Malgré le calme qu'aurait exigé un tel lieu, il régnait toujours une forte agitation au sein de l'hospice. La population pauvre d'Evelymme venait s'y faire soigner et le personnel s'efforçait de compenser le manque de ressources et de moyens mis à sa disposition en tentant d'être présent à tous les endroits à la fois. Même lorsque la nuit tombait, l'activité ne baissait pas. Au contraire, il fallait accueillir les pauvres hères qui n'avaient nulle part où dormir ainsi que gérer les différentes urgences, souvent liées à des affaires d'alcoolisme. Heureusement, aucun bassin de maladies venues de Duwantach ne s'était déclaré à Thamyre, comme à Tahorette, sinon, jamais l'hospice n'aurait pu gérer tous ces souffrants.
L'établissement était géré par les autorités religieuses de la région – un couvent se situait en périphérie d'Evelymme – et les murs étaient ornés de représentations d'Eévhya, le dieu tout puissant et omnipotent qu'on vénérait sur le continent d'Heïllanore, ainsi que de prières adressés à ce dernier cependant, les suppliques lancées vers les cieux, bien souvent muets, ne pouvaient suffire à guérir les maux des malades et toutes les bonnes volontés étaient acceptées pour aider, même si elles n'accordaient qu'une croyance modérée aux dogmes religieux. Thomas Domont était de celles-là.
Depuis l'enfance, il avait souhaité devenir médecin mais, durant sa formation à la faculté, il s'était aperçu qu'il aurait certainement été plus utile en s'appliquant immédiatement à aider ceux qui en avaient besoin qu'en attendant encore des années pour devenir officiellement médecin. C'était donc sans avoir obtenu son diplôme qu'il avait rejoint le personnel de l'hospice cependant, il ne lui semblait pas qu'il réussissait véritablement à faire changer les choses comme il l'aurait voulu.
Tout ce qu'il faisait était panser des plaies ou administrer des décoctions plus ou moins efficaces à des patients avant de les renvoyer dans la rue. Le plus difficile était lorsqu'il lui fallait agir de la sorte avec des enfants, les renvoyer lorsque l'hospice ne pouvait plus rien pour eux.
Les mêmes enfants des rues revenaient régulièrement, avec le même genre de blessures. Thomas s'efforçait de prendre soin d'eux lorsqu'il en avait la possibilité mais pas seulement sur le plan de la santé, leur donnant de quoi manger, se réchauffer ou se laver,les laissant dormir dans les rares chambres disponibles, ainsi que des conseils sur comment rester en bonne santé ou comme se tenir loin des trafiquants de rêve irisé, mais tout cela était encore trop peu à ses yeux.
De plus en plus, il cherchait une meilleure solution pour tous ces enfants, un moyen de leur offrir un avenir, un lieu sain et sûr pour grandir, un endroit où mener une véritable enfance insouciante.
Plutôt que de rentrer chez lui comme il l'aurait dû il y avait déjà quelques heures, Thomas terminait de suturer une plaie causée par une rixe au couteau. Il travaillait depuis l'aube mais n'avait pas encore achevé sa journée. On réclamait ses services ailleurs dans l'hospice.
Ayant à peine le temps d'énoncer ses recommandations sur les soins à apporter à la blessure, que son patient ne suivrait très probablement pas, Thomas essuya ses mains rougies sur un chiffon en se dirigeant vers une autre salle où l'on avait également besoin de lui.
Alors qu'il remontait le couleur à grandes enjambées, s'efforçant d'économiser la moindre seconde, une agitation encore plus forte qu'à l'accoutumée lui parvint. Des religieuses guérisseuses couraient en tous sens, leur tablier et leurs mains tachées de sang, apportant du matériel, des bassines d'eau chaude ou des linges, propres ou souillés. Visiblement, une intervention se déroulait très mal.
Soucieux d'apporter son aide et réagissant à l'urgence qui tendait toute l'atmosphère de l'aile, Thomas s'apprêta à demander ce qu'il se passait exactement mais il fut pris de vitesse par des pleurs sonores qui envahirent les couleurs, des pleurs de nouveau-né. Serait-ce donc un accouchement qui provoquait un tel affolement parmi le personnel de l'hospice ? De toute évidence, il s'était mal passé.
Espérant toujours pouvoir offrir son aide, Thomas entra dans la chambre, où les hurlements ne se taisaient toujours étrangement pas. L'agitation y était encore plus forte que ce que laissait supposer le brouhaha s'en échappant.
Deux religieuses guérisseuses tentaient de stopper l'hémorragie de la femme inerte étendue sur les draps imprégnés de son sang, sans grand succès,puisque la femme demeurait sans réaction, les paupières closes et les membres flasques, alors qu'une autre tenait un nouveau-né encore sale et vagissant entre ses bras. Son regard étrangement effrayé allait successivement de l'enfant pleurant à la mère étendue dans son propre sang des genoux jusqu'aux hanches.
Saisissant immédiatement la gravité de la situation, Thomas vint prêter mainforte à ses collègues et lutta pour réanimer la femme mais il ne lui arracha aucune réaction malgré ses efforts. Son cœur ne battait plus, elle avait perdu trop de sang.
Après plusieurs minutes d'essai infructueux, les soignants se résolurent à l'évidence. Se redressant dans des soupirs navrés, ils échangèrent des œillades frustrées pleines de remords, mais il s'agissait malheureusement de choses dont il fallait avoir coutume en travaillant dans un hospice.
Pendant que l'une des religieuses masquait le visage de la mère décédée en y remontant un drap,Thomas s'approcha du nourrisson, qui hurlait de toute la force de ses petits poumons, avec une couverture pour l'en envelopper, ce que la religieuse qui le tenait n'avait toujours pas fait. Elle lui remit l'enfant sans un regard pour ce dernier, les yeux rivés sur la forme du corps de la mère sur le lit alors que ses lèvres remuaient en une prière à Eévhya, à l'instar de ses consœurs. Thomas crut d'abord qu'elles recommandaient l'âme de la défunte à la déité mais il constata qu'il n'en était rien lorsque, alors qu'il nettoyait le nouveau-né, qui se révéla être une petite fille particulièrement vigoureuse, à l'image de ses pleurs, l'une d'entre elles annonça d'une voix blanche :
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Le Sang des Déchus - Tome 2 : Traîtres
FantasyAprès que Lysange ait été blessée, mettant sa vie en péril, le groupe des Déchus trouve refuge dans un lieu du passé d'Abélianne, qui dévoile alors certains de ses secrets. Heureusement, ils reçoivent l'aide d'un mystérieux personnage surnommé le Ma...