Bianca : Un nouveau départ

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C'est précisément au moment où je pénètre dans le monde des rêves qu'un cri perçant déchire la nuit.
- AAAAAAAAAAAHHHHHHHH !!!
Je me réveille en sursaut et regarde autour de moi pour localiser la source de ce bruit à terrifier même le grand méchant loup, dans ce conte qu'on raconte aux petits enfants. Pas l'idéal pour s'endormir, si vous voulez mon avis. Papa disait toujours que je me montre cynique, d'après mes plus brumeux souvenirs. Pour lui répondre, j'haussait les épaules et lui rétorquait que j'aime le sens de ce mot. À mon humble avis, je suis seulement honnête, contrairement à d'autres. Et quoi de plus génial que quelqu'un d'honnête ? Dites le moi.
Mon regard se pose sur le petit lit à un mètre du mien, abritant un petit garçon, connu sous le titre de petit frère. Comme vous devez vous en douter, il n'est pas très grand. Nico ne cesse de gigoter dans son lit, en agitant les bras, en pleurant et en braillant. Bon sang, je sais qu'on est italiens, mais quand même ! Les gens imaginent les Italiens comme des machines à gesticuler. La plupart le sont, honnêtement. De plus, Nico est hyperactif, alors il ne passe pas une seconde immobile. C'est apaisant à regarder, je trouve, comme de voir sa joie de vivre et son sourire gai. Moi, au contraire, je suis plus posée. Je réfléchis avant de parler, et je n'aime pas dépenser de l'énergie inutilement. Les gens pensent que je n'ai aucune motivation. À vivre, à s'activer. Parfois, les deux sont vrais. Seulement parfois. Quand le brouillard protecteur dans lequel je vis se désépaissit un peu trop, et que je suis à deux doigts de retrouver mon passé et ma vie d'avant. Je préfère ne pas y penser.
Je m'accroupis près de mon frère et le secoue par l'épaule.
- Chut, tu vas réveiller les voisins !
Il se met en position assise et me regarde de ses grands yeux noirs.
- Désolé. J'ai fait un cauchemar, c'est rien.
- Non, c'est pas "rien". Tu pleurais. Raconte.
- J'ai rêvé que Daniel et Anna se fachaient contre moi et... Et ensuite, ils...
Il se remet à sangloter, si bien que je l'attire contre moi pour le prendre dans mes bras. Il n'avait pas besoin d'en dire plus pour que je comprenne le motif de son cauchemar. Daniel et Anna étaient nos parents adoptifs. Ils nous avaient pris sous leur aile quand nous étions au plus mal, Nico et moi, c'est à dire il y a déjà deux semaines. Notre mère venait de mourir. Nous vivions alors à Venise, dans notre bien-aimée Italie natale, quand notre père américain a alors pris la décision de déménager aux Etats-Unis, où nous l'avions suivi. Puis je crois que quand nous avions respectivement dix et onze ans, nous avons été placé en orphelinat pendant plus d'un an. Je me rappelle de peu de détails de ma vie d'avant, avec mes parents biologiques, mais je n'ai pas envie de savoir. J'aime mes parents adoptifs, et j'aime ma vie actuelle. Nico également. C'est pourquoi je comprends son inquiétude à l'idée qu'ils nous abandonnent. Mais ils ne le feront jamais, car ce sont nos parents maintenant, et ils nous aiment.
- Tout va bien, je lui murmure en commençant un doux mouvement de va-et-vient dans son dos pour le calmer. Je suis là.
Il me regarde dans les yeux avec une gravité qui ne lui est pas propre. Chaque larme coulant sur ses joues me fend un peu plus le cœur. Il est tout ce que j'ai, tout ce qui me rattache à ma vie d'avant, à mon identité, à ce qui fait de moi ce que je suis. Quand il souffre, je souffre également. C'est ça, être frère et soeur. Je ne sais pas si les autres sont comme nous, mais c'est comme ça que je le conçois.
- Tu me promets d'être toujours là pour moi ? il murmure en reniflant.
Je prends son visage humide entre mes mains.
- Regarde moi bien.
Puis je serre sa main, très fort. Il répond en enroulant ses petits doigts autour de ma main.
- Jamais, jamais je ne te laisserais seul, tu m'entends ?
J'observe ses traits fins d'enfant, ses grands yeux sombres et sa peau hâlée, si semblables miens, qui me rappellent vaguement le soleil d'Italie.
- On est les Di Angelo, non ? Ensemble jusqu'à la mort.
Il rit enfin, et je souris. Il entrelace nos petits doigts et je ris de son soudain sérieux.
- Ensemble jusqu'à la fin, il corrige.

Bianca in Deviltown Où les histoires vivent. Découvrez maintenant