Bianca : Un pays déroutant

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Le titre du chapitre ne fait pas seulement une référence géographique, il parle à la fois de l'endroit où se trouve Bianca mais aussi de là où elle en est dans son propre pays : dans sa tête. 🤭
Bonne lecture ! :)
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Deux heures. Ça fait deux heures que je marche à travers la plaine bleue. Je garde les yeux fixés sur la silhouette noire formée par les bâtiments au loin. J'ai l'étrange impression que plus je tente de me rapprocher, plus ils s'éloignent. Cet endroit va finir par me rendre folle. Le soleil brille plus que tout et m'aveugle de sa lueur violette, et pourtant j'ai froid. La couleur rouge du ciel est insupportable et me terrifie. On dirait qu'il a été peint avec du sang. Je ne comprends pas pourquoi la journée est aussi désagréable ici. Épuisée, je me courbe et appuie mes mains sur mes genoux, pour faire une pause. Et quand je relève la tête, je crois halluciner.
Mes yeux contemplent une porte. J'aurais juré qu'elle n'était pas là avant. Elle se tient là, debout, comme avec insolence. C'est une simple porte en bois, avec rien de spécial et surtout rien autour. Normalement, une porte est juste un passage, un outil, non ? Elle est censée s'accompagner d'un bâtiment, ou d'une pièce. J'ai l'impression que mes nerfs sont sur le point de craquer. D'abord, les couleurs plus qu'excentriques, ensuite la ville qui semble s'amuser à faire la course avec moi, et maintenant, ça ?
Je m'agenouille et je fais ce que je me retiens de faire depuis longtemps. Je laisse ma peur et mon désespoir m'échapper, et je pleure. Les larmes coulent sur mon visage sans que je ne fasse rien pour les stopper. Je suis complètement perdue. Je me retrouve dans un pays que je ne connais pas, sans même me rappeller qui je suis, ou au moins mon nom ! J'ai l'impression d'être livrée à moi-même, et cette pensée m'horrifie encore plus car je ne sais pas qui je suis. J'ignore ce que j'ai pu faire par le passé. J'aurais pu être une vendeuse de glace, ou une criminelle, que je ne m'en souviendrais absolument pas ! Quoique, je pense en me ressaisissant quelque peu, je suis trop jeune pour avoir un métier. D'après ma taille et d'autres caractéristiques humaines, je dois avoir à peu près entre 5 et 10 ans. Mon instinct me dit que j'ai 7 ans. Je tente d'interroger de nouveau cette petite voix intérieure, la voix de la raison, si rassurante et comme une bouée de sauvetage dans cet océan immense. "Est-ce que tu pourrais me dire mon prénom ? Et d'où je viens ?"
BIANCA. Le nom s'impose dans mon cerveau comme une évidence. Oui, je m'appelle Bianca. Néanmoins, je ne trouve pas de réponses à la deuxième question. Je suppose que je ne dois pas en demander trop à ma mémoire et à ma conscience. Ça me reviendra peut-être plus tard. Je suis déjà infiniment soulagée d'avoir retrouvé mon prénom, qui est une véritable partie de mon identité. Je suis soulagée, car j'ai quelque chose auquel me raccrocher. J'ai l'impression d'avoir placé la première pièce du puzzle qu'est mon ancienne vie dans le monde normal.
Une nouvelle réalisation me frappe. Le monde normal ! Je m'en souviens, et c'est ça qui me permet de distinguer la normalité de l'étrange. Cette confusion et cette peur que j'ai ressenti quand je suis atterrie ici devrait me rassurer, au lieu de m'inquiéter. Je sais que je ne suis pas dans le bon monde, et que je dois y retourner. Je ne suis donc pas condamnée à errer ici, sans objectif ni indice. Je dois juste trouver un moyen de retrouver mon propre monde. Les anges ont du faire une erreur et me placer dans la mauvais pays. Cette image me fait cette fois pleurer de rire, et je me sens revigorée. Saisie d'un enthousiasme tout nouveau, je me relève et sans réfléchir, ouvre la porte. De toute façon, ça ne peut pas être pire qu'ici, je me dis.
La porte s'ouvre en grand, et projette une lueur bleue aveuglante. Je ferme donc les yeux tandis que je me sens aspirée par cette fameuse ouverture.
Quand je les rouvre, je suis de nouveau allongée dos contre terre, pour la deuxième fois de la journée. Je regarde le ciel, qui est toujours aussi rouge que dans l'espace bleu. Je me relève péniblement, et regarde avidement autour de moi, heureuse de mon avancée dans ma quête pour rentrer chez moi. Je découvre un nouveau lieu de cet étrange pays. Ça y est, je suis en pleine ville. Les bâtiments noirs se dressent autour de moi, étranges et menaçants à cause de leur couleur. Mais ils ressemblent à des châteaux de princesse (oui, oui, je me rappelle bel et bien des contes ! Ça me surprend moi-même.) ou à de luxueux manoirs, tout en hauteur, avec leurs balcons et leur forme originale, un peu biscornue. On aurait dit qu'un enfant avait dessiné la maison de ses rêves, et qu'il avait fait de son songe une réalité. Mais je doute du fait que les enfants rêvent en noir.
Je baisse les yeux à ma hauteur, au lieu de lever la tête vers les maisons. Je suis dans la rue sablonneuse. Sauf que le sable est noir, comme toutes les habitations. Tout ce noir me fait frissonner, ne me mets pas en confiance. Mais ça me calme aussi, car trop de couleur agresserait les yeux. Le noir est une nuance neutre. Il n'y a pas un chat dans la rue. Mais on devine que des gens y sont passés. Elle est sale, et encombrée, comme si elle n'était presque jamais nettoyée. Divers jouets traînent un peu partout, et je distingue même les vestiges d'un cheval à bascule. Je m'approche et m'empare d'un long bout de bois, pointu après la casse du cheval à bascule. Je teste sa solidité en le frappant contre le sol. Il me paraît assez dur pour faire une bonne arme en cas de besoin. On n'est jamais trop prudente, et on ne peut pas exactement dire que sur le moment je sois rassurée. Je me promène au hasard dans la ville, mais en restant sur mes gardes. Plusieurs fois, je crois percevoir des craquements, mais quand je me retourne, bâton à la main, prête à asséner un coup mortel, je ne vois que le vent, qui éparpille des débris.
Après avoir exploré différentes rues se ressemblant toutes comme deux gouttes d'eau, je décide que j'en ai assez. Il n'y a personne dehors, et les lieux ne sont pas entretenus. De toute évidence, je me trouve dans une ville fantôme. Cette perspective me met mal à l'aise, aussi je décide de m'éloigner de la ville, et de me reposer plus loin, sur une colline bleue. Le soleil décline doucement, et le ciel pendant une teinte violette. Enfin, la partie supérieure du ciel est violet clair, presque rose, et s'assombrit plus je lève les yeux. Tout en haut, il est indigo, puis velu sombre. Ça me rappellerait presque mon monde, sans le dégradé céleste et le fait que les étoiles et la lune sont d'énormes points blancs. Des étoiles filantes passent toutes les secondes, comme si elles étaient hyperactives. Je décide d'en faire abstraction pour réfléchir. "Hyperactives". Je sens que ce mot devrait me rappeler quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Frustrée, je me prends la tête dans les mains, puis regarde le paysage, avec les buissons aux ombres bleu foncé, ainsi que les poteaux et les pylônes électriques plus loin, à la lisière de la ville. L'air se réchauffe étrangement tandis que la nuit s'installe. Bizarre. Cet endroit me rend folle. On dirait que tout est inversé.
Un peu au hasard, je continue de promener mon regard sur les environs. Soudain, mon oeil capte un éclat qui ne devrait pas avoir sa place dans le monde devenu de couleurs froides, qui semble endormi. Une lueur rouge vif. Pourtant, de ce que j'ai cru comprendre, le rouge c'est pour le jour... Je réalise alors que la lumière tremblotante se rapproche. Elle est tenue par une silhouette. Une silhouette humaine.

Bianca in Deviltown Où les histoires vivent. Découvrez maintenant