Chapitre 20 - Accord royal

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Cela faisait à présent quelques jours que les Déchus étaient tombés dans le piège tendu par Léhodore et Manolis avec la complicité de Moïra.
Gaëlan les avait passés enfermé dans les appartements des invités du palais où on l'avait conduit dès leur capture.
Officiellement, il ne semblait pas prisonnier mais bien accueilli au palais de Tikkr'eth, dans une aile un peu reculée, mais il y avait en permanence des gardes qui se relayaient régulièrement devant l'accès à ces appartements. Le jeune homme était effectivement prisonnier, bien que sa prison soit dorée, et qu'il estimait qu'il n'était absolument pas à plaindre, contrairement aux Déchus.
Il se doutait que ses compagnons de voyage croupissaient actuellement dans une cellule sordide dans les sous-sols du palais alors que, lui, était confortablement installé dans des appartements comportant plusieurs pièces, il avait un lit chaud et des équipements d'hygiène dont il pouvait profiter, cependant, il n'en faisait pas grand chose.
Rongé par l'angoisse,l'appréhension et la peur, il demeurait prostré et presque apathique, assis au sol, recroquevillé sur lui-même, les genoux remontés contre la poitrine, appuyé contre le large lit de la chambre.
Ses pensées s'agitaient dans son esprit, se répétant et augmentant encore son inquiétude.
Il s'angoissait évidemment avant tout pour ses camarades, même pour Morcia avec qui ils avaient passé plusieurs jours à voyager, et se demandait ce qui les attendait à présent qu'ils avaient été capturés.
Léhodore Cécyly allait-il les faire exécuter ou bien les garder prisonniers indéfiniment ? Après tout, lorsqu'ils avaient chacun déclaré les Déchus ennemis de la loi, aucun des souverains ne s'était accordé sur la sentence à appliquer. Le roi de Névinda possédait donc de nombreuses options.
Imaginer ses compagnons, à qui il s'était attaché au fil des voyages et des épreuves partagées,croupir dans une cellule entravés et enchaînés lui brisait le cœur mais certainement pas autant que l'idée de leur exécution. Cette éventualité ne pouvait effleurer son esprit sans lui déclencher de violentes crises d'angoisse, durant lesquelles les gardes le surveillant se voyaient forcés d'intervenir pour éviter qu'il ne se blesse.
Nigel était évidemment celui pour qui il s'inquiétait le plus. A présent qu'il se retrouvait seul face à la situation, il s'apercevait d'à quel point la présence de son amant était primordiale pour son équilibre mental. Si ils avaient pu être ensemble, Nigel l'aurait probablement serré contre lui en déposant des baisers dans ses boucles claires pour le rassurer et le réconforter, tout en lui permettant de croire que rien n'aurait pu l'atteindre, même si il aurait jugé ne pas en faire suffisamment pour lui, mais il était seul, terriblement seul.
Totalement démuni loin de ses camarades, tous ces événements qui avaient fragilisé son psychisme, où il avait dû affronter la noirceur du monde et de l'esprit humain, où il avait dû redéfinir son concept du bien et du mal et modifier sa définition de la morale,lui revenaient brutalement en mémoire, le heurtant à nouveau. Il se sentait comme un jeune enfant qui comprenait pour la première fois que tout avait une fin, y compris sa propre vie.
Les questions et les doutes qui avaient augmenté durant ces voyages revenaient le frapper de plein fouet et il s'écroulait totalement, aussi bien physiquement que mentalement. Si seulement Nigel avait été à ses côtés, toutes ces choses ne lui auraient pas semblé si graves et destructrices mais, surtout, si son amant avait été auprès de lui actuellement, cela aurait signifié qu'il ne se trouvait pas enfermé dans une cellule à attendre une terrible sentence.
Malgré le décors beaucoup plus effrayant que celui dressé par ces appartements, il aurait vraiment préféré se trouver en cellule aux côtés de ses compagnons d'infortune.
