Will : Onirisme et réalité

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- Va te faire foutre ! fulmine Lizzie avec humeur tandis que je décide qu'il serait sage de sortir de sa chambre avant qu'elle ne me fasse regretter d'être né.

Je me réfugie dans la mienne pour échapper au monstre qu'est ma sœur. Je sais qu'elle a un caractère colérique, et qu'au quotidien elle est... Elle n'est pas facile à vivre, disons. Mais quand elle commence à s'acharner sur moi comme ça, c'est que quelque chose la tracasse. Et bien sûr, elle ne va surtout pas se décider à venir se confier, encore moins à moi. Sérieux, je suis son frangin ou un dictateur ?! Le rôle d'un grand frère, c'est de savoir réconforter et aider sa petite sœur, non ? Et bien elle et moi, on en est très loin... J'ai l'impression qu'on se supporte plus qu'autre chose. Je me pelotonne dans mon lit en serrant ma couverture contre moi, comme quand j'avais six ans et que je ne pouvais pas me passer de mon ours en peluche. Sans même que je m'en rende compte, je sens les larmes couler et humidifier mon oreiller. D'un geste rageur, je passe le dos de ma main sur mon visage pour me dépêcher de les essuyer. Ça fait un bon bout de temps que je n'ai pas pleuré, et je ne compte pas changer cette bonne habitude. Sauf une fois. C'était devant Nico, au parc. Je m'étais promis de ne plus jamais pleurnicher, d'oublier les mauvais souvenirs et d'être heureux. J'ai fait le deuil de mes frères, et maintenant je vais bien. Je suis satisfait de ma vie. Je fais partie d'une famille chaleureuse, j'ai une sœur que j'aime (même si elle est insupportable la plupart du temps), des projets pour l’avenir, et depuis peu, un petit ami, qui je l'espère en fera partie. Mais je sais qu'au fond de moi, je n'avais qu'une envie : me confier, et être écouté, pour une fois. Quand j'ai revu Nico ce jour-là au parc, j'ai craqué. J'avais besoin que tout sorte, et de montrer cette partie de moi que je cache pourtant si bien dans la vie de tous les jours. Dès que je me lève, c'est avec le sourire. La plupart du temps, il est sincère, car je suis quelqu'un de joyeux et optimiste de nature. Mais parfois, quand mon passé me rattrape... Je dois le simuler pour ne pas attirer l'attention. Je sais que j'ai une vision manichéenne du monde. Je classe chaque élément de ma vie dans l'une des deux cases que je me suis créées : blanc ou noir, mal ou bien. Il n'y a pas de gris, pas de juste milieu chez moi. Quand je catégorise quelque chose comme "bien", je me débrouille pour le garder près de moi ou en moi. Quand je trouve en moi un produit du "mal", je me hâte de d'abord m'enfermer dans le déni, puis de l'enterrer au plus profond de ma conscience, à un endroit où je garde et laisse pourrir et s'infecter tous mes sentiments négatifs. Je veux oublier mes traumatismes, pour pouvoir vivre une belle vie. Si vous me demandiez si j'ai parfois de l'anxiété ou des crises de larmes la nuit dans mon lit, je vous répondrais que non. Sans mentir, je vais parfaitement bien ! C'est juste qu'aujourd'hui, je me sens un peu seul. C'était censé être un moment en famille, entre Bianca, Nico, et moi. J'avais enfin réussi à me réconcilier avec elle, et tout roulait comme sur des roulettes jusqu'à ce que Bianca parte en courant avec ma petite sœur. Bien sûr, Nico est immédiatement parti à sa recherche, et je me suis retrouvé planté là, tout seul au milieu de ce bazar. Je me demande ce qu'il se passe dans leur tête à tous les trois, pour qu'ils aient ce genre de réaction. Lizzie et Bianca sont-elles vraiment si terrifiées l’une par l’autre pour se traîner je ne sais où et ensuite revenir chez elles dans tous leurs états ? Elles cachent quelque chose, ça se voit. Je suis un peu un expert en la matière.

Je décide de ne pas me prendre plus la tête avec ces réflexions, pour rester dans une optique positive. Je me mets à penser à des choses qui m'enthousiasment, comme l'école de médecine que je suis plus proche que jamais d'atteindre, toutes les chansons entraînantes que je pourrai bientôt maîtriser à la guitare (j'aime beaucoup Here comes the Sun, avec son ambiance joyeuse de renouveau après une longue hibernation) et à Nico, qui m'a lâché pour sa sœur. Mais je ne lui en veux pas, bien sûr que non. En vérité, je pense qu'il pourrait me trahir de la façon la plus ignoble possible, littéralement me planter un couteau dans le dos, que je lui trouverais encore des excuses. Ça ne m'inquiète pas, je sais bien qu'il en serait incapable de toute façon. Il est la personne la plus gentille et la plus butée que je connaisse. Je crois que c'est ça qui m'exaspère et me plaît autant chez lui. Quand il a une idée en tête, il refuse d’en démordre, coûte que coûte. Cette détermination peut se montrer aussi belle qu'insupportable par moments. Ça fait déjà plusieurs semaines qu'on sort ensemble, et je n'arrive toujours pas à y croire. Dire que j'ai retrouvé le garçon qui m'avait rejeté en primaire, maintenant si différent... Il est devenu plus renfermé, mélancolique, et un poil misanthrope. Je sais que normalement, j'aurais étiqueté ce genre de comportement comme "mauvais", mais quand c'est Nico, ça me semble tellement naturel chez lui que je lui pardonne. Je sais que le monde s'est acharné sur lui, un peu comme pour moi. C'est notre premier point en commun. Nous sommes aussi opposés que le feu et la glace, lui et moi, et pourtant ça a l'air de plutôt bien marcher entre nous pour l'instant. Je ne connais personne qui ne me fait sentir aussi complet que lui. Après tout, on raconte que les opposés s'attirent... Contrairement à moi, il est sincère. Il n'hésite pas à montrer son mécontentement envers certaines personnes qu'il désapprouve, ou envers la société en général. Alors que moi... Je me contente de hocher la tête comme si j'acceptais tout dans ce monde. Je me tais, je souris poliment, faussement parfois, et je souffre en silence. Sur ce point-là, Nico est tellement plus courageux que moi, à se mettre en guerre contre le monde, à oser se dresser contre lui ! Je dois avouer que je suis un peu admiratif de cette capacité. Mais je sais également que c'est à cause d'elle que les ennuis suivent le cadet des Di Angelo comme un chien en laisse le ferait avec son maître. Les deux sont indissociables. Parfois, je me demande comment j'ai fait pour tomber amoureux de quelqu'un comme Nico. Je tente du mieux que je peux d'éviter les ennuis, et le voilà qui se pointe en me fourrant à chaque fois dans une nouvelle galère. Pourtant, je suis persuadé qu'avec lui à mes côtés, je pourrai affronter courageusement tous les maux du monde. Je sais que mon amour est assez intense pour ces combats. Il pourrait être mon remède contre mes traumatismes et mon obsession pour l'idée d'être parfait. Je veux toujours être le fils, le médecin infaillible, pour remplacer Lee et Michael. Comme ça, j'ai l'impression de les porter dans mon cœur, au plus près de moi. Même si je ne suis pas vraiment moi-même. Je sais que c'est toxique et maladif de ma part. Je suis au courant que l'amour ne guérit pas tout, mais je sais qu'avec Nico, je peux me montrer sous mon véritable jour sans plus de pressions.

Bianca in Deviltown Où les histoires vivent. Découvrez maintenant