.
- Si. Je le veux.
En réalité, j'ai le sentiment de ressentir une sorte de pression sur mes épaules, comme si j'étais le titan Atlas portant le ciel. Je sens que je dois passer à l'acte avec Will. Je ne sais pas si c'est exactement de l'envie, mais j'ai l'intense désir de faire cette expérience avec lui. Mes sentiments et désirs contradictoires sont les plus difficiles à démêler. J'ai peur d'avoir rater quelque chose si je ne fais rien d'intime avec Will avant demain soir. Je crois que j'ai besoin de le sentir le plus proche possible de moi. C'est quand on couche enfin avec la personne qu'on a courtisée depuis des années qu'on a atteint le summum d'une relation, non ?
- D'accord, promet Will, m'arrachant à mes pensées. On va y aller doucement, d'accord ?
- Oui, je réponds précipitamment.
J'ai envie de commencer tout de suite. Comme ça, ce sera plus vite fini.
J'attire Will tout contre moi, prenant plaisir à sentir sa chaleur contre moi. Puis je l'embrasse, et j'aime la sensation de nos lèvres se caressant. Puis, sentant que je ne dois pas me contenter de ces légères touches d'affection, je le serre contre moi, avant de l'embrasser dans le cou. Même si j'ai pris les devants, je n'ai aucune idée de ce que je dois faire pour que Will et moi passions un bon moment. Je le sens frissonner, et j'identifie ce frémissement comme caractéristique de plaisir quand je le sens passer ses mains dans mon dos. Rassuré, je poursuis mon entreprise. Pour l'instant, je trouve ça plutôt agréable. La tendresse qu'il n'y avait pas avec Alabaster est présente. Puis, me sentant plus entreprenant que jamais, je glisse une main sous son tee-shirt, en jetant un coup d'œil à Will, qui lève un peu plus le vêtement pour me laisser accéder à plus de peau. Ça, c'est du consentement, du vrai. Amusé, je tâte ses hanches, et il soupire de contentement. Puis il m'interrompt un instant, le temps de se débarrasser de son haut.
- Aucun commentaire, prévient-il, rougissant.
Je ne peux pas m'empêcher de le fixer. Will est vraiment d'une beauté incroyable, dans la clarté des rayons de lune. Je soutiens peut-être aussi cette affirmation car il est torse nu devant moi. Il est musclé, mais pas trop. Il arbore un tatouage en forme de soleil sur son pectoral gauche, ce qui me fait sourire. Qui aurait cru que Will Solace était en réalité un bad boy ?Ses épaules sont larges et couvertes de taches de rousseur. Il possède la beauté d'un tableau, ou d'un coucher de soleil, à mes yeux. Extraordinairement magnifique.
- Pourquoi tu me regardes comme ça ? demande un Will gêné, plaçant ses bras sur ses épaules.
- Probablement parce que t'es magnifique.
Il prend un teint couleur cassis, pour ce qui est sûrement la centième fois de la soirée.
- Dans ce cas, puisque je suis déjà à moitié nu... Tu devrais peut-être faire de même non ? suggère-t-il audacieusement.
Oeil pour oeil, dent pour dent, j'imagine. Malgré le fait que je n'ai pas envie de montrer mon corps tout maigre à Will.
Alors, je me retrouve presque sans vêtement devant lui. J'ai toujours mon pantalon, mais je me sens mis à nu, autant physiquement que mentalement. Mes vêtements noirs m'ont toujours permis de dissimuler mes cicatrices passées, ma silhouette efflanquée, et mes pensées tout aussi sombres que mes habits. Incommodé, j'enroule mes bras autour de mon corps, conscient que je dois ressembler à Will il y a quelques instants. Lequel me contemple comme si j'avais accroché la lune. Il semble être entré dans une sorte de transe, et c'est doucement que je l'apostrophe :
- Will ?
- Oh, désolé. C'est juste que je ne m'attendais pas à vivre ce moment avec toi un jour.
Il m'adresse un sourire malicieux qui fait fondre la tension de la gêne entre nous.
- Aussi, je dois te dire que tu es splendide. Tu n'as pas à avoir honte de ton corps. D'ailleurs, personne ne le devrait.
Je retiens un sourire attendri. C'est tout Will, cette immense gentillesse. C'est l'une des choses que j'aime le plus chez lui.
Alors, plus confiant, je m'installe sur ses genoux, caresse un instant ses épaules pour lui faire comprendre mon attachement pour lui, et décide de reprendre là où nous en étions quelques minutes auparavant. Je l'embrasse passionnément, et le sens entourer ma taille de ses mains. Elles sont calleuses et fraîches contre ma peau, et je décide que c'est une sensation plaisante. Je laisse mes paumes caresser sa poitrine un instant, et mes lèvres remplacent rapidement mes mains. Will gigote un instant pour se rapprocher de moi, et je le sens s'exciter, comme bouillir contre moi. Quand je touche un point particulièrement sensible, je remarque que sa respiration prend un rythme plus saccadé. À un certain moment, il laisse échapper un gémissement bruyant, et je lève le visage vers lui, un peu surpris. Ses yeux bleus brillent, et ses joues sont d'une jolie teinte carmin.
- Nico...se plaint-il. Tu me rends fou...
Je baisse la tête pour me rendre compte de la soudaine proéminence dans son pantalon. Oh. Ressaisis-toi, Nico ! C'était évident que nous allions nous confronter à un petit problème de ce genre. J'aurais dû m'en douter, d'autant plus que c'est moi qui l'ai provoquée. Maintenant, je suppose que je dois le soulager, puisque que je suis la cause de son état. Ravalant péniblement ma salive, j'avance ma main pour le toucher. C'est là que la répulsion me frappe. Je ne veux pas faire ça. Le sexe est censé être agréable, non ? Alors pourquoi j'ai l'impression qu'en dessous de la ceinture, c'est plus sale qu'autre chose, de mon point de vue ? Cette pensée n'a rien à voir avec l'homophobie que j'ai endurée. Je crois qu'elle provient plutôt d'un autre côté de moi, qui a toujours été là, mais qui me frappe maintenant de plein fouet.
Will a l'air peiné, et cette tristesse me touche en plein cœur. Est-ce qu'il va me quitter, maintenant qu'il sait que je suis cassé ? Il a enfin compris que j'étais une abomination inhumaine, c'est ça ? Au lieu de quoi, à ma grande surprise, il fond en larmes en enfouissant son visage dans ses genoux. Alarmé, je me contente de le fixer sans savoir quoi faire. Puis quand il redresse la tête, une expression duale se peint sur son visage. Il semble mi-horrifié, mi-soulagé.
- Nico, je suis désolé !
Il semble avoir saisi ce que je n'ai pas compris. Je penche la tête, déboussolé.
- Tout ce temps, je t'ai mis la pression à props du sexe alors que tu ne le voulais pas ! Et maintenant, j'ai failli faire ce que tu ne voulais pas que je fasse... Tu devrais me quitter, je suis vraiment le pire petit ami au monde...
Il recommence à sangloter, et je pose une main sur son épaule. Je suis un peu perdu face à sa réaction. C'est moi qui devrait être dans ce rôle.
- Will... Premièrement, tu n'es pas un mauvais petit ami. C'est comme quand je fais une de mes séquences je-me-déteste devant toi, c'est interdit. Deuxièmement, je ne comprends pas pourquoi tu parles de me mettre la pression. T'es la personne la plus conciliante et patiente du monde. Et troisièmement, tu n'as pas à t'excuser parce que je suis détraqué.
S'animant soudain, il réplique immédiatement :
- Je t'ai mis la pression en disant que le sexe pouvait attendre. Je suggérais que nous pouvions le faire plus tard, sans penser que peut-être... tu n'aurais jamais envie de sexe.
Les larmes coulèrent de mes yeux sans que je le réalise. Comment je pourrais vivre comme ça, dans une société où l'érotisme est idéalisé et présenté comme le saint Graal. Will prit doucement mon visage entre ses mains, essuyant mes larmes avec ses pouces.
- Tu n'es pas détraqué, Nico. L'asexualité existe, tu sais ? Ce n'est pas une honte.
Moi. Asexuel. Les mots ne semblent tout simplement pas coller ensemble.
- Mais j'aime les hommes, je proteste faiblement.
Will retient un petit rire.
- Il n'y aucun rapport entre l'attirance romantique et le désir sexuel, Nico. Et le spectre de l'asexualité est très, très large. Certains veulent avoir des rapports, même s'ils ne ressentent pas de désir.
Je suis perdu, maintenant.
- Pourtant, j'aime t'embrasser, te toucher, et tout...
- Mais tu ne pourras jamais coucher avec moi, complète t-il calmement. Toi, par exemple, tu es repoussé par l'idée de coucher avec des garçons, alors qu'ils t'attirent. On dit sex-repulsed, en argot.
Je dois bien me rendre à l'évidence qu'il a raison. C'est pour ça que je n'ai pas apprécié mon expérience avec Alabaster. Je pensais que le problème était de trouver la bonne personne, mais maintenant que je l'ai découverte, je réalise que c'est une autre affaire. J'aime l'idée d'être proche de celui en qui j'ai une totale confiance. J'aime établir un contact physique avec lui, partager des moments affectueux avec lui. Mais à l'idée de pénétrer son intimité, ma gorge se serre nerveusement, là où je devrais ressentir du désir. Ça peut sembler triste, mais c'est mon identité. J'y ai été confronté à deux reprises, mais cette fois, j'ai un petit ami incroyablement compréhensif qui me comprend plus que je ne le fais moi-même. On peut dire que c'est un point qui aide à s'accepter.
- Donc je peux être deux sexualités à la fois ? je questionne contre l'épaule de Will, curieux.
Il pouffe avant d'aller chercher son ordinateur, et quand il revient en me montrant un drapeau violet, blanc, gris et noir, j'ai l'impression d'être Biana, quelques années auparavant, alors qu'elle découvrait sa sexualité. Elle est certainement asexuelle comme moi, en plus d'être aromantique. Je me sens stupide, à mieux comprendre ma soeur que moi-même. Je ne suis qu'un garçon perdu parmi tant de personnes aux identités multiples.
- L'asexualité, c'est le fait de ne pas ressentir d'attirance sexuelle, explique le docteur Will. Aucun rapport avec la romance.
Et je m'y identifie. Je n'ai jamais pensé à Will, ou même à Percy d'une manière salace. L'idée que je me faisais d'une relation parfaite, c'est celle que j'entretiens aujourd'hui avec Will. Se tenir par la main, se faire des câlins, s'embrasser, avoir un lien intime et spécial... Pas de sexe dans tout ça. Et je me rends compte qu'actuellement, malgré ma prise de maturité, cette vision n'a jamais changé.
- Et ça te dérange pas, que je sois asexuel ? je demande à mon petit ami, encore un peu inquiet.
Il secoue la tête, l'air pas contrarié pour un sou.
- Tu te rappelles combien de temps j'ai désiré être à toi, Nico ? Alors maintenant que je t'ai, sexe ou pas, je suis heureux.
Il presse un baiser sur ma tempe tandis que je déclare :
- T'es bête de romantique, Solace.
Il émet un bruit choqué avant de me filer un coup de coude dans les côtes, avant d'affirmer :
- De toute façon, c'est notre couple, et c'est nous qui faisons les règles.
- T'es réellement en train de citer Taylor Swift dans un moment pareil ? Lover, en plus, sérieux ?
- Bah ouais.
Je secoue la tête en riant avec une fausse exaspération. C'est du Will tout craché, ça. À son enterrement, il ferait jouer le thème de Star Wars. Je ne lui dis pas, mais j'adore qu'il se donne corps et âme à dans ses passions. Car qu'est-ce que je n'ai pas fait pour Mythomagic...
- Ce que je veux vraiment dire, reprend Will, c'est qu'on a pas à suivre les diktats que la société nous a imposés. On est deux personnes à part, heureuses de notre relation telle qu'elle est. Et on s'aime comme on est, ajoute t-il avec un clin d'œil.
Je suis à moins de deux doigts de le croire.
- On peut être qui on veut ! s'écrie t-il en sautant d'un bond sur son lit, les bras levés comme s'il venait de gagner le Championnat du monde des idiots.
- Je suis ravi de te voir aussi heureux Will, mais tu devrais la mettre en sourdine, j'assène. Tu vas réveiller la petite Gracie.
Et ses pauvres parents aussi, j'imagine.
- Mais c'est vrai, Nico, dit Will en retombant sur le lit. On peut s'accepter comme on est.
- Oui, oui, j'ai compris. Mais je sais surtout que je suis fatigué, à cause de ta crise de folie, j'enchaîne. C'est l'heure d'aller se coucher.
Je me blottis contre lui, et il m'enlace par la taille. Tandis que je ferme les yeux, il murmure :
- Hé Nico ?
- Quoi encore, je rétorque, pince-sans-rire. J'ai rendez-vous avec mon prince au pays des rêves.
- J'espère bien que c'est moi ! En tout cas, je suis super content que tu te sois confié à moi, comme ça. C'est mieux quand on se confie, pas vrai ?
- Mouais, je marmonne pour coller à ma réputation de roi des glaces, même si Will a percé ma carapace depuis déjà un moment à l'aide d'un seul sourire.
En réalité, je pense "Merci". Pour m'accepter, être tolérant, être à mes côtés tout court.
Pour une fois, je m'endors le sourire aux lèvres. Le fameux rendez-vous de demain a complètement quitté ma mémoire, pour mieux ressurgir le lendemain.Pendant toute la journée du lendemain, je suis resté à squatter la chambre de Will, avec pour seules préoccupations ma nouvelle stratégie pour lui mettre sa raclée aux jeux vidéos, lui qui me réprimande pour mes mauvaises habitudes alimentaires (du fast food matin-midi-soir, où est le mal ? Will dit qu'il ne verrait pas la différence si je me mettais à me nourrir de lézards), ou la façon dont ses lèvres semblent s'emboiter parfaitement avec les miennes. Ce n'est que quand la nuit tombe que nous réalisons que nous devrions déjà être en route pour le quartier général, à savoir chez Ethan.
Nous arrivons avec cinq minutes de retard, car Will devait absolument passer aux toilettes. Tu parles d'un prévoyant.
- Prêts à mettre sa patée à Hadès ? questionnent notre hôte et Reyna en guise de bonjour.
Cette vieille émotion oubliée revient immédiatement me hanter comme une ancienne amie indésirable : la panique. Laquelle s'accroît quand je vois mes amis se préparer à quitter la maison avec une batte de baseball dans chaque main. Surtout, ne pas céder à la terreur. Tout va bien se passer. C'est ce genre de pensées d'une positivité écoeurante qui font vivre la plupart des gens.
En parlant d'anciens amis, c'est presque impossiblement que je cache ma stupéfaction quand je découvre la personne qui se tient sur le pas de la porte, le poing levé comme s'il s'apprêtait à frapper au moment où j'ai ouvert la porte. Il a l'air aussi surpris que moi, avec ses yeux grand ouverts comme d'énormes pièces de monnaie. Ses cheveux normalement lustrés sont en bataille, et il a les joues rouges comme s'il avait couru jusqu'ici. Ça fait une éternité pour moi que je ne lui ai pas adressé la parole, et je ne sais pas comment réagir. Alors, comme d'habitude, je décide de jouer la carte de la froideur.
- Qu'est-ce que tu fais là, Mitchell ? J'ai pas envie de te parler. En plus, si t'avais pas remarqué, je suis un peu occupé, là.
Il ne pouvait pas tomber plus mal.
Malheureusement, mon ancien meilleur ami est aussi têtu que moi. Il se plante dans l'entrée, et je sais qu'il ne compte pas bouger avant d'avoir ce qu'il veut. Je soupire, agacé.
- C'est bon, j'ai compris. Tu veux quoi, espèce de traître ?
Je sais qu'Alabaster l'a embobiné, mais je ne peux pas m'empêcher de lui en vouloir. C'est dans ma nature fataliste.
- Je voulais m'excuser, et te dire que...
Il semble penaud, une expression que je ne connais pas. Renonçant à la parole, il découvre ses mains (je n'avais pas remarqué qu'il les tenait derrière son dos) pour dévoiler un énorme bouquet de roses rouges, qu'il me tend sous le nez. Le parfum des fleurs me chatouille aigrement les narines, tel que leur couleur éclatante. Médusé, les seules paroles que j'entends franchir la barrière des mes lèvres sont :
- Euh, mec. Désolé, mais j'ai déjà un copain.
Mitchell pousse un soupir exaspéré et lève les yeux au ciel. Cette attitude, ça lui ressemble déjà un peu plus.
- Je suis pas venu te chanter la sérénade, Nico. T'es pas mon genre de toute façon. Je voulais juste te dire, d'une façon ou d'une autre, que je t'aime. Je suis pas doué avec les mots comme toi, alors je me suis dit (il désigne le bouquet odorant d'un geste de la main)... que c'était la solution la plus appropriée.
Je ne sais pas si j'ai envie de lui rire au nez, de lui hurler de déguerpir ou de fondre en larmes dans ses bras. Au lieu de quoi, je l'écarte, lui ainsi que mes sentiments mitigés, pour trancher :
- Écoute Mitchell... Même si j'apprécie vraiment l'attention, je ne suis pas vraiment en état pour décider si je te vire ou non officiellement de ma vie.
Je ramasse une pierre massive sur le chemin, l'examine, puis la mets dans mon sac. Elle pourrait m'être utile. Je vois les yeux de Mitchell suivre attentivement le mouvement.
- Disons que j'ai... des affaires persos à gérer, tu vois le genre ? je me justifie évasivement.
Il fronce les sourcils. Il me connaît trop bien pour savoir qu'avec moi et ma chance d'enfer, même une innocente tea party peut rapidement tourner au drame.
- Je viens avec toi.
Mais ?! Qui lui a permis de décider ça, lui ?
- Hors de question, je riposte du tac au tac.
- T'as pas ton mot à dire, réplique-t-il sur le même ton vif et sec.
J'essaye de contenir mon agacement qui se transforme rapidement en colère froide.
- T'es putain de borné, je me plains.
- J'ai appris du meilleur, rétorque t-il.
Comme deux complices, nous marchons vers l'inconnu. Enfin, pour lui, en tout cas. Moi, je progresse pour rencontrer mon destin. Pour l'instant, le mien porte le nom d'Hadès. Mais je compte bien le mettre à ma sauce.
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Bianca in Deviltown
Novela JuvenilAprès la mort de ses parents, Bianca se retrouve seule avec son petit frère. Accompagnée mais solitaire. Ils trouvent refuge dans une nouvelle famille, et tout se passe bien pendant quelques temps. Mais la nuit, Bianca se retrouve à errer dans une é...