Etrangement, il se sentait plus proche des Déchus, avec qui un lien indéfinissable s'était forgé durant les épreuves face aux dangers que des membres de sa famille. Avec eux, toute leur situation actuellement aurait certainement paru moins terrifiante que cette solitude le laissant seul face à ses traumatismes récents. Après tout, il avait accepté de les accompagner en suivant Nigel, même si il savait parfaitement qu'il désobéissait aux lois et s'exposait aux conséquences de ses actes, alors il lui semblait normal et logique de partager leur sort. Ça avait été son choix que de devenir un criminel à son tour par amour et il se devait de l'assumer, même si il en était terrifié et que tout son univers s'effondrait, le maigre équilibre qu'il était parvenu à bâtir et conserver depuis qu'il accompagnait Nigel se brisait en le laissant totalement perdu, pourtant, on ne l'avait pas jeté encellule avec les autres. La seule raison à cela était ses origines.Il était issu de la noblesse de Thamyre, dont Névinda cherchait à se faire apprécier pour obtenir un accord face à Taïfyne par le mariage, et, de ce fait, Léhodore ne pouvait pas se permettre de simplement le condamner avec ses camarades.
A nouveau, le fossé de la différence se creusait entre lui et Nigel et les autres Déchus. Certains auraient probablement été soulagés à sa place d'être relativement épargné mais pas Gaëlan. Il voulait affronter les conséquences de ses choix aux côtés de ceux qu'il avait choisis pour compagnons car y faire face avec eux lui semblait être la suite logique des choses et car ça aurait été moins effrayant.
Par ailleurs, avoir conscience de la sentence qui l'attendait lui paraissait moins angoissante que l'incertitude du sort qu'on lui réservait.
Même si il s'inquiétait profondément pour Nigel et ses camarades, très égoïstement, il s'en faisait aussi pour lui-même.
Si il ne méritait pas de croupir en cellule avec les Déchus, grâce ou à cause de la noblesse de son sang, que Léhodore comptait-il faire de lui ?Lorsque Moïra l'avait averti de son identité, le souverain avait affirmé pouvoir lui trouver une utilité. Ces quelques mots inquiétaient Gaëlan alors qu'il se demandait ce qu'ils signifiaient exactement. Qu'allait-il lui arriver ?Qu'allait-il arriver aux autres ? Assumer ses actes lui semblait beaucoup plus difficile alors qu'il devrait certainement y faire face seul.
Plusieurs jours s'étaient déjà écoulé et personne n'était venu l'avertir de l'évolution de la situation ou de si Léhodore s'était prononcé sur son cas,augmentant son appréhension, mais, d'un autre côté, rien ne paraissait se passer concernant les Déchus, pas d'exécution en perspective pour l'instant, ce qui le rassurait grandement.
Toujours replié sur lui-même dans un recoin de la chambre, luttant pour retenir ses larmes et pour maîtriser les tremblements qui l'agitaient, il entendit soudainement le son de la porte donnant dans le couloir qu'on déverrouillait puis des pas résonnèrent dans les appartements. Le jeune homme aurait pu penser qu'on venait simplement lui apporter de quoi manger, comme on l'avait fait chaque jour, le gardant visiblement en aussi bonne santé que possible, même si on ne pouvait rien pour prendre soin de sa santé mentale dans ses conditions, mais l'heure ne correspondait pas à celle d'un repas.
Venait-on enfin lui annoncer ce qu'il allait advenir de lui ?
Intrigué et angoissé par cette possibilité, Gaëlan voulut se lever pour accueillir ces visiteurs mais son corps refusa de lui obéir,tétanisé par la peur et l'appréhension, si bien qu'il était toujours recroquevillé contre le lit lorsque deux domestiques accompagnés de deux gardes entrèrent dans la chambre. Se découvrant dans un état pouvant s'apparenter à celui d'un choc depuis des jours, Gaëlan ne parvint qu'à les fixer de ses yeux agrandis à la pupille tremblante sans comprendre ce qu'ils faisaient là.
Ses oreilles entendirent que l'un des gardes lui ordonna de se lever et de les suivre mais son esprit ne réussit pas à traiter l'information et à y réagir, si bien qu'il demeura immobile, la même expression totalement perdue sur le visage. Répéter l'ordre ne changea rien et les gardes durent saisir chacun le jeune homme par un bras pour le tirer sur ses jambes puis ils le forcèrent à emboîter le pas aux domestiques.
Son corps et son esprit semblaient s'être dissocié mais il parvenait toujours à mener quelques réflexions.
A sa grande surprise, on ne le conduisit pas devant Léhodore pour entendre sa sentence, comme il le pensa, mais au cabinet de toilette que comportaient les appartements, où les domestiques lui firent sa toilette, lui lavèrent les cheveux, les lui peignèrent puis lui enfilèrent une élégante tenue avec veston brodé et redingote assortie.
En avisant son reflet dans le miroir, Gaëlan resta surpris un instant. Cela faisait très longtemps qu'il n'avait pas été aussi propre. Cette vie sur les routes à suivre les Déchus avait fait des dégâts à son image de jeune noble parfaitement apprêté qu'il avait toujours eue mais,visiblement, elle n'était pas difficile à reprendre. A croire qu'il n'avait jamais quitté Eluville.
La question sur pourquoi on venait de se donner la peine de le laver lui fit froncer les sourcils. C'était comme si on cherchait à la rendre présentable, peut-être justement pour rencontrer Léhodore.
Paraissant confirmer cette hypothèse, les gardes lui firent quitter ces appartements pour la première fois depuis des jours.
S'étant repris durant ses ablutions, Gaëlan parvint à marcher seul et les gardes ne le tinrent plus que par les bras mais l'encadrèrent en le surveillant étroitement, lui faisant comprendre qu'il restait prisonnier.
Certainement était-ce encore une fois dû à son rang si on ne l'entravait pas de quelconque manière.
Dans les couloirs richement décorés, ils croisèrent quelques personnes, gardes, serviteurs et officiels et tous échangèrent des murmures en fixant Gaëlan en coin sur son passage. Le jeune noble en conclut que tous connaissaient son identité ainsi que son implication avec les célèbres Déchus.
Devinant que tous le jugeaient, il se sentit faiblir,surtout que, encore une fois, il était seul et n'avait personne derrière qui se cacher.
La gorge nouée et les épaules tremblantes, il s'efforça de conserver autant que possible la maitrise de lui-même jusqu'à ce que les gardes le fassent stopper devant une porte elle-même encadrée par deux soldats dont l'emblème sur la poitrine indiquait l'appartenance au fameux corps d'élite de Névinda.
Les annonçant, l'un d'entre eux frappa quelques coups contre le battant, qu'il ouvrit lorsque l'autorisation d'entrer fusa à travers.
Poussé dans ce qui se révéla être un bureau, Gaëlan crut défaillir en découvrait qui s'y tenait.Si il ne fut pas surpris d'y trouver Léhodore, siégeant dans un haut fauteuil, il le fut davantage à la vue de la princesse Taminiëlle, vêtue d'atours somptueux et coiffée d'un voile brodé de larmes de diamants qui couvrait sa chevelure, assise dans un siège plus modeste face à son père, cependant la présence qui causa un véritable choc au jeune homme était celle de l'homme installé à côté de Taminiëlle, les jambes élégamment croisées : William De Ohcaire, souverain de Thamyre, autrement dit, son roi.
La surprise et l'incompréhension de le découvrir ici fut telle que Gaëlan ne prêta aucune attention à l'escorte royale, composée de quelques gardes entourant William, ni à Moïra se tenant en retrait dans un recoin de la pièce, adossée contre le mur et les bras croisés sur la poitrine.
Les Souffian étant établis à Eluville et non à Evelymme, la capitale, Gaëlan n'avait jamais vraiment eu l'occasion de fréquenter la famille royale de Thamyre malgré son appartenance à la noblesse du royaume. Il l'avait seulement aperçue à quelques reprises lors de certains événements.
Rattrapé par un apprentissage strict de l'étiquette et de la bienséance de plusieurs années, Gaëlan effectua une profonde révérence de circonstance face à toutes ces personnes de sang royal, alors que la porte claquait dans son dos, l'enfermant dans ce bureau, et qu'il percevait sur lui les regards inquisiteurs de William De Ohcaire et de Taminiëlle.
Se tournant à nouveau vers Léhodore derrière son bureau, William lui lança, apparemment dans une attitude plutôt incrédule :

Le Sang des Déchus - Tome 2 : TraîtresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant