Chapitre 6 - Le réveil de Torrie

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Dans un grognement ensommeillé, Torrie répondit aux coups tambourinés contre la porte de sa chaumière mais qui lui semblaient surtout être cognés directement contre l'intérieur de son crâne. Peut-être n'aurait-elle pas dû boire seule la bouteille de liqueur qu'elle avait initialement compté partager avec ses anciens camarades,cependant, elle n'aurait pas gaspillé une bonne bouteille et,surtout, elle n'avait pas su quelle réaction adopter après le départ de ses compagnons, face à l'ampleur de la déception qu'ils lui avaient manifesté, et, comme à son habitude, elle n'avait pas fait les choses à moitié mais avec tous les excès dont la vie offrait la possibilité.
Au moins, elle se réveillait seule, sans personne à ses côtés, même si ce constat l'attristait légèrement. Certainement était-ce parmi ce qui lui manquait le plus depuis qu'elle se faisait passer pour un homme pour se cacher : passer du temps en agréable compagnie.
Des appels se mêlèrent aux coups frappés contre sa porte, résonnant douloureusement dans son crâne, en la ramenant au présent.
A travers les brumes de l'alcool qui ne s'étaient pas encore pleinement estompées durant ses quelques heures de sommeil, la jeune femme crut reconnaître la voix de l'un de ses collègues avec qui elle travaillait sur le petit port de Bourg-Humide mais dont sa mémoire refusait de redonner le nom, partiellement paralysée parles effets de son abus de liqueur. Ce qu'il lui disait à travers le battant clos lui provenait sous forme d'un bourdonnement beaucoup trop fort qui se fracassait violemment contre ses tympans. Evidemment, dans de telles conditions, elle ne comprenait pas le moindre de ses propos cependant, elle n'en avait pas besoin pour deviner ce qu'il lui disait : il venait la chercher car cela faisait des heures qu'ils l'attendaient sur les quais et qu'ils avaient besoin d'elle, qu'elle fasse son travail.
Ce n'était pas la première fois que ce genre d'incidents se produisait depuis qu'elle s'était établi dans le village et tous ses collègues savaient qu'il était rare, pour ne pas dire impossible, de la voir au port avant le milieu de la matinée. Les autres ouvriers portuaires s'en agaçaient de plus en plus mais Torrie s'en moquait totalement. Elle refusait de laisser le soucis de ce qu'on pensait d'elle ou les limites sociétales la freiner ou l'empêcher de vivre comme elle l'entendait, de faire ce qu'elle voulait lorsqu'elle le voulait. La contrariété de collègues causée par son comportement glissait sur elle sans la troubler. De toute manière, elle ne ressentait aucun attachement pour son travail sur les quais, pour ses collègues, pour son habitation ou pour Bourg-Humide, ne créant jamais ce genre de liens qui auraient pu la retenir.
N'accordant donc aucune importance à la véhémence et aux réclamations de plus en plus agacées de son camarade de quai, elle tâtonna autour d'elle à la recherche de son oreiller. Ses doigts se refermèrent sur quelque chose qu'elle se plaqua sur le visage pour s'isoler, quelque chose qui s'avéra ne pas être son oreiller mais l'un de ses lourds lainages, dont elle se contenta, en grommelant des propos difficilement compréhensibles qui signifiaient à son collègue qu'il pouvait aller se faire foutre.
Ce genre de réactions était également habituel chez la jeune femme mais, cette fois, son collègue refusait de faire une fois de plus preuve d'indulgence et de cautionner indirectement une telle attitude.
Donnant un coup plus fort que les précédents contre la porte, faisant grogner Torrie, il l'avertit que, si elle ne réagissait pas davantage dans les prochaines minutes, il entrerait sans sa permission pour la traîner sur les quais où elle aurait dû être depuis déjà des heures.
A cette menace, la jeune femme se réveilla totalement et les dernières vapeurs d'alcool disparurent de son esprit où elles stagnaient, subitement alerte.
Actuellement, elle gisait en travers de l'un de ses fauteuils en roseaux tressés, à moitié au sol, une jambe pendant par-dessus l'accoudoir et son vêtement en laine sur le visage. Le haut était probablement ce qui la recouvrait le plus puisqu'elle ne portait qu'une tunique courte à moitié retroussée sur ses cuisses dénudées et dont le laçage défait exposait largement sa poitrine opulente. Avec une telle allure, elle n'aurait pu camoufler sa féminité or, se faire passer pour un homme était la seule chose qui garantissait un minimum sa sécurité. Si on découvrait qu'elle était une femme, on aurait pu remonter jusqu'à sa véritable identité ou, en tout cas, comprendre qu'elle était une fugitive cherchant à fuir les autorités.
Se redressant vivement et bondissant sur ses pieds, se provoquant à elle-même un étourdissement qui brouilla tout autour d'elle et une nausée et elle se précipita contre la porte, la bloquant et la refermant alors que son collègue commençait à l'ouvrir.
Plaquée contre le battant, elle annonça à travers, le timbre heureusement rendu rauque par la nuit alcoolisée qu'elle venait de passer pouvant passer pour masculine :

Le Sang des Déchus - Tome 2 : TraîtresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant