Chapitre 18 - Torrie [1/2]

7 2 0
                                    

Talwell n'était pas considérée comme la ville la plus modeste de Lithyneth. Grâce à l'exploitation du lac du même nom que la cité, peuplé de poissons endémiques qui se revendaient à prix d'or chez les riches gourmets du continent, cependant, ceux qui profitaient des revenus qu'elle engendrait étaient les commerçants qui les exportaient, pas les pêcheurs qui effectuaient leur tâche sous le soleil de plomb ou les pluies torrentielles de l'archipel.
Ces gens aisés habitaient dans la ville haute alors que la pauvreté rongeait les bas quartiers, ceux situés sur la rive sud du lac où les routes étaient de boue à cause de l'humidité qui montait des eaux toutes proches.
Dans ce secteur de la ville, les habitants tentaient de trouver de quoi survivre par tous les moyens, même les plus moralement discutables ou les plus risquées, et il n'était pas rare de croiser des enfants seuls, en haillons et les joues couvertes de crasse, qui, à l'instar des adultes de ces quartiers, luttaient pour survivre et dénicher de quoi manger, ne pouvant compter que sur eux-mêmes, livrés à eux-mêmes.
Torrie était de ceux-là. Certainement abandonnée à la naissance, elle n'avait jamais rien connu d'autre que cette existence dans la rue et elle ignorait tout de ses origines. Son physique témoignait qu'elle appartenait au peuple autochtone de l'archipel et elle se plaisait à raconter qu'elle était la progéniture illégitime d'un riche commerçant venu des continents pour ses affaires et de sa maîtresse de Lithyneth. Cette histoire était une manière pour la fillette de s'imposer parmi les autres enfants des rues et de se doter d'une certaine influence, même si elle se moquait totalement de savoir si elle était vraie ou non.
Ignorer qui étaient ses parents lui importait peu – après tout, ils s'étaient débarrassé d'elle dès sa naissance – et cette existence dans la rue ne la gênait pas particulièrement, même si elle souffrait souvent du froid et de la faim.
Ce qu'elle appréciait surtout dans cette vie était l'autonomie totale dont elle jouissait. Son horizon se limitait peut-être aux cabanes du quartier et au lac mais elle faisait ce qu'elle souhaitait lorsqu'elle le décidait.N'ayant jamais connu la chaleur d'un foyer, elle ne pouvait pas lui manquer.
Malgré son jeune âge, elle savait se faire respecter, même de certains enfants plus âgés, et elle n'hésitait pas à déclencher des rixes avec eux, à cracher des insultes ou jouer des poings. Elle n'avait pas encore dix ans d'après ses calculs mais elle possédait déjà un solide caractère et un vocabulaire surprenant.
Certains habitants du quartier l'avaient appris à leurs dépens, comme ce boulanger à qui elle venait d'échapper en emportant un peu de sa marchandise. L'ayant surprise en train de tenter de le voler, il l'avait attrapée par les deux poignets, la soulevant presque du sol, mais elle avait répliqué en les assénant un violent coup de tête au thorax. Le souffle coupé, l'homme avait involontairement relâché sa prise et il avait suffi à Torrie de s'en glisser.
Regagnant le recoin d'une ruelle, où elle se sentait en sécurité et protégée, elle s'y installa pour déguster son butin. Ce soir, elle ne s'endormirait pas avec le ventre vide.
Des pas dans la boue l'alertèrent soudainement. Etait-ce le boulanger qui l'avait retrouvée ? Elle avait pourtant été trop véloce pour qu'il la poursuive.
Sur ses gardes et prête à détaler,elle se dissimula de moitié derrière l'empilement de vieilles barques qui lui servait parfois d'abris. Il lui faudrait être particulièrement vive car, la ruelle se terminant en impasse derrière elle, elle serait obligée de passer entre ceux qui arrivaient pour s'enfuir.
Ce ne fut pas le boulanger ou des commerçants des environs qui apparurent au bout de la ruelle mais trois étrangers. Torrie aurait été bien incapable de déterminer d'où ils venaient mais, d'après leur apparence et leur accent, ce n'était pas de Lithyneth.
Un peu moins méfiante, elle continua à les observer en scrutant légèrement depuis sa cachette.Peut-être étaient-ils de riches marchands originaires des continents, comme ceux qu'elle apercevait parfois, qui s'étaient égaré dans le dédale des bas quartiers. Certainement aurait-elle pu les guider en échange de quelques pièces.
Avisant la fillette à leur tour, les trois hommes stoppèrent et se la désignèrent mutuellement tout en semblant réfléchir.

Le Sang des Déchus - Tome 2 : TraîtresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